mardi 30 août 2016

rédaction (suite)



Le mouvement social et ce qu’il a, éventuellement, de politique – ces formulations sont scolaires, pas vécues – ne me paraissent ainsi que depuis une quinzaine d’années. Réponse aux politiques. Et il faut distinguer une manifestation mobilisant dans toute la France une partie plus ou moins forte de la population d’une contestation et de réclamations appuyées par une grève, voire des violences qui ne portent que sur des revendications de prix à la production, de salaires pour les employés d’une entreprise. Et s’il n’y a pas de grève sans manifestations puisqu’il convient d’expliquer les motifs de la grève aux tiers, à l’opinion nationales ou locale, il y a des manifestations aux horaires calculés qui n’accompagnent aucun arrêt de travail, et valent par leur seule ambition d’afficher un soutien ou un mécontentement.

La situation sociale de ma famille, de mes parents et de mes grands- parents, puis ma propre orientation professionnelle : la fonction publique d’animation puis d’autorité, ne m’ont donné aucune expérience ni de la manifestation de rue, ni même d’un simple chahut d’assemblée ou d’amphithéâtre, ni a fortiori d’une grève. Mon grand-père paternel, médecin puis dentiste libéral (passé du plus prestigieux mais sans horaire au plus sédentaire parce que les tranchées avaient eu raison de sa santé), mon père, dans l’équuipe dirigeant de compagnies nationales d’assurances, n’avaient ni matière ni position pour faire grève. Mon grand-père maternel, ingénieur polytechnicien, entré dans les chemins de fer – le secteur privé, les Rotschild pour la Compagnie du Nord, a été au contraire « briseur de grèves », conduisant le métro parisien en 1919 ou des trains d’évacuation du charbon, voire du trafic de voyageurs, en Rhénanie occupée par nous en 1923. Par métier, il est de ceux qui veulent et ne sont heureux quand ou si cela marche. Il fit ainsi fonctionner à nouveau les chemins de fer corses sans réaliser que son exploit en organisation et en technique était un fait avéré de collaboration avec l’occupant italien… La vie étudiante au tout début des années 1960 est politiquement orientée par la guerre d’Algérie, alors que ma classe d’âge – quand elle entreprend des études supérieures – est majoritairement sursitaire. La question est seulement de manifester pour la paix, en pratique de grossir les rangs du Parti communiste, même de se mêler aux soutiens du F.L.N. (la rébellion armée contre la France, contre nous : c’est ainsi que je le considère alors) ou de faire grève de l’assistance aux cours rue Saint-Guillaume pur afficher son hostilité à l’O.A.S. Je suis pour la paix mais je confiance à de Gaulle, donc pas de manifestation active elle serait de défiance. Je ne soutiens évidemment pas l’O.A.S. qui vise de Gaulle et tentera à plusieurs reprises de l’assassiner, mais je refuse l’obligation de faire grève et suis donc de la dizaine sur plusieurs centaines d’élèves à « Sciences-Po. » à ostensiblement venir aux heures de cours qui n’ont pas lieu et à travailler en bibliothèque. La direction nous compte.



mardi 30 Août 2016 . Reniac à ma table de travail,
de 21 heures 46 à 21 heures 58

samedi 27 août 2016

rédaction suite




Notre premier devoir, vis-à-vis de nous-mêmes et eu égard à ce que nous avons reçu de tant de siècles et de tant de nobles devanciers, est évidemment de nous gouverner correctement, ce qui nous amènera à réapprendre le débat et le respect mutuel. Manifestement, nous ne savons plus nous gouverner, ce qui – pris au sens littéral – explique bien que nous ne puissions aujourd’hui nous orienter vraiment.

L’Allemagne d’aujourd’hui qui pleure Walter Scheel – chef d’orchestre et ministre des Affaires étrangères de Willy Brandt, avant d’être élu au scrutin parlementaire président de la République fédérale – sait se gouverner. Son président sortant, rééligible selon la Loi fondamentale, ne se représente pas, alors qu’il est plébiscité. Nos présidents sortants, celui de 2012, et celui de 2017, sont honnis mais ils se représentent. Nous ne savons pas débattre. Une loi d’origine inconnue, de rédaction initiale qui ne fut pas de la ministre signataire, est quasiment interdite de débat par la mise en œuvre de l’article 49-3 de notre Constitution dès la seconde séance d’examen et imposée à chacune des chambres de notre Parlement, à l’ensemble des partis politiques, qui réclament ou plus ou moins, et à la rue qui s’établit place de la République à Paris. Ce n’est qu’un exemple. Une refonte de l’assemblage des départements en régions se décide à trois ou quatre, un lundi soir, dans le bureau présidentiel et ne donne lieu à aucune consultation directe ni des populations ni des élus locaux. Les promesses ou ce qu’il y a d’implicitement cru d’un candidat pour qu’il soit élu, ne sont pas tenues : le pacte budgétaire ne devait pas être ratifié sans complète re-négociation et le soir-même de sa prise de fonction l’élu de 2012 est à Berlin pour l’accepter tel que et donc encadrer ne varietur toute la dépense publique pendant des années, au moins la durée de son mandat tandis que la censure votée par le nouveau président car il représentait l’opposition à notre réintégration dans l’organisation intégrée de l’Alliance atlantique, fait de son prédécesseur et salué par aucun de nos partenaires, n’a pas inspiré ou un nouveau retrait ou des propositions de complète refonte de l’O.T.A.N..

Surtout, nos partis politiques ne savent pas s’accorder ; la coalition gouvernementale, l’union nationale nous sont inconnues depuis des décennies et elles ne sauraient être le débauchage de quelques notoriétés du camp d’en-face. L’Allemagne au contraire connaît la formule en cas de perplexité nationale ou d’une composition du Bundestag telle qu’il faudrait pour y tenir tous moyens de notre propre Constitution. Pour renverser Ludwig Erhard, populaire tant qu’il ne fut pas chancelier et inquiétant par son dédain de l’entente avec la France nouée par le fondateur du pays après la capitulation nazie, la « grande coalition » se constitua en Décembre 1966 et valut jusqu’en Octobre 1969. Elle fait actuellement fonctionner le pays, elle a pour conséquence que le gouvernement fédéral délibère sincèrement, et que le Chancelier ou la Chancelière n’engage le pays qu’après consultation de son collège, celui de ses ministres issus des deux principaux partis et ceux-ci se sont d’abord accordés sur un programme, dont la négociation a pu requérir plusieurs jours ou semaines, au lieu que chez nous, le gouvernement dans les vingt-quatre heures de l’inauguration du nouveau mandat est formé « au doigt mouillé » et au point que parfois, quoiqu’il y ait pléthore de portefeuilles, presque davantage que d’administrations dites centrales à Paris, certains domaines sont oubliés. Ainsi, la santé en Mars 1986 quand Jacques Chirac répond, penaud, à la profession en nommant sa neuro-psychiâtre. L’Allemagne a pour régime une République fédérale dans laquelle la seconde chambre représente les Länder et ceux-ci jouissent d’une complète indépendance de gestion. Nous ne sommes pas ainsi car ce n’est pas l’addition de nos provinces qui a fait la France et son Etat, mais l’Etat voulu et organisé par nos rois qui a constitué notre nation.
A défaut de ceux-ci, nous avons spontanément chargé des affaires publiques nationales une commission parlementaire, ce furent le Comité de salut public, au renversement de notre millénaire monarchie capétienne, issu de la majorité à la Convention, puis les gouvernements des Troisième et Quatrième Républiques formés au sein de la Chambre des Députés et du Sénat : c’est la pratique du gouvernement représentatif qui peut être heureuse. Il a répondu de la paix civile malgré tous les présages d’une restauration monarchique, malgré l’affaire Dreyfus, malgré la séparation de l’Eglise et de l’Etat, puis dirigé le pays vers une victoire, la plus belle que la « revanche ». Ensuite, impuissant quoique de très bonne volonté jusqu’au désastre de 1940 et à la révolte de l’outre-mer en 1958. Notre régime a été voulu comme une démocratie directe. Le président de la République a tous les moyens pour arbitrer entre les pouvoirs publics, maintenir ou renvoyer le gouvernement, obliger le Parlement à respecter des ministres qui ne dépendent plus de lui et peuvent être recrutés en dehors de lui. L’invention référendaire – après les tâtonnements de la Convention et la ratification des faits accomplis par les Bonaparte – avait été pourtant celle de Napoléon III : la Constitution du 21 Mai 1870 disposait que l’Empereur peut toujours faire appel au peuple et que s’il n’a pas de descendance mâle, ce sera ce peuple qui élira le successeur, le nouvel Empereur. Les referendums de 1958, de 1961 et de 1962, la pratique surtout du général de Gaulle mettant en jeu son mandat à chaque élection de l’Assemblée nationale auraient dû établir définitivement chez nous cette forme de la démocratie. Plus de quatre-vingt-ans de régime d’assemblée ne nous y avaient pas habitués et le débat au début de notre Cinquième République ne fut pas du tout entre une droite et une gauche, que dans sa personne et selon son action tant pendant la guerre que dès son retour au pouvoir, l’homme du 18-Juin fusionnait. Il fut pour ou contre le nouveau régime, alors même que celui-ci combinait une monarchie élective selon les services rendus par le candidat avec toutes les procédures de responsabilités gouvernementales devant l’Assemblée nationale, à telle enseigne qu’était empêchée, sauf consentement des députés, les anciennes pratiques du décret-loi substituant les ministres aux élus. L’évolution fut d’abord heureuse par une entente – non dite ni négociée – entre des personnalités plus que des partis. Le général de Gaulle accepta d’être « Monsieur X » jusqu’à un mois du premier tour de Décembre 1965, laissant d’ailleurs planer deux successions très différentes, celle qu’assumerait le Premier ministre en place (Georges Pompidou, tenu dans la même ignorance que tous les Français, des intentions et de la délibération du Général), ou celle ouvrant tant de voies que représenterait le chef de la Maison de France, le comte de Paris… et dans la semaine où il définissait comme jamais la fonction présidentielle, absolument royale, Gaston Defferre relevait le gant, se portait candidat selon la nouvelle procédure de l’élection directe abhorrée par les partis de la République précédente. Une partie de l’opposition au régime avait rendu les armes. Il y eut mieux, cette élection de 1965, au cours de laquelle l’homme du 18-Juin subit sa première mise en minorité dans le pays (le ballottage au premier tour) et fut certainement diminué, désacralisé dans l’esprit de bien des Français apprenant par lui, mais à ses seuls dépens, ce qu’est la démocratie, conféra à l’inverse une légitimité au principal de ses adversaires : François Mitterrand, telle que celui-ci, malgré ses erreurs d’appréciation en Mai 1968, s’imposa non seulement pour construire une gauche moderne et pourtant très fidèle à des racines plus que séculaires, mais surtout maintenir la distinction, la majesté et la puissance arbitrale de la fonction présidentielle. Les deux fondations de notre République, après celle de son écriture constitutionnelle en 1958, sont la démission du président sans aller au terme régulier de son mandat parce que le referendum proposé fut négatif, celui d’Avril 1969, et l’alternance au pouvoir établie par la victoire de la gauche en Mai 1981.

Pendant plus de quarante ans, l’évolution de nos institutions fut donc respectueuse de la fondation et en tira même le parti d’un nouvel agencement des familles politiques françaises (un clivage droite/gauche inconnu sous de Gaulle détesté à droite  et si souvent compris à mi-mots à gauche). Les successeurs du général de Gaulle, placés par les chroniqueurs plus nettement que par les Français devant le dilemme : que faire si une Assemblée nationale nouvellement élue, leur était hostile en majorité ? avaient répondu dans l’embarras : Georges Pompidou, qu’on ne compte pas sur lui pour renier ce à quoi il avait toujours cru, et Valéry Giscard d’Estaing par un aveu d’impuissance et un projet de se retirer à Rambouillet, propriété présidentielle. François Mitterrand sans forcer aucune des dispositions de la Constitution, répondit en restant en fonctions, en exerçant strictement et souverainement chacune des prérogatives présidentielles qui ne dépendent pas d’un vote parlementaire et en remportant l’élection suivante. La jurisprudence fut reconnue et appliquée par celui qui en avait d’abord connu les frais, et devint par la suite, lui aussi, président de la République : Jacques Chirac. Mais celui-ci, comme Georges Pompidou en 1973, crut sa propre réélection plus aisée si le mandat à renouveler serait plus bref : le quinquennat, surtout assorti d’une « inversion » des calendriers en 2002, les législatives succédant à la consultation présidentielle, au lieu de la précéder comme cela devait être en comptant strictement mes années et mois du mandat de l’Assemblée élue en 1997, a complètement dénaturé nos institutions. Elles sont désormais figées, et notre vie nationale en même temps quelles et dans la même proportion. Les parlementaires n’ont plus prise sur le gouvernement parce qu’ils sont de même mouvance et parti. Si le président de la République a droit à l’infidélité sans risque que de n’être pas réélu, les députés en revanche n’ont pas droit à la révolte ni même au rappel du pacte initial. Jacques Chirac fit pire que Georges Pompidou empêché de réaliser son intention : il se maintint alors qu’ayant, de sa seule initiative, sous une seule signature, la sienne, dissout l’Assemblée nationale en 1997 et mis au referendum en 2005 le projet de Constitution pour l’Europe, il était désavoué par le peuple et mis en minorité. La jurisprudence fondatrice de la responsabilité populaire du président de la République, seule de nature à légitimer de si importantes prérogatives, a été oubliée, méprisée par le même personnage public. C’est impardonnable. Il en est logiqement résulté la désaffection de nos institutions dans l’opinion publique nationale, et des institutions rigides, pratiquées sans démocratie, sont inefficaces. Même si l’Etat n’était pas depuis deux décennies progressivement dépouillé de ses fonctions souveraines ou patrimoniales, le mandat électif de le conduire perd presque tous ses moyens et son sens. C’est ce qui enferme aujourd’hui la « course à l’Elysée » dans une petite corporation d’acteurs professionnels, pas très bien formés au discours ni au geste publics, donc très loin du parterre et du peuple. La démocratie est devenue artificielle, les rites et commémorations de nos grands anniversaires nationaux et du scrutin le plus important n’attirent et ne convainquent plus personne que les candidats, chacun pour son compte. Et l’exemple français, si je puis écrire ainsi, détermine une rigidité du même genre dans le fonctionnement des institutions européennes, aussi éloignées de leurs ressortissants, les citoyens du Vieux Monde.

Qu’en pensez-vous ?

D’autant que c’est la démocratie qui garantit la sincérité et la pérennité de la République. Et sans la culture, l’esprit approfondi, propres à chacun de nous, du bien commun, qu’est donc notre nation ? puisqu’elle est substantiellement, ethniquement composite depuis toujours : au moins depuis la reddition d’Alesia par Vercingétorix jusqu’aux conséquences spirituelles, démographiques, migratoires de nos victoires ou conquêtes en Europe puis d’une colonisation se justifiant par l’intrusion de valeurs humanistes. Or, nous doutons de la République, et nous doutons de notre consistance populaire. De quoi ne doutons-nous pas dans notre vie ensemble et parce qu’ensemble ?

Vos réponses sont audibles, visibles et mesurables. Après avoir félicité certains de nos dirigeants politiques et mis en évidence la responsabilité de quelques autres dans nos dévoiements actuels, examinons ces réponses. Aucune n’a été contrainte depuis les mûtineries de la Grande Guerre. Réduire celles-ci par la considération de ce que souffraient nos ascendants dans un conflit dont la fin ne se discernait plus a, plus que la victoire de Verdun, l’emprise longtemps de Philippe Pétain sur l’esprit national. Grèves, contestations, émergences de nouveaux mouvements organisés en dehors des partis ont été les manifestations suscitée par des temps d’une paix qui n’était pas sociale. Aucune n’a été inutile. Et je les crois toutes non seulement compréhensibles, mais légitimes. 

samedi 27 Août 2016 . Reniac à ma table de travail,
de 13 heures 41 … 14 heures 38  à 16 heures 12

vendredi 26 août 2016

rédaction suite




Aujourd’hui, je doute. Je doute de mes capacités, de chacune des capacités faisant l’autonomie, la créativité d’une personne humaine. D’aimer, je n’ai jamais douté jusqu’à ces années-ci, signe qu’en fin j’avais commencé d’aimer et que chaque jour je mesure que je n’aime ni assez ni vraiment selon l’attente de qui m’aime. de ma volonté de servir notre pays et d’être utile à autrui, je ne doute pas non plus, mais de mes moyens. Au Val-de-Grâce, emmailloté et presque nu, Bernard Tricot va mourir mais il m’accueille : il me dit nettement, je voudrais pouvoir encore servir ! J’avais commencé de le visiter chez lui, rue de la Cure à Paris, pour apprendre davantage de la relation entre de Gaulle, président de la République, et Maurice Couve de Murville, son ministre des Affaires étrangères, le dernier de ses Premiers ministres, l’homme de sa confiance politique au sens où l’homme du 18-Juin entendait la politique. J’apprenais, davantage encore qu’en l’ayant lu, l’humilité de ceux qui avaient été distingués pour servir au plus près le Général. L’humilité de se défier désormais de sa propre mémoire, de renvoyer à un livre, l’un des siens, mais encore l’ambition du mot juste, de la vérité donc. Il y eut des époques de notre histoire politique quotidienne où les mots étaient pesés, donc audibles. Dire ce que je comprends de maintenant, ce que j’ai recueilli pendant cinquante ans certainement, soixante, soixante-dix ans eut-être. Mais comment être lu sans lasser ? et quelle enceinte ? le tête-à-tête finalement avec vous selon ces pages.

De mes convictions, je n’ai jamais douté, pas vraiment non plus de leur application à l’actualité et aux cas d’espèces, tout simplement parce que je ne les ai acquises ni de lectures, ni selon quelque ambition de les monnayer. J’ai rencontré, enquêté sur la mort politique et le rayonnement national, mondial d’un homme dont j’ai été contemporain jusqu’au 9 Novembre 1970. C’est dans l’ile pétrolifère de Kark, dans le golfe Persique, puisque cette île et ces installations sont iraniennes, que j’ai décidé d’être à Colombey-les-Deux-Eglises le 12. Je venais d’apprendre à Téhéran, en déjeunant seul à seul avec l’attaché culturel près notre ambassade, que celui dont je parlais au futur, et donc au possible encore, venait de mourir. Je me suis enfui aux toilettes du restaurant, j’ai pleuré. Ce que je comprends de la politique, de la vie publique, ce que je veux de notre pays, je le tiens d’un homme que je n’ai vu qu’une seule fois, autrement qu’en images télévisées, bien moins fréquentes que maintenant, d’abord parce que le général de Gaulle n’imposait pas continuellement son image ni ses dires : la souveraineté et l’indépendance avec laquelle il exerçait les fonctions et les prérogatives qu’il avait lui-même créées pour ses successeurs, étaient telles qu’aucun rappel à l’opinion et aux commentateurs audio-visuels ne fut jamais nécessaire de 1958 à 1969. Et parce qu’en famille, nous n’eûmes la télévision qu’en 1967, au bon moment, il est vrai car la bataille rageait, celle d’élections législatives gagnées de justesse par ceux se réclamant du régime, sinon du gaullisme. Une des branches de la famille Michelin que j’étais en train d’intégrer, au début de ma scolarité à l’Ecole nationale d’administration – fiancé à la plus proche amie de la première de mes sœurs – avait depuis davantage de temps la télévision : dans ma future belle-famille, j’ai regardé et écouté plusieurs fois de Gaulle. Il s’agissait vraiment du diable en personne, parce qu’il était l’Etat et que l’entreprise ne peut vraiment prospérer s’il y a un Etat. Je schématise bien sûr. Mais comme aujourd’hui les intégristes, dans l’Eglise de France, et comme chacune de leurs ramifications, chacun de leurs sites, il s’agissait de vivre en soi seulement et de se garder du dehors, un monde extérieur néfaste et dont dogmatiquement on cultivait l’idée de sa nuisance absolue. J’y gagnais une forte documentation, recueillie sur recommandation, au patronat français pour exposer ce que sont les petites et moyennes entreprises pour l’économie française, mais ne fus certainement pas brillant. Par ailleurs, mon beau-père putatif – destinataire pour hommage de chacune des parutions dans la collection de la Pleiade dont il ne décachetait jamais la cellophane protégeant le ou les volumes – me trouva «  des traits de caractère incitant à la prudence ». J’aimais sa fille, mes parents, mes ascendants étaient fort loin des fortunes industrielles que j’allais cotoyer, mais dûment averti que la société en commandite interdisait tout commerce des décisives actions. Je n’étais pas aimé, j’avais distrait, je mis plus de dix ans à me consoler. Par moi-même, non par toutes celles qui ensuite me séduisirent ou à qui je plus. Cet épisode, une véritable aventure tant les quelques mois de projets communs et de sortie ensemble, mais jamais d’entrée au lit, sauf quelques allongements dans la loge du concierge : la famille de mon élue avait hôtel particulier, petit jardin et semi- immeuble faisant face privativement,  avait clos une décennie précédente, pas heureuse non plus : mon interrogation sur une vocation religieuse, qui n’avait reçu aucune réponse, et ne s’est épanouie que ces années-ci sans habit ni titre ni règle, simplement par la tentative de communiquer ce qui me structure et me maintient en vie, c’est-à-dire en goût de vivre.

J’avais donc accueilli de Gaulle en particulier. L’hostilité de ma belle-famille pour quelques mois n’était pas isolée. Quand, en 1958, reprenant un train en patrouille scoute après que nous ayons crapahuté entre les rochers de la forêt de Fontainebleau, j’avais vu à l’affiche des kiosques de journaux, c’était la Pentecôte, que les parachutistes, « nez-de-cuir » spécialement venaient de prendre le contrôle de la Corse, je comprenais que la situation devenait grave. J’avais dix ans quand mon père me commenta les treize tours de scrutin pour élire, au congrès de Versailles, le successeur de Vincent Auriol que son accent avait caricaturé (son exercice de ministre des Finances pour le Front populaire aurait dû le caractériser davantage mais le propre des commentateurs sur grandes ondes est l’amnésie et c’est cela qu’il est le plus facile et courant de yransmettre aux auditeurs puis aux téléspectateurs). Les fonctions du président de la République sous la Quatrième République étaient moins illusoires qu’il n’a été dit depuis. Elu en Décembre 1953, René Coty a sciemment empêché le retour de Pierre Mendès-France au pouvoir à la suite des élections générales anticipées du début de 1956, et s’il n’avait pas menacé de démissionner au cas où le régime d’alors n’accepterait pas un autre retour, celui du « plus illustre des Français », de Gaulle, probablement, aurait eu encore bien davantage à faire en Mai 1958. Mes parents qui avaient opté pour d’Egypte, revenir dans le France de Vichy au printemps de 1942, me questionnèrent alors : criait-on au collège, en cour de récréation ? de Gaulle au poteau ! Des amis de Suisse, dans la profession de mon père, nous proposaient un asile sûr. L’homme de Londres et des communistes était exécré. Mon grand-père maternel, dans son vieil âge, tomba de son lit parce qu’il voyait en rêve entrer de Gaulle dans sa chambre à coucher, et ne pas soulever son chapeau…


à ma table de travail, Reniac
le vendredi 26 août 2016 de 11 heures 40 à 12 heures 35

je répondis que nous vivions le contraire, enthousiastes. La nouvelle des parachutages à Suez, pour une fois en complet accord avec l’Angleterre, nous l’avions accueillie, deux ans plus tôt avec bonheur, c’était la revanche sur le désastre de Die Bien Phu. La suite avait été une humiliation de plus. De Gaulle, c’était notre jeunesse, la victoire : ce le fut. Mes parents votaient rue Molière, dans l’ouest de Paris, les « beaux quartiers » et pour eux, c’était non ! quoique l’émigration en Suisse ait perdu toute urgence. A la Libération, un oncle par alliance, milicien dans les Pyrénées occitanes, vigneron et bonapartiste, maurrasien aussi, s’était fait prendre place des Ternes en ayant risqué, en Janvier 1945, d’aller voir sa fille nouvelle-née dans la capitale. Deux jours de dénégation pour qu’on recherche, au lieu de lui, un de ses frères et loin, n’obtinrent rien mais condamné à mort, il fut grâcié, emprisonné à Saint-Martin-de-Ré puis interdit de séjour, quelque temps, dans ses terres et villages. Mon père avait reçu la francisque et vécut l’automne de 1944 à la Santé. Plus tard, ce furent les trains du vendredi soir vers la Baule, les maris arrivaient avec les abonnements à Tintin et autres courriers de moindre importance, mais, sous de Gaulle et censément les communistes, c’étaient les épouses qui faisaient queue pour les parloirs. A Noël, mon père revint. J’avais dix-huit mois et n’ai gardé aucun souvenir propre de l’épisode. Cheminot comme son propre père, polytechnicien aussi, démissionnaire de l’armée en 1905 quand le général André, ministre de la Guerre tenta de ficher les officiers selon leurs opinions religieuses et que le colonel Pétain – entre autres – répondit qu’il ne saurait le faire puisqu’à la messe il était toujours au premier rang, mon grand-père maternel accepta, proche de la retraite, la mission de réorganiser les chemins de fer corses. L’île de Beauté était occupée par les Italiens, il ne lisait pas les journaux et fut surpris par le débarquement allié. A la Libération, il était donc, lui encore, en prison, avec pour compagnon l’évêque d’Ajaccio, au seuil du Sahara. J’avais donc de solides antécédents anti-gaullistes et donc de droite. Préconisant le vote oui au referendum fondateur de notre actuelle République, le Comte de Paris avait donc heurté. Beaucoup plus, j’aurai l’honneur de plusieurs entretiens tête-à-tête, affectueux et passionnants, avec le Prince.

Mon acte de naissance, en opinion politique personnelle, a plusieurs dates. Un autocar, la radio, la route de Paris aux Alpes, du ski en vacances de Noël 1960, la campagne du referendum sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics en Algérie. Je n’ai aucune culture civique encore quoiqu’entré à l’Ecole libre des sciences politiques et lisant Le Monde depuis quatre mois déjà : recommandation expresse de notre maître de conférences, Jean Maheu, fils de René, fiable et parfaitement représentatif de cette si forte ambiance de dévotion à l’Etat et au service public : elle a caractérisé les débuts de cet intense redressement français. Je suis effondré, elle peut l’emporter cette coalition de tous les partis politiques. Le mouvement soutenant de Gaulle n’en paraît pas un, ce sont nous et pas un parti qui voulons de Gaulle. Les barricades ensuite. L’évidence est l’attente de tous les Français, mes parents compris, quand s’annonce une « allocution radioffusée du président de la République » : qu’allons-nous apprendre à propos de l’Algérie ? c’est l’unique pensée, l’unique attente et seul de Gaulle peut dégager la solution. La confiance est absolue. L’idée m’est venue, peu après, de faire éfcrire à l’ensemble de ma troupe scoute une lettre de soutien à de Gaulle. Pourquoi ne l’ai-je pas mise à exécution. Trente adolescents et moi les y amenant, devant l’homme du 18-Juin, à l’Elysée. Mais alors et pour moi, le Général n’est pas l’homme du 18-Juin, il ne se pense pas au passé, il est quotidiennement le président de la République, le pays fonctionne, l’O.A.S. ne vaincra pas et si, dans les premières heures où fut commentée la tentative de putsch à Alger, j’ai – sur la cendrée du stade où Sciences-Po. nous expédiait chaque fin de semaine – entendu un de mes camarades, courant à mes côtés, baver de haine contre de Gaulle et tout abandon, et donc un instant imaginé une Algérie française mais indépendante de la métropole, afin de dégager celle-ci de la guerre, les premiers mots de l’adresse gaullienne au pays me convainquirent que nous allions tout perdre si le coup réussissait. Jean Maheu avait été proche de nous envoyer en corps place Beauvau y recevoir les armes nécessaires. Je commencerai alors de beaucoup lire sur notre histoire politique, d’y discerner de la haine, des préjugés et en regard, en dénégation quelques personnalités. A détailler les ambiances, ce qui les constitue et le rayonnement, l’efficacité de certains, je comprendrai que de Gaulle – simplement – incarne le pays dans ce que celui-ci peut le mieux être et faire. Pour le referendum sur l’élection au suffrage universel direct du président dee la République, donc du successeur, je n’ai pas encore l’âge de voter, le résultat me suffit et quand est prononcée la dissolution que de Gaulle décide tandis qu’il se trouve à des manœuvres militaires, je ne suis pas anxieux. Le pli est pris : le Général gagne à tous coups. Beaucoup en doutent à l’époque, je fais alors la connaissance d’un souverain du commentaire, François Mauriac selon quelques lignes de son bloc-notes que je ne lisais pas et que rapporte Le Monde. La question posée par referendum ne lui plaisait pas, mais – formule et vérité – dans le doute, il faut choisir d’être fidèle. Cela vaut en tout et ce m’est demeuré. Je m’étonnerai, deux ans plus tard,  qu’un tel écrivain se risque à composer un de Gaulle aussi favorable. Ce n’était guère courant. Mon journal rapporte ensuite que contrairement à l’ensemble des pronostics, quelqu’un – je ne me souviens plus qui, mais proche de la place Beauvau – prévoit la victoire des gaullistes. Tout n’est plus,  dès lors, que confirmation. Je suis à Nouakchott quand pour la première fois, est mise en œuvre la nouvelle procédure pour élire le président de la République. Je marche entre les bâtiments et villas, très distannts les uns des autres, flottant semble-t-il sur le sable ôcre que parcourent de curieux caprins, amateurs de cartons et papiers, et que cependant l’on appelle sur place des moutons. C’est la nuit. Il n’y a pas encore dix-mille habitants dans cette capitale artificielle d’une République de cinq ans d’âge en souveraineté et indépendance. De partout, une seule radio est écoutée, elle annonce les résultats, le ballotage, la Mauritanie, l’Afrique, le monde sont passionnés, il s’agit de la France certes, il s’agit surtout du général de Gaulle et de la pérennité de notre redressement. Je ne vois donc pas les entretiens présidentiels montés par Etienne Burin des Roziers, secrétaire général de l’Elysée avec Michel Droit, je n’ai pas connaissance non plus des propos et images de François Mitterrand, de Jean Lecanuet. Pour le premier vote mon père, par haine du champion de la dernière guerre, pour le second vote ma mère. En 1981, par amour maternel – il s’agit de moi cette fois – elle votera François Mitterrand. Il est vrai que comme beaucoup en sensibilité de droite et quqoiqu’abonnée de toujours au Figaro, elle est agacée par Valéry Giscard d’Estaing et va affectionner Jacques Chirac.

François Mitterrand, sur le petit écran, je l’écoute et le vois – avec admiration, ce qui ne me paraît pas contredire mon attachement pour de Gaulle – pour la première fois dans le salon de « mon » préfet, directeur de stage pour l’E.N.A. Vitalis Cros, a été le préfet de police quand l’orde fut donné de tirer rue d’Isly. Dans les tiroirs du directeur de son cabinet (qui obtiendra sa première sous-préfecture à Ussel, site de Jacques Chirac (j’abhorre la terminologie féodale qu’affecte depuis trente ou quarante ans les commentatires : untel dans son fief de… sommes-nous contemporain de la prise de Constantinople ou de la formation du domaine royal en Ile-de-France, à étudier l’emprise capétienne selon les diplômes notariés que revêt le sceau du dynaste ?), je trouve des circulaires de l’époque algérienne : elles émeuvent par une certitude que la suite a montrée sans fondement. Fils de Vercingétorix Cros et entré dans la préfecorale hors concours quand, en 1944, il prit d’assaut la sous-préfecture de Narbonne, dont il était de naissance ressortissant), « mon » préfet, Vitalis, m’enseigne – fort de son second mariage et sans doute d’une infiortune au cours du premier – que ce sont les femmes qui choisissent : j’ai vérifié que c’est vrai, sinon jamais je ne me serai résolu et quelle ne serait pas aujourd’hui mon errance ? celle d‘ailleurs d’un homme vieilli et dépourvu. Il m’apprend aussi qu’en politique, il faut la mémoire des noms et pour assurer à ses invités, commensaux et partenaires (obligés, d’autant qu’à l’époque c’est le conseil général qui paye l’hôtel et les frais de bouche du représentant de l’Etat dans le département), il donne à chacun le sien. Ce qui dans mon éducation familiale est du dernier commun. Il boît à la République, ce qui m’étonne aussi, c’est donc l’usage. A ses côtés et à ceux de l’évêque de Blois, Mgr. Goupy que je visite et qui me plaît cmme homme et comme saint, attentif et de foi, j’écoute, au garde-à-vous, devant le monument aux morts, le discours du général de Gaulle pour le cinquantenaire de la bataille de Verdun. Il s’agit de Pétain et c’est mieux que bien dit. Vitalis Cros a donc des références acceptables pour m’initier à François Mitterrand, je prends l’opposant au pied de la lettre, il est convaincant, convivial. Le préfet de Loir-et-Cher le juge menteur jusqu’à la ponctuation.

La tempête inattendue de Mai, en 1968, la débâcle du franc que je vis en banque alsacienne à Strasbourg comme une revanche explicite de l’O.A.S. et des tenants de l’Algérie française, faute que le colonel Bastien-Thiry ait réussi son attentat – c’est en tout cas ce que m’exposent certains des hiérarques de l’établissement, il est vrai de l’ « intérieur » et non dialectophones – puis la campagne pour l’ultime consultation dans les premiers mois de 1969, me désespèrent. Je sens que c’est perdu, que tout est perdu, le 30 Mai ou le 25 Novembre, reprises de main par «  la magie du verbe », ne sont qu’un bonheur aigu mais éphémère. Le temps de la nostalgie, puis de ma résolution, de la volonté de comprendre ce qu’il s’est passé et pourquoi a-t-on fini, en mon pays, par ce paradoxal désaveu, commence avec mon entrée dans l’administration. De mes vingt-six ans à mes soixante-quatorze ans bientôt, je n’ai pas lâché ce fil directeur. Mais comment ne pas douter alors ? au départ de 1969… quand personne – qui soit bien placé ou qui dipose d’une solide notoriété aux côtés de celui qui, certes tombé, n’en finira plus de grandir dans l’appréciation nationale – ne propose une réelle continuité. Moyennant toute imagination, bien sûr. Celle que les circonstances, de 1969 à nos jours, inspirent avec force, constamment. Et comment aujourd’hui comprendre ? que le plus simple de l’ensemble de nos traditions, expériences, institutions nationales ne soit pas mis à contribution pour des missions apparemment nouvelles : ratifier et assurer les nouvelles consistances et cohésions de notre peuple, projeter enfin l’Europe vers une force et une identité qui manquent au monde actuel. Dans ces deux registres, personne depuis plus de vingt ans n’apparaît, personne ne m’a inspiré confiance, que quelques semaines une espérance tenant chaque fois plus à moi, à quelques-uns ou beaucoup de nos concitoyens, qu’au nouvel élu.



le même vendredi, à la pointe de Bill, pendant l’école de voile de notre fille, 
de 14 heures 37à 16 heures 20.

jeudi 25 août 2016

rédaction continuée













1 .

Le doute










Jamais, je n’ai cru être beau. Jamais, assurément, je n’ai été sportif. Convenable physiquement, plutôt de face que de silhouette, car je suis voûté et compliqué de dos, comme peut-être ces schémas en spirale pour figurer des chromosomes. Le profil de trois générations de mon père à mon arrière-grand-père, le nez aquilin qu’ils m’ont transmis. Deux médecins, un polytechnicien actuaire. Du ski à force d’en pratiquer, notre fille, ses « patinettes » entre mes planches, et aller vers les filets de sécurité et la neige profonde y basculer ensemble. De la nage, surtout en apnée, de la plongée avec bouteille, de l’endurance sans performance. Un homme de tendresse, de charme, d’analyse économique et politique, boursière aussi (hélas, car il fut joueur, croyant à Pascal et à Descartes qu’il avait beaucoup lus, mais ne jouant que dans des casinos aux taables truquées, ce qui coûta sans doute la vie à Joseph Fontanet, découvrant presque tout au Ruhl, et la confiance mutuelle amoureusement scellée et longtemps sans question :e le couple de mes parents, toutes disponibilités mobilières et immobilières jouées et perdues). Tu es le plus doué de mes enfants. Entendre cela est sans doute rare, surtout si l’on a huit frères et sœurs, dont un aîné, professeur des hôpitaux. De celui-ci, le mot terrible à mon médecin traitant qui commandait l’école d’application du service des armées et tenait le front arrière pour le Dr. Gubler et François Mitterrand : il avait tous les talents. Au passé, la formule signifie et souligne : il a raté sa vie. Et l’échec éloigne tout de vous, n’est-ce pas ? et notamment, l’argent au jour le jour, et les emplois de rattrapage.

De l’aisance en parole et en maintien : vous, en tout cas derrière ! le second en chronologie de mes ambassadeurs – je veux dire, le chef de mission diplomatique, assez loin de qui j’exerce professionnellement au poste d’expansion économique à Lisbonne, pendant que s’achève sans vrai aboutissement « la révolution des œillets » – me remercie ainsi de l’avoir aidé à disposer les chaises dans une des belles salles du palais Abrantès pour un concert de chambre. Vous n’aurez qu’à vous présenter, et ils voteront pour vous. Malicieux, Michel Jobert commente la lettre qu’il me donne à fin de publication dans l’Est Républicain et pour un tract à circuler dans le Haut-Doubs. J’y brigue la succession d’Edgar Faure à l’Assemblée nationale, puisqu’en Novembre 1980 se jouent des élections sénatoriales : les gagner donnera une quasi-invulnérabilité viagère à l’ancien président du Conseil, puis aussi ministre de l’Education nationale après avoir été celui de l’Agriculture pour le général de Gaulle. Intelligence rare, personnalité très complexe que l’argent et la recherche du plaisir, artificiel si nécessaire et donc pas bien beau ont secrètement abîmé. Lucie Faure rachète beaucoup et les marques de considération que je reçois de l’un et de l’autre, me font évidemment plaisir. Je m’illusionne même : revenez me voir, je ferai votre carrière, c’est notre première conversation, appartement à l’angle de l’avenue Foch ou presque et du boulevard Flandrin. Le salon d’attente comble, davantage cour des miracles qu’entrée de parloir. Tandis que je suis assis en face de lui qui est à son bureau, ambiance tamisée, le téléphone : ah oui ! on est mercredi, le conseil… puis un autre appel : entendu Georges. Je partage donc des éléments de conversation avec Olivier Guichard puis avec Georges Pompidou, le président de la République. Un peu plus tard dans le règne de celui-ci, j’assiste dans le bureau du ministre des Affaires sociales, où m’a introduit un huissier qui avait le même office au temps de Pierre Laval, à une nouvelle conversation : Aimé Paquet, président du groupe parlementaire des Républicains Indépendants, apporte les voix qui dépendent de lui à celui qui convoite le « perchoir » contre Jacques Chaban-Delmas, inamovible là-haut tant que de Gaulle fût le président de la République. Les fois suivantes seront plus praatiques et donc décevantes. Pour Pontarlier, le candidat mal assuré à la place de compensation qu’offre le Sénat et qui préside ce qu’il veut absolument garder, la région de Franche-Comté alors qu’il est à Béziers ou au Levant, on ne sait pas… refuse de me parrainer pour le siège qu’il abandonne. Jean-Pierre Chevènement m’a recommandé auprès du tombeur d’Edgar Faure à sa mairie : sur le papier, un soutien socialiste et un désistement des anciens gaullistes, s’il y en a dans ce Jura, devrait me faire élire. Ou la combinaison contraire s’agissant de battre le candidat se réclamant du président régnant, Valéry Giscard d’Estaing. Rien de cela ne se montera. Je serai en tête dans un ou deux villages parce que le hasard ou la Providence m’auront fait déjeuner dans le café du lieu, en voisin de table de la petite municipalité, m’accueillant à poser mon assiette parmi les siennes. J’apprendrai, à ma stupéfaction, que les deux conseillers généraux de la circonscription, désormais rivaux, le chiraquien totalement improvisé mais qui obtiendra le siège pour trente ans, ne sont pas connus, ni l’un ni l’autre en dehors de leur propre canton. On me prend pour l’un d’eux puisqu’il est exclu qu’un autre ose se présenter localement. La conclusion morose d’une autre élue à l’assemblée départementale : vous êtes trop bien pour nous, est en réalité un constat d’expulsion. La réalité est pourtant d’un pays qui me plaît et me correspond par sa sobriété, sa rudesse de climat, sa beauté intense quelles que soient les saisons de l’année et les lumières du jour – combien Pierre Bichet, figure magnifique, virile sait les rendre sur des toiles parfois immenses : il a été le cinéaste d’Haroun Tazieff et chez lui je rencontre un été Hélène Cixous et Jean Grosjean. Je m’incruste donc, m’infiltre dans la liste du maire sortant et siège au conseil tout un mandat, mais dans l’opposition, Denis Blondeau a du talent, de la fidélité et de la curiosité pour moi, mais ses ennemis augmente en nombre et en influence chaque année. Il disparaîtra. C’était entre lui, le giscardien et le chiraquien un combat etre chauffagistes. Activité irremplaçable dans la « petite Sibérie » que dût traverser Bourbaki pour réfugier son armée en Suisse, talonnée par les Prussiens. La circonscription avait eu, sous Jules Ferry, un député musulman, comtois converti dans des circonstances que je n’ai pas apprises et qui priais, tapis déroulé sinon dans l’hémicyle du moins dans les couloirs attenants : cela a du relief et dans le Haut-Jura on aime l’exploit, on tolère la personnalité ce qui en campagne plate ou en bord de l’océan est plus rare. Je faillis être accepté en candidat d’ouverture après la réélection de François Mitterrand, un excellent suppléant, secrétaire de la section socialiste voisine, chaleureux et convaincu au possible. La rue de Solférino malgré un mot – qui me fut promis – du secrétaire général de l’Elysée, ne m’appuya pas, un instituteur, appareillé des deux oreilles, représenta la gauche et le nouveau septennat pour que le siège demeure à droite. En Bretagne où je restaurais deux longères, le long du ria de Penerf, j’aurais plus de chances et serais sinon natif, du moins permanent, sur place, quotidiennement visible, ma mère inhumée : là. J’entrai au conseil « en papillon » quand la liste unique du maire sortant quand j’arrivais d’Asie centrale (à Pontarlier, j’atterrissais de Grèce où roulais depuis l’Adriatique jusqu’à Lausanne et Vallorbe pour le col de Jougne), comportait un nom que les gens de Surzur, ayant pourtant donné une place, celle de la mairie, au père du candidat,  artiste et bretonnant réputé… voulaient éliminer : sa femme refusait que l’on vienne aux champignons dans leur forêt. Je jugeais au panachage que c’était ce nom-là qu’il me fallait rayer. J’avais raison, suspense, a priori pas de second tour, toute la liste élue, et donc moi exclu au prétexte que si j’en avais fait partie, elle aurait eu moins de voix. Et il en manqua une, celle que j’empêchais ; le second tour, imprévu, fut une « élection de maréchal » (celles de nos chefs à la suite de la Grande Guerre) mais la seule de ma carrière politique, si cet adjectif me convient jamais. Car au conseil municipal de Pontarlier, je fus rattrapé par un désistement au bout d’un an. Sept places et initialement j’étais le huitième de la liste écrasée. La mairie ne me fut pas été confiée au renouvellement du mandat pas plus qu’à Pontarlier douze avant (brève brigue qui m’avait fait recevoir par Lionel Jospin, alors premier secrétaire du parti dominant) : interdisant la chasse, chez nous, la trentaine d’hectares boisés ou en pâtures inoccupées, j’ai contracté une inéligibilité à vie : cinq de nos chiens ont été fusillés et deux empoisonnés. La Bretagne des landes et marais, en bord de mer, n’est pas la périphérie de Strasbourg, aux jardins maraîchers où est née ma femme. L’accueil est chaleureux pour holloween, notre fille et de ses camarades d’Alsace font les maisons au feu des torches et je pousse des cris suraigus : nous nous amusons beaucoup à chaque vacances païennes de Toussaint, ma tante par alliance cultivent des citrouilles de concours.

Je ne crois pas souffrir de n’avoir eu aucun mandat, et donc aucune carrière politique. Ma relation à la chose publique a été mes affectations successives dans notre diplomatie économique et commerciale. Représenter, faciliter, arranger, rattraper, rencontrer, être reconnu très typique de notre pays. Célibataire, la facilité par position sociale et par aisance financière – l’indemnité dite de résidence servie à mes époques aux fonctionnaires expatriés – le principal vecteur pour pénétrer le pays partenaire, qui m’est totalement étranger quand j’y atterris, est une jeune fille de l’endroit. Cette grâce sanctifiante et stimulante, très explicative, m’a toujours été accordée. De chacun des pays où j’ai été nommé, j’ai donc reçu la manière et tous les motifs de l’aimer, et – aujourd’hui – de ne pas l’oublier. Le célibat n’est pas un vœu mais une attente et aussi une certaine atrophie, l’incapacité de décider de soi et d’une stabilité à vie. Ayant mal commencé ma vie sentimentale, je n’en tirais pour me consoler que d’écrire ma mise à la porte pour écart de fortune et excès de demande ou d’exclusivité. Le premier de mes romans m’initia à cette magie de l’écriture qui, quand on s’y livre, fait comprendre ce qui n’était pas visible en forme ordinaire de la vie, celle où nous respirons et commentons trop. L’écriture est éloquente par son silence et parce qu’elle est difficile, qu’elle nous oblige à accepter que tout fuit et manque de ce que l’on croyait pouvoir réciter et restituer. Ma mère m’avait appris à lire, former les lettres, puis à entrer et demeurer dans un livre, elle aimait des auteurs et avait alors tous d’eux. Je ne l’ai jamais vue lisant, mais elle lisait beaucoup. Sauf les reliures et skivertex préférés par mes sœurs et frères avec les meubles de palissandre qui les présentaient, j’ai hérité de ma mère sa bibliothèqèe brochée. Toute la littérature française du XXème siècle est là, en première édition. Il y a même un Mauriac, signé en souvenir d’un homme pour son prénom : qui fut-il pour elle ? elle avait seize ans, il n’était pas de notre famille. J’ai aussi reçu, nommément, l’enveloppe contenant quelques lettres d’un officier de Guynemer visitant assidûment ma grand-mère maternelle à Crépy-en-Valois où avait été établi la première escadrille française, pas très loin des fronts les plus avancés de l’Allemagne. Mon grand-père était cheminot, conduisit trois semaines durant le train-état-major de Pétain sous Verdun, il n’était pas souvent au foyer. Le capitaine de Rupière, inopinément, réintégra l’infanterie et s’y fit vite tuer. Son ordonnance apporta la reliques à ma grand-mère. Ma mère admirait intensément la sienne, fort belle il est vrai à ses vingt-cinq ans, et la mode serrant la taille, disant encore mieux le corps parce qu’elle le couvrait totalement – l’érotisme des chevilles me disait mon grand-père approchant ses cent ans et me battant régulièrement et avec le sourire aux échecs. Ma mère d quelqu’un de bien plus âge. Elle épousa un bicorne portant épée et fort bien mais de onze mois seulement son aîné. Elle en resta très amoureuse et même compatissante, quoiqu’elle dû le séparer d’elle pour sauver les meubles, au sens littéral de cette expression. Elle lut tardivement mais comme on prend connaissance d’une enquête très serrée, l’oeubvre de Dostoievski, et quand le joueur fut mis à l’écran ou rediffusé à la télévision, elle s’obsèda durablement de cette image des mains et des jetons, mon père et le tapis vert.

Me voici, dans de mauvaises conditions physiques et à un âge qui, il n’y a pas encore longtemps, était déjà celui des vieillards, à tenter un pari suprême et à projeter l’ordalie de ma vie. Une existence convenable, du papier imprimé, une certaine estime de mes fonctions d’antan, soit. Mais, non par orgueil et quelle ambition serait  loisible quand on part d’où je suis et à l’heure qu’il est à présent, j’essaie de fonder quelque chose, car il me semble qu’elle nous manque. Suis-je joueur ? non, parce que je ressens profondément n’être pas seul. Il y a, il y aura : vous. Il y a notre pays, il y a aussi, sans hiérarchie ni ordre chronologique toutes les circonstances, toutes les rencontres de ma vie, il y a ma foi aussi, il y a ce que j’ai reçu et qui ne se quantifie pas, et ne se date pas vraiment. Donc, ne se périme pas. Mon visage, surtout mon corps, si changé, au matériau, à la chair qui tombent et pâlissent, n’ont plus que rarement – très rarement, accident de l’amour, accident du reflet d’un moment parfait – un peu d’éclat. Mais à mes trente ou quarante ans, publié par le quotidien national du soir faisant le plus autorité, reçu par le président de la République en tête-à-tête tandis qu’attendent, depuis l’heure convenue, le Premier ministre et le ministre de l’Education nationale ou le président luxembourgeois de la Commission européenne, et que François Mitterrand s’essaye à évoquer de Gaulle devant moi qui en aie quelque idée, surtout militante… doté ainsi, favorisé ainsi, silhouette fine, alerte, pas trop narcissique, qu’ai-je donc produit d’utile, de durable ? pour le pays ? et même pour moi ? que de l’attente pour savoir si j’irai plus loin et établirai au moins une position. 


à la pointe de Bill, pendant l’école de voile de Marguerite,
le jeudi 25 août 2016 de 14 heures 30 à 16 heures 17




Notre fille me confie son grand projet. L’idée lui en est venue avec une amie de classe, en permanence, au collège (je disais : en étude, elle dit : en perm. Et n’a jamais entendu autre chose, d’autant que la perm. commence en sixième et qu’elle en sort juste). Elle m’interroge, ce que j’en pense. Je réponds sans hésiter que l’idée est très originale parce que cela vient de deux très jeunes filles, de deux petites Françaises, et que cela n’est certainement pas venu à la pensée de beaucoup, plus encore d’adultes. Elle foisonne d’idées, les propose et celles-ci sont reprises par ses camarades ou amies de classe, la cour de récréation, sans que le droit d’auteur et la reconnaissance de l’emprunt soient respectés. Est-elle, son amie et elle sont-elles originales, ne vont-elles pas être copiées ? Je l’assure que non. Je me propose à lire ce qui les inspire et qu’elles vont donc prolonger et faire aboutir. Elle refuse, c’est son travail, leur travail. Ne m’a-t-elle pas asséné, il y a peu, c’est ma vie, et j’en fais ce que je veux. Elle m’apprend le respect, le respect de son invention, le respect de sa manière de travailler mais elle a besoin de ma caution, de mon évaluation.

Depuis dix ans proches d’être révolus, je ressasse les mêmes thèmes, les mêmes propositions que je crois les réponses justes et dont nous sommes capables nationalement, aux défis, aux circonstances, aux urgences. Il n’y a guère plus d’évolution, malgré tant d’apparences et d’événements, dans le monde de notre époque, qu’il n’y en a chez nous, dans l’ensemble de notre pays, de nos mentalités courantes, tel que c’est déploré par les commentateurs, les pédagogues en tous genres que sont devenus nos gens politiques, l’étranger cité à témoin mais toujours en version sous-titrée. Les réformes. C’est une présidente de notre patronat français qui a observé l’abus du mot réforme. Nous avons eu – pour les centristes pas encore ralliés à la majorité de droite soutenant Georges Pompidou, mais moins son Premier ministre, trop mendésiste, Jacques Chaban-Delmas – le qualificatif de réformateurs. Ce fut un parti, peu d’années, absorbé dans la tentative de faire pièce à l’émergence d’un parti simpliste, mené par le culte, le goût, la passion du chef : ce genre de parti de plus en plus typé mais changeant de plus en plus souvent pour faire croire à des mûes et à sa nouveauté. Et ces thèmes, comme les idées en cour de récération, ou en perm. sont parfois repris. J’ai conscience de n’avoir été qu’en avance de quelques mois ou années – vous trouverez en annexe à ce que j’ai entrepris de vous confier une liste de ces propositions – mais en revanche je déplore que les moyens qui les développaient ne sont toujours pas pris. Nous sserions en mal de démocratie, on propose par à-coups une démocratie « participative », combien le substantif fut rayé quand de Gaulle l’employa, l’explicita et voulut l’appliquer notamment dans l’entreprise, puis à l’échelle politique nationale ; ce fut Michel Rocard qui trouva efficace de réciter pour ridiculiser : je participe, tu participes, il participe, nous participons, vous participez, ils profitent…. un homme devenu âgé et dont on ne pouvait avoir raison qu’en l’affirmant démodé, au moins pour les muséologues prêt à accueillir l’homme du 18-juin.

La démocratie est d’abord l’égalité, elle oblige au respect mutuel, donc à l’écoûte, au partage des échanges des vues et des opinions. Mais elle est coûteuse – pas en frais d’un scrutin référendaire – elle fait parfois tout revoir, tout reprendre. Le plus jeune de mes trois frères lit le cahier d’écolier dans lequel notre mère a écrit ce qu’à chacun elle attribue personnellement, le reste de ses meubles, de ce qui l’entourait et à quoi elle était attachée sera partagé avec des estimations de valeur. Jusqu’à ce moment, j’étais le puîné, qui souvent dans les familles nombreuses a l’avantage et le pas car l’aîné se sait incontestable – le mien a même interrogé son notaire sur la survivance et les effets du droit d’aînesse – et que les cadets ont longtemps été les petits et l’acceptaient. J’avais aussi pour moi depuis deux décennies une publication régulière dans des journaux nationaux et une fonction qui, à son apogée, devient un titre. Ce jour-là, je ne fus que l’un de neuf, même et surtout pour la pratique des dernières volontés de ma mère. L’évidence est qu’elle n’avait pas testé, mais sous le prénom de chacun de nous écrit quelques intentions – étaient-elles datées ? le saurai-je jamais car le cahier fut aussi détruit, la lecture terminée et l’une de mes sœurs en larmes, sous son prénom : rien, tout simplement parce que l’ensemble était seulement en gestation. Tout se rattrapa par la générosité de la fratrie. Il n’y eut pas de dispute car vénalement il n’y avait pas matière à bataille. Chance, mais ce que je retins a été que l’égalité dans une société qui n’en a ni les structures ni la culture, n’est que rarement une envie même des mineurs et des écartés, et encore plus exceptionnellement une pratique, une invention, une adaptation de quelque chose à une circonstance, à une situation chacune immédiate et concrète.

Je crois que nous avons chacun une expérience vécue qui devient conductrice d’une perception de notre société et - même – de nous. Notre regard a dû changer, sur moi-même je n’ai plus le même regard. Quoique ce soit, à les vivre, des moments douloureux, même horribles, on ne se sent pas tué, mais on perçoit que le résultat va être que nous aurons été tués… j’en ai souvent la mémoire et voudrais alors l’écrire, exhaustivement, cette expérience de l’impuissance. Quand elle est infligée par autrui, serviteur ou recéleur d’un système, coupable de ce système ? non, je ne l’ai jamais jugé. Coupable de ne pas sentir monter la possibilité d’une compassion, d’une écoute, corrigeant, adaptant, humanisant le système. Et quand le constat d’impuissance vient du constat simple de ce que l’existence humaine fait d’elle-même, la limitant, l’amenuisant, la dévalorisant parfois.. Et quand, enfin, stade suprême ? ou y en a-t-il encore un, pire, pas dicible ni sensible d’aucune manière, et dont je n’ai pas la moindre prévision, sinon que sans doute il existe, quoique ce ne soit pas encore la mort. Car la mort n’est que passage obligé – foi chrétienne, intuition et surtout d’avoir accompagné, vu, intensément vécu les dernières minutes de personnes si proches, fraternelles qu’elles ne m’ont jamais quitté. Un passage pour l’accomplissement, j’en suis sûr, seule douleur que j’appréhende : la souffrance de celles, de ceux qui m’aiment, m’auront tant aimé et tant donné d’eux et de moi. Mais l’impuissance, être réduit, se voir, se reconnaître réduit à l’impuissance. Mentant avec tranquillement car elle tient le beau rôle, le rôle du plus fort, du seul fort, à l’étage des ministres, ceux de la rue de Bercy, en bordure de Seine, chargée de la ressources humaine quand celle-ci a quelque grade, elle articule qu’il va me falloir changer complètement l’orientation de ma carrière professionnelle, certainement ne plus servir à l’étranger car le ministère auprès duquel j’ai été détaché (vocabulaire pour le maniement administratif des destinées) et qui m’a rendu à la direction où j’émarge, ne veut absolument plus de moi, pas seulement en son sein, mais dans toute sa mouvance : nos ambassades quel que soit le service. Dans les quarante-huit heures, j’obtiens la lettre démentant cette défausse mais elle ne produit rien auprès de qui, sans jamais m’avoir rencontré avant que j’avance vers sa table de travail, me veut à terre. Un des éphémères directeurs de ma « maison » d’origine, se donnera le même plaisir. Le Conseil d’Etat annulera mon rappel mais ne me replacera nulle part. D’autres de mes homologues savent faire commerce de la position qu’ils ont occupée, d’autres préoccupent les dirigeants quand ceux-ci sont nouveaux. La plupart se servent ou sont resservis, reçoivent compensation. J’ai donc appris ma vulnérabilité, j’en avais toujours eu le sentiment mais n’en avais tiré aucune conséquence dans mon comportement. Entré dans les colonnes du Monde, et devant insister, rappeler, demander quand mon papier passera, passerait, insister et être informé par celle qui était mon alliée et sans doute ne cessa de l’être que sur le conseil de relations censément amicales que j’avais amenée au journal et donc à elle… je savais ne dépendre que d’une seule personne : le directeur, Jacques Fauvet. Il fut dit que sa succession n’était pas légère ni agréable à prendre car ce serait avoir à corriger mes textes… illisible et piteux, je n’étais donc qu’un favori, disparaissant si tôt parti celui qui m’avait donné sa faveur. Une ambassade, chroniquement elle m’était refusée quoique cette attribution était le vœu du plus durable en fonction de tous nos présidents : quatorze ans, jusqu’au dernier souffle, ou à peine avant. Servir a toujours été pour moi une affection et le synonyme le plus proche en est l’admiration. Je n’ai pas servi François Mitterrand mais je l’ai défendu, dans les années les plus dangereuses de sa marche au pouvoir, ce sont les dernières qui comptent dans cette sorte de parcours, défendu par écrit et grâce au journal où, certainement, j’eusse aimé être admis en professionnel. Directeur un jour, peut-être, héritier ? critique et écrivain politique. Jacques Fauvet m’avoua ensuite qu’il y aurait perdu sa propre place, s’il m’avait ainsi reçu. Les papiers, chacun c’était déjà trop. Dans mon administration, j’étais – aussi – en trop. Au point que j’ai souhaité un bilan de compétences quand ne m’arrivait plus de proposition d’emploi. La fonction publique compte moins de nantis qu’il ne fut dit par un universitaire de talent et de renom, donc un fonctionnement, passé brillamment à la politique, mais ayant échoué pour le grade suprême, Raymond Barre eût été un excellent président pour notre République.

Le rebut. Ce qui en approche le plus dans l’intimité personnelle est dans doute cette situation de n’avoir plus de désir, mais fou, passionné, que mentalement et ne pouvoir sexuellement le montrer, le démontrer, le manifester à celle qui jouit de se refuser. J’ai connu cela. Saint Louis au futur, conçu dans l’ambiance de Bouvines, c’est certain. L’exaltation ou le dédain décident d’une érection. L’ablation de la prostate – je l’ai subie, désespérant dès le diagnostic, de tout, courant après l’urgence d’une descendance, d’une paternité que j’avais persvéramment refusée jusqu’à l’avortement pendant trois décennies – cette ablation-là ne condamne à rien. Pourvu bien sûr que le chirurgien soit adroit, sinon génial. Au Val de Grâce où je fus diagnostiqué puis traité, après avoir été accueilli en urgence quelques années plus tôt – celle de ma mission au Kazakhstan – pour une cure d’éventration causée par les centaines, les milliers de kilomètres que j’accomplissais par la route pour montrer dans la steppe nos trois couleurs, le praticien fut ce qu’il doit être. Le plus important n’a pas été cependant de son ressort. Il faut pour revenir aux capacités de l’étreinte masculin-féminin l’amour, la patience, l’attente et le désir de l’autre, de la femme. Vingt-cinq ans plus tôt, j’avais en pleine force et en constante disposition de mes capacités, vêcu le contraire : le visage et forme glaciale de tentation me fascinait, le corps était moins beau mais le sexe détruisait par avance ce que par nature il aurait dû désirer. Celle qui me désirait d’âme et de corps, je l’ai épousée cependant grâce à une tout autre expérience de l’impuissance, celle-là sans remède, malgré notre amour et notre ingéniosité : la mise à mort d’une société de gestion de portefeuilles éthique et solidaire, jalousée de beaucoup car ma femme ne facturait que les gestions bénéficiaires. Nous avions commencé de démarcher des associations diocésaines, mon éducation, la permanente interrogation sur un état de vie peut-être religieux me donnaient l’accès à nos évêques et nous projetions d’établir un fonds dédié aux choix et priorités islamiques puisqu’à mes vingt ans, j’avais été accueilli par des musulmans, noirs ou blancs, en plein désert, celui d’une capitale où poussaient plus de panneaux indicateurs de projets que de maisons et bâtiments. Nous fûmes victimes de celui qu’une autorité dont aucune juridiction française ne sait la nature, nous avait imposé en condition de son agrément. Le bonhomme gérait illégalement pour compte d’autrui, un ancien de la brigade financière, un temps détaché place de la Bourse, puis mis en taule. Son jeune comparse, sans aucune talent que le port d’une particule, utilisait le logo de la société pour transférer de sites pédophiles à l’adresse de son épouse de quoi ravitailler des clients que protégeait même la police de l’ouest parisien le mieux élevé et le plus catholique. Le référé tourna court car j’avais cru plus convaincante ma femme, d’ailleurs seule gestionnaire, que moi n’avançant que des points de droit. Ma femme fut ainsi dégoûtée – par injustice, par constat de l’incompétence ou de la compétence de beaucoup de hiérarchies [1], bien plus que par exclusion -  de la plus vive pointe d’un métier où elle avait excellé selon toutes ses branches. Je l’ai regretté mais elle continue de me transmettre des manières d’analyser et de comprendre, sans lesquelles bien des éléments de ce que je suggère à nos gouvernants ne me seraient jamais venus à l’esprit. Or, ils remédient à l’un de nos mal-êtres les plus dirimants, notre endettement. Allant en cassation puis en cour européenne des droits de l’homme, nous ne pûmes faire entendre pas tant raison, que justice. J’ai depuis vingt ans, après avoir tant rédigé en droit pour d’autres, notamment nos entreprises en peine de marchés étrangers ou surprises par ceux-ci en manque de garanties, aimé écrire le bien-fondé et les arguments de mes causes, puis de nos causes. J’ai même cherché à faire prendre conscience à de bien grands de ce monde leur rayonnement, leur fécondité possibles. Aucun temps de jachère et d’incertitude sur la suite, aucune exclusion de la profession ou de l’exclusion ne m’ont ôté le réflexe le plus banal, quotidien d’exercer ce petit rôle du souffleur au théâtre qui dépanne les plus grands artistes. Mais ayant aimé de Gaulle d’affection, celle qui par empathie donne à comprendre une intelligence, j’ai pu me passer d’auteur et donc de texte, sans doute depuis les « événements de Mai », mais j’ai commencé, ne les voyant que d’en-bas, des pieds d’abord, à souffler, c’est-à-dire à rappeler ce qu’il faudrait jouer, incarner, représenter. Les dirigeants, les acteurs font face au public, le souffleur dans son trou lui tourne le dos, au-dessous de tous les protagonistes. C’est une place que j’ambitionne encore, c’est celle – sans doute – de l’âme, puisqu’il s’agit de contenu, non de pose.



En annexe, il y aura donc – prévus à ce point de ma composition
1° l’énumération de mes propositions d’ajustement de l’Etat au bien commun (suggestions politiques et économiques dont l’exécution est de la compétence du président ou de son gouvernement
2° la citation de la conclusion du livre posthume de Georges Pompidou, la justice, saint Louis sous son chêne à Vincennes
3° ma demande à FH et son mode d’emploi, le quart d’heure tête-à-tête chaque quinze jours ou trois semaines
4° ma lettre à VGE de Novembre 1974, déjà du même ordre
5° ma lettre à Gorbatchev (qu’il me faut retrouver) en 1987 : le rayonnement et l’importance névralgique de ce qu’il a commencé de faire en Union soviétique
6° mes lettres à Kohl pour le remercier de son amitié pour FM et pour la France, et à Merkel pour lui demander de faire ce que la France ne sait plus faire ou être, telle qu’elle est dirigée



Reniac, le jeudi 25 août 2016, à ma table de travail
de 18 heures 37 à 20 heures 38



[1] - évocation de l’affaire Kerviel
 

rédaction commencée








Pour que demain commence

conversation, projet et mémoire















titre trouvé samedi 6 au matin en écrivant à Laetitia de V, et affiné soir du dimanche 7 juillet 2016

à suivre par

Penser à nouveau notre politique étrangère

Etablir et pratiquer notre démocratie
recommencé à la saint-Louis, roi de France – jeudi 25 août 2016 – 10.11 heures








En introduction mutuelle, nous rencontrer


Peut-être, avant que vous ne me fassiez maintenant l’honneur de commencer à me lire, nous sommes-nous déjà rencontrés ? La rue, les transports en commun, Paris et le métro, l’autobus, les RER, les TGV. Ou bien des queues devant un cinéma. Ou bien une attente à l’école naguère, ou cette dernière année scolaire. Ou des exposés dits conférences sur les mouvements sociaux en France à l’occasion de ceux de Novembre-Décembre 1995 – que de rencontres, quelle facilité pour nous aborder les uns les autres en défilés de manifestations ou en ouverture de la portière de voiture quand il y a embouteillages urbains et pénurie de carburant. De plus en plus j’aime aborder qui m’a attiré inconsciemment : silhouette, regard parfois, deux-trois phrases, la vérification d’une affinité, d’une réaction commune. Pas plus, mais cela demeure. Nous avons échangé peut-être nos adresses internet. Naguère, c’était seulement celle pour la poste, les dernières pages de mes carnets (de terrain, m’a dit une voyageuse en Asie centrale) recueillent ainsi des façons d’autographes depuis trente ans : Alain Savary, rencontré aux retrouvailles brèves de François Mitterrand pour ensemble aller à Saint-Pierre et à Miquelon. Je ne prends qu’un exemple. Peut-être, bientôt, beaucoup de ces dernières pages.

Ou nous nous connaissons déjà, de pratique et d’affection. Vous êtes neuf, en attendant deux autres, à être dans ce secret que je garde vis-à-vis de ma chère femme qui trouverait l’entreprise folle, risquée, sans doute dispendieuse, à commencer par l’écriture de ce livre puisque depuis des années je n’aboutis pas à un texte trouvant son éditeur, puisque depuis des mois je m’angoisse de mes essais et impasses, de mon impuissance et de ma stérilité. Mais c’est notre fille qui a reçu ma première confidence. Elle en craint la réalisation, le succès-même : elle souhaite n’être pas remarquée, elle n’apprécie pas que je parle « à tout le monde », dans les grandes surface pour les courses alimentaires (ces termes d’aujourd’hui pour dire magasin ou ravitaillement…), il me faut souvent une pancarte réversible mais qui reste imaginaire, à suspendre à mon cou quand avec notre fille, donc, nous faisons la queue aux caisses et que souvent j’y remarque des beautés princières que n’ont généralement pas à leur bras nos grandes fortunes ou nos belles situations nationales, chez nous et ailleurs, selon les périodiques qui leur sont affectés : je ne suis pas le pappy, je suis le papa. C’est elle qui me voyant écrire, pendant la campagne présidentielle de 2012, des articles de critique ou de soutien, me conseilla : tu devrais écrire, papa, un article, si la France mentait… elle ne m’a pas donné la ponctuation, elle avait huit ans, elle aurait voté pour Eva Joly, les lunettes de celle-ci et sa lettre à la France, nous devions lui écrire, comme d’ailleurs à Natoo et à Enjoy Phénix, et ne l’avons pas encore fait. Internet et l’informatique apportent ces années-ci à notre civilisation deux éléments décisifs pour son évolution. 1° nous sommes les premières générations où les jeunes enfants ont autant à apprendre et à transmettre à leurs parents, que ceux-ci à leur inculquer et enseigner : la technologie et la tradition. Nous serons toujours en retard d’une technologie et n’en auront pas l’instinct. Quant à la tradition, à la mémoire, aux ascendances, elles peuvent d’autant plus s’éteindre que nous ne savons plus provoquer la demande, la curiosité. Car 2° c’est la lacune à laquelle nous ne pensons pas encore remédier : n’éditant pas le virtuel de nos écrans d’ordinateurs et de banques de données, nous sommes déjà sans archives physiques : Sumer et l’Egypte nous en font retrouver encore des leurs, on lit les lettres de Louis XI, les évangiles et le coran sont là. Faire fonctionner un matériel de trente ans, les micral bull et leurs disquettes du format de nos 45/tours audio. Ou rentrer dans des logiciels, passés quelques années. Ce sera un métier, une archéologie.

Vous, vous qui êtes neuf et pour continuer, dans la discrétion ou ouvertement. Notre rencontre déjà qui a été une telle augmentation de moi-même et de ce que je peux comprendre de la vie, de l’époque. Notre époque. Un général à trois ou quatre étoiles, élu local, grand passé dans le renseignement ou dans les commandements multinationaux : il désespère de nous, faute de dirigeants désintéressés et vrais au point de penser partir s’établir au bord de la mer Noire avec son épouse, si nous échouons, lui, quelques autres, moi. Un jeune poète dans l’édition des autres et dans la mise au net d’entretiens avec des notoriétés de la scène : il écrit abstrait, immédiat, étonnant et m’aide à garder espoir dans mes capacités. Un coureur à pied à travers le Sahara pour financer l’eau et les potagers d’un village malien après avoir, dans les institutions genevoises, guetté la pratique sincère des grands traités humanitaires : c’est autour de Michel Jobert, la démocratie vivante et un autre regard… que nous avons contracté notre amitié, et nous cherchons à nous faire accompagner par un ingénieur-conseil perdu de notre vue depuis son remariage qui avait réagi au premier « papier » que Le Monde accueillit de moi, j’y assignais le premier successeur du général de Gaulle pour infidélité, et c’était à propos de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun (ce qui est devenu, bien différemment des pensées et projets de nos années d’après-guerre, l’Union européenne). Nous allons certainement le retrouver, de même qu’à un ancien collaborateur lors d’une affectation commune en ambassade (de France) à Brasilia, je compte demander de s’occuper de finances puisque, depuis, il est brillamment et efficacement chef d’entreprise. Donc à terme onze compagnons. Un ancien ambassadeur qui a dirigé le cabinet d’un ministre à risque et dont le domaine était risqué : nous nous sommes rencontrés pour tenter de faire pièce à un putsch africain dont les meneurs achetaient – en billets, en euros – la caution française, le secrétaire général de l’Elysée, d’alors, était récipiendaire. Un attaché parlementaire, qui avait été de mes élèves en enseignement sur les relations extérieures de l’Union européenne et sur les mûes institutionnelles de celle-ci : il est omniscient et dans les couloirs et salles du Palais-Bourbon, beaucoup de gens d’idées et de mutliplications des relations se trouvent, et sont abordables. Un émule de Maurice Grimaud, le préfet de Mai-68 : la distinction, la fidélité-même avec la discrétion et la réserve, la conscience de toutes limites qui vont avec les plus hautes responsabilités. Un franco-tunisien dont le père fut commensal de Bourguiba, quotidiennement, pendant trente ans : je l’ai rencontré en tentant de convaincre les Kazakhs de combiner la rénovation du second aéroport de l’Union soviétique (Karaganda) et la construction d’une voie ferrée à grande vitesse entre la cité minière et le chef-lieu de l’ex-goulag (Sélinograd devenue Akmola) promise à devenir la capitale du Kazakhstan : Astana. Depuis que ma mission là-bas, ouvrir notre ambassade à la chute des anciens régimes tzariste puis communiste, je n’ai guère suivi que la montée en corruption, en dictature, puis en âge du partenaire, fort intéressant, qui nous était donné : Nursultan Nazarbaev, alter ego de Mikhaïl Gorbatchev si celui-ci avait survécu à ce qu’il changeait. Un journaliste de grand talent, un écrivain de politique-fiction aussi, ayant avec un collègue, suivi pendant dix ans et sur place ce qui se vivait et se disait ou projetait à l’Elysée quand François Mitterrand s’y trouvait. Enfin, une autre bonne plume qui, comme moi, avait affectionné celle de Michel Jobert. Tenus au courant, un médecin urgentiste à Tahiti, un camarade d’enfance prix d’excellence (encore bien plus que moi…) et se donnant au développement du Maroc,  quelques-unes et quelques-uns encore.

Mais la rencontre naturelle – la nôtre à présent – est simple, évidente. Elle ne tient pas aux sympathies ou aux entreprises et affectations ensemble. Elle est, en ce moment-ci, universelle. Chacun, nous avons partie liée avec notre pays, le point où nous sommes tous de nos existences respectives a des traits en commun avec ce qu’il arrive depuis une ou deux décennies à notre pays.

Cette parabole mutuelle entre une France mal-traitée, inconnue ou presque de ses dirigeants de tous genres, une France que beaucoup réputent vieille, stérile, repliée et peureuse, raidie contre tout changement, quittée par sa jeunesse quand celle-ci est fortunée de famille et d’études fortes, et moi à mes soixante-quatorze ans quand commencera formellement la campagne pour le prochain mandat présidentielle, me parle beaucoup. Comment faire de soi une œuvre, une utilité, une fierté – peut-être – pour les miens, pour le bien commun, pour notre pays, car j’y tiens, quand dans une vie beaucoup de dons, mais bien moins d’opportunités, ont produit si peu au regard général et selon les critères ambiants ? Oui, comment ? Et pourquoi, quand l’Histoire et le bon sens nous ont tant de fois répété et montré que notre unisson, notre ferveur en tant que France, Français de tous âges, confessions, origines sont si porteurs, si chaleureux, nous transforment tellement pour le meilleur de nous-mêmes quand soudainement nous répondons ainsi à l’événement, aux circonstances, au drame, à l’intensité de retrouvailles nationales. Saint Louis a été conçu au moment de la bataille de Bouvines, sans doute fondatrice de notre pays en tant que nation psycholgiquement autonome. Les images sont souvent diffusées ces mois-ci d’un visage. Visage rayonnant d’une lumière surnaturelle, un homme dont la taille est alors – au physique et selon l’Histoire en train de se vérifier – au-dessus de tous et de tout. De Gaulle à Bayeux dans la foule qui marche. De Gaulle totalement subjugué par la mer humaine, celle de l’Histoire encore, qui va lentement faire haie de chaque côté de lui, descendant les Champs-Elysées, mais ouvertes, coudes presqu’au corps. Ce fut en 1214, c’était en 1944, c’est le 11 Janvier 2015, tant de chefs d’Etat ou de gouvernement sont avec nous à marcher de la République à la Nation, à peine au premier rang, mais notre mandataire ne saura pas remercier pour sa présence un monarque musulman venu à grands risques vis-à-vis de ses coreligionnaires plus encore que de ses sujets et le soir-même, il sera à la Grande synagogue de Paris avec un Premier minis israëlien appelant ceux de nous qui sont Juifs, à se défier de la France et à courir en sécurité à Tel-Aviv, c’est encore le 13 Novembre 2015, l’affolant hasard, puis – meurtre dans la cathédrale, Annouilh, Thomas Becket – l’assassinat en vêtement sacerdotaux de notre martyr contemporain, le Père Jacques Hamel dont les assassins sont condamnés par le Commandeur des croyants au Maroc, s’adressant à son peuple pour cette révolution qu’avaient su faire son grand-père Mohamed V avec tous les Maghrébins de l’époque quand la France n’avait plus de solution. Ces assauts de la terreur qui ont été vécus ces derniers mois, nous y avons répondu spontanément, hors de tout appel politique, mais le gouvernement d’union nationale, le resserrement en nombre et en qualité, en expérience déjà reconnue des équipes censées nous orienter et diriger n’ont pas été constitués. Une comédie à huis-clos, déclamée mnémotechniquement en une langue qui nous est étrangère, puisque nous la disons de bois, continue et va continuer. Son thème, la peur censée nous rassembler, la haine censée nous inspirer, le simplisme censé nous illustrer.

Je crois que nous avons honte de ce qu’il advient de nous. Dans les désastres, dans les grèves générales, quand s’affaissent les barrières et que la permissivité n’a son contredit que par nous, qui assumons alors la vie sociale et le minimum des gestions courantes, nous savons nous parler les uns autres, nous avons été inventifs dans nos pires années, celles où nos parents ou grands-parents appréhendaient le retour d’une guerre que nous avions de justesse gagnée en 1918 mais dont nous savions que nous allions la perdre face à un innommable et fascinant régime à notre frontière du nord-est. Inventifs pendant l’Occupation, à la Libération et – paradoxalement – grâce au fiasco de notre décolonisation forcée. Toujours, chaque fois, les portes de l’avenir s’ouvrent. Longtemps, elles ont dépendu de notre engouffrement en foule enthousiaste ou spontanée. Nous découvrons aujourd’hui que nous ne savons pas ou ne savons plus discerner notre avenir à la différence de notre futur, que nous ne savons plus discerner nos élites, ni ce que nous sommes par nous-mêmes, que nous ne savons pas choisir nos dirigeants. Sans doute payons-nous des successions et des personnalités de plus en plus calamiteuses, mais nous le tolérons, nous les tolérons, y compris la perspective des pires-antidotes. Alors les portes ne s’ouvrent plus.


Reniac, à ma table de travail,
le jeudi 25 août 2016 de 11 heures à 12 heures 25