www.protestants.org
Texte intégral de la déclaration de Barmen - 31 mai 1934
Face aux erreurs des "Chrétiens
allemands" et du gouvernement actuel de l'Eglise qui ravagent l'Eglise et
mettent en pièces l'unité de l'Eglise évangélique allemande, nous confessons
les vérités évangéliques suivantes
1. "Je suis le chemin, la vérité et la vie, nul ne
vient au Père que par moi." (Jn 14, 6)
"En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui
n'entre pas par la porte dans la bergerie, mais qui y monte par ailleurs est un
brigand.(..) Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi il sera
sauvé."(Jn 10,1.9.)
Jésus-Christ selon le témoignage de l 'Ecriture Sainte
est l'unique Parole de Dieu. C'est elle seule que nous devons écouter ; c'est à
elle seule que nous devons confiance et obéissance, dans la vie et dans la
mort.
Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle, en plus
et à côté de cette seule Parole de Dieu, l'Eglise pourrait et devrait
reconnaître d'autres événements et pouvoirs, personnalités et vérités, comme Révélation
de Dieu et source de sa prédication.
2. "Jésus-Christ a été fait pour nous, de la part
de Dieu, sagesse et justice, sanctification et rédemption". (1 Co 1, 30)
De même que Jésus-Christ nous communique de la part de
Dieu le pardon de tous nos péchés, de même il est également la puissante
interpellation de Dieu qui revendique notre vie toute entière ; en lui nous
advient une joyeuse libération des entraves impies de ce monde pour un service
libre et reconnaissant parmi ses créatures.
Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle il y
aurait des domaines de notre vie dans lesquels nous n'appartiendrions pas à
Jésus-Christ, mais à d'autres seigneur et dans lesquels nous n'aurions plus
besoin de justification et de sanctification.
3. "Professons la vérité dans la charité, et
croissons à tous égards en celui qui est le chef, Christ, par lequel tout le
corps est bien uni" (Ep 4, 15-16)
L'Eglise chrétienne est la communauté des frères dans
laquelle Jésus-Christ présent agit comme Seigneur, par le Saint-Esprit, dans la
Parole et les Sacrements. C'est au milieu même du monde pêcheur que, par sa foi
et son obéissance, par son message et par ses institutions, elle doit
confesser, Eglise des pécheurs sauvés par grâce, qu'elle n'appartient qu'à lui
seul et qu'elle vit et voudrait vivre uniquement de la force qu'il donne et de
ses enseignements dans l'attente de son retour.
Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l'Eglise
pourrait abandonner le contenu de son message et son organisation à son propre
bon plaisir ou aux courants successifs et changeants des convictions
idéologiques et politiques.
4."Vous savez que les princes des nations les
asservissent et que les grands les tiennent sous leur puissance. Il n'en sera
pas ainsi parmi vous ; au contraire, celui qui voudra être grand parmi vous,
qu'il soit votre esclave". (Mt 20, 25-26)
S'il y a différentes fonctions dans l'Eglise, aucune
d'entre elles ne doit dominer les autres, car toutes doivent concourir à
l'exercice du ministère confié à la communauté tout entière. "Nous
rejetons la fausse doctrine selon laquelle l'Eglise pourrait, en dehors de ce
ministère, se donner ou se laisser donner un Chef muni de pouvoirs
dictatoriaux.
5. "Craignez Dieu, rendez honneur au Roi !" (
1 P 2, 17 )
L 'Ecriture nous dit que selon l'ordre voulu par Dieu,
l' Etat a, dans un monde qui n'est pas encore libéré et dans lequel l'Eglise
est dressée, la tâche de veiller au droit et à la paix en usant de la menace et
de la violence dans les limites de la clairvoyance et des possibilités
humaines. Avec gratitude et dans la crainte de Dieu, l'Eglise reconnaît les
bienfaits de cet ordre. En annonçant le Royaume de Dieu, sa loi et sa justice,
elle rappelle, tant à ceux qui sont gouvernés qu'à ceux qui gouvernent, quelle
est leur responsabilité. Elle se fie à la puissance de la Parole de Dieu et lui
obéit car c'est par elle que Dieu soutient toutes choses.
Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l' Etat
devrait et pourrait, dépassant en cela les compétences de sa mission particulière,
prétendre devenir l'ordre unique et total de toute la vie humaine et remplir
ainsi jusqu'à la vocation même de l'Eglise.
Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle l'Eglise
devrait et pourrait, dépassant en cela les compétences de sa mission
particulière, s'approprier le caractère, les tâches et le prestige de l' Etat
et devenir ainsi elle-même un organe de l'Etat.
6."Voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à
la fin du monde" (Mt 28, 20) "La Parole de Dieu n'est pas liée."
(2 Tm 2, 9)
La mission de l'Eglise, en quoi s'enracine sa liberté,
consiste à communiquer à tout le peuple, à la place du Christ, donc au service
de sa Parole et de son oeuvre, attestées par la prédication et les sacrements,
le message de la libre grâce de Dieu. Nous rejetons la fausse doctrine selon
laquelle l'Eglise pourrait, en vertu d'un acte d'autonomie humaine, mettre la
Parole et l'oeuvre du Seigneur au service de désirs, de buts et de plans
quelconques, choisis de sa propre autorité.
Le Synode confessant de l'Eglise évangélique allemande déclare voir, dans la reconnaissance de ces vérités et le rejet de ces erreurs, l'indispensable fondement théologique de l'Eglise évangélique allemande, considérée comme une fédération des Eglises confessantes. Il invite tous ceux qui peuvent se joindre à ces déclarations à se souvenir de ces mises au point théologiques lorsqu'ils auront à prendre des décisions de politique ecclésiastique. Il prie tous ceux que cela concerne de revenir à l'unité de la foi, de l'amour et de l'espérance.
"Verbum Dei manet in aeternum." Le Synode confessant de l'Eglise évangélique allemande déclare voir, dans la reconnaissance de ces vérités et le rejet de ces erreurs, l'indispensable fondement théologique de l'Eglise évangélique allemande, considérée comme une fédération des Eglises confessantes. Il invite tous ceux qui peuvent se joindre à ces déclarations à se souvenir de ces mises au point théologiques lorsqu'ils auront à prendre des décisions de politique ecclésiastique. Il prie tous ceux que cela concerne de revenir à l'unité de la foi, de l'amour et de l'espérance.
Source : BIP;922
Date de parution : 21 mars 1984
*
* *
La déclaration théologique de Barmen (31 mai 1934)
présentation : CASALIS Georges
A la fin du mois de mai 1934, un an et demi après la
prise de pouvoir par Adolf Hitler, 139 représentants - dont une seule femme ! -
des communautés et Eglises réformées (1), unies et luthériennes se réunissent à
Barmen, dans la vallée de la Wupper, entre Düsseldorf et Dortmünd, pour le
premier Synode national de l'Eglise confessante. Ils s'opposent résolument non
à la politique intérieure et extérieure de l'Etat national-socialiste, mais à
sa tentative de main-mise sur l'Eglise, c'est-à-dire à la création d'une
institution complètement uniformisée et réduite à n'être qu'un pur
"appareil idéologique d'Etat."
Animé par Martin Niemöller et Karl Barth, le Synode
rédige et vote la "Déclaration théologique sur la situation actuelle de
l'Eglise évangélique allemande". Il confesse Jésus-Christ comme le
fondement intangible de tous les domaines de la vie des chrétiens et de
l'Eglise et annonce une nouvelle structuration de l'Eglise, non hiérarchique,
mais reposant sur des "conseils fraternels" de théologiens et de
laïcs. Ce projet est adopté en octobre 1934, au Synode de Dahlem, mais sa
réalisation se heurte à de multiples obstacles.
A peine publiée, la Déclaration de Barmen est connue
dans le monde entier et, en bien des pays, devient la charte de la résistance
aux totalitarismes et dictatures divers. Comme Secrétaire Général de la
fédération française des Associations chrétiennes d'étudiants, mon premier
acte, à peine démobilisé en septembre 1940, fut de la traduire et de la
diffuser dans tous les groupes et cercles qui me recevaient ; avec le Père
Pierre Chaillet et Roland de Pury, nous en avons publié le texte dans les
cahiers clandestins du "Témoignage chrétien".
Avant d'en mesurer les lignes de force et les limites,
il vaut la peine de résumer la situation dans laquelle elle a été élaborée. Au
fur et à mesure que s'accélère la montée du nazisme, un nombre croissant de
protestants allemands, pourtant traditionnellement alignés sur les pouvoirs
dominants de la société, prennent conscience de l'incompatibilité entre la foi
évangélique et les méthodes, les objectifs et l'idéologie du 3ème Reich.
Déjà, en 1925, est créé le mouvement des "Chrétiens
pour le nationalisme", qui se proclame en faveur d'un "christianisme
positif", expression qui deviendra la référence officielle des
"Deutsche Christen" (Chrétiens allemands), l'aile nazie du
protestantisme d'Outre-Rhin.
En 1927, à Königsberg, le "Kirchentag évangélique
allemand" proclame l' "union intime millénaire entre christianisme et
germanisme". A quoi, en 1930, au moment où les nazis commencent à
remporter leurs premiers grands succès électoraux, les "socialistes
chrétiens" répondent : "Christianisme et fascisme sont
inconciliables".
En novembre 1932, les "Deutsche Christen"
obtiennent un tiers des voix aux élections pour le renouvellement des conseils
d'Eglises. Au même moment, face à la généralisation d'actions terroristes des
SA (troupes d'assaut) hitlériennes, un groupe de travail se constitue à Altona,
dans le but de rédiger une confession de foi. Elle sera publiée le 11 janvier
1933. Elle invite les chrétiens à bien discerner les fronts opposés, dans
l'Eglise et dans la société et à y faire respecter les commandements de Dieu.
Le 30 janvier 1933, Hitler prend le pouvoir. En février,
s'ouvrent les premiers camps de concentration. En mars, les "Deutsche
Christen" recueillent 43,9 % des voix aux élections ecclésiastiques. Le 10
mai, on allume des bûchers de livres "anti-allemands". Les
"Deutsche Christen" triomphent partout et organisent de gigantesques
assemblées et, aux nouvelles élections annoncées par Hitler lui-même, ils obtiennent
jusqu'à 75 % des voix, le 23 juillet.
L'entreprise de mise au pas du protestantisme allemand
semble parfaitement réussie désormais, le slogan : "un peuple, un empire,
un chef" fait partie du nouveau crédo. Dans des églises, on place sur
l'autel l'épée à la place de la croix ; "Mein Kampf" (Mon combat), la
profession de foi de Hitler, à la place de la Bible. A la place du choral de
Luther, on chante l'hymne nazi, le "Horst Wessels Lied". Un
"évêque du Reich" est nommé (2).
Cependant la résistance s'organise. En avril 1933,
Dietrich Bonhoeffer prend position contre l'idéologie antisémite et
l'introduction dans toute la société du "paragraphe aryen", celui qui
écarte les Juifs de toutes les fonctions civiles, administratives, militaires,
religieuses, culturelles...
C'est précisément l'application de ce paragraphe à
l'Eglise qui provoque, en octobre, la constitution, par Martin Niemöller, de la
"Ligue de détresse des pasteurs". En novembre, après la gigantesque
manifestation du Palais des sports, où a été réclamée la constitution d'une
Eglise nationaliste, fondée sur l'idéologie d'Alfred Rosenberg ("Le mythe
du XXe siècle" concentré de mégalomanie raciste et de haine antisémite),
une proclamation est lue dans les communautés confessantes (au maximum 1/l0e
des paroisses allemandes !) qui dénonce l'action et les principes des
"Deutsche Christen".
Les premières suspensions et interpellations de pasteurs
ont lieu à cette occasion. En janvier 1934, à Barmen, déjà, se réunit le
premier Synode non-officiel de l'Eglise réformée (tous les synodes confessants
seront non-officiels, contrairement à ceux des "Deutsche Christen" et
des "Intakten", les "neutres", qui essaient de rester à
l'écart des affrontements majeurs, en Bavière et Wurttemberg, notamment). Ce
synode, à la fois confessionnel et confessant, inaugure une série d'assemblées
analogues, confessionnelle et régionales, qui aboutiront le 29 mai au Synode
National confessant ("Reichs-Bekenntnis-Synode") qui promulguera la
"Déclaration théologique", dont on va fêter le 50e anniversaire.
Il faut en souligner le caractère nouveau réunissant des
résistants venus de toutes les parties de l'Allemagne, il est aussi
interconfessionnel; c'est-à-dire que la nécessité de faire front au
national-socialisme, qui se présente de plus en plus comme une nouvelle
religion païenne agressive, fait éclater les frontières traditionnelles des
diverses Eglises de la Réforme.
Karl Barth qui sera expulsé d'Allemagne en 1935, a été un des
principaux rédacteurs du texte final. Par la suite, depuis Bale ("Une voix
suisse"), il soulignera le caractère ecclésiologiquement et politiquement
prophétique de l'assemblée de Barmen. Le théologien réformé est entouré d'un
luthérien bon teint : Hans Asmussen, et d'un "uni" Thomas Breit. Le
texte révisé est reconnu comme "un témoignage biblique chrétien dans la
ligne de la Réforme". Il est transmis aux différentes composantes de
l'assemblée "pour servir de clé d'interprétation à leurs confessions de
foi respectives". Il est voté à l'unanimité et transmis.
Les limites de la prise de conscience qui a abouti à la
"Déclaration théologique" sont manifestes :
1) d'une part, il est manifeste que, Bonhoeffer et Barth
mis à part, très peu nombreux ont été ceux qui ont résisté contre l'ensemble de
la politique hitlérienne (Niemöller le dira en 1945 : "lorsqu'ils ont
arrêté les communistes, je n'ai pas élevé la voix ; lorsqu'ils ont interné les
Juifs, j'ai gardé le silence ; lorsqu'ils s'en sont pris aux social-démocrates,
je me suis tû... lorsqu'ils sont venus me prendre, il n'y avait plus personne
pour me défendre".) La résistance spirituelle s'est constituée pour la
défense de l'Eglise et de la pureté de son message. Fait politique de premier
ordre, elle a pris naissance pour des motifs exclusivement religieux.
2) D'autre part, et c'est le plus étonnant, le texte de
Barmen ne dit pas un mot des Juifs, alors que les communautés confessantes
avaient été largement motivées par leur solidarité avec les frères
judéo-chrétiens et refusaient de s'appliquer à elles-même le paragraphe aryen.
Le sujet était-il trop brûlant ? Sans doute, mais, surtout, il restait chez
beaucoup de ces nationalistes convertis qu'étaient les premiers confessants,
des traces importantes d'antisémitisme chrétien : encore une fois, à ce moment-là,
seuls Barth et Bonhoeffer voient clair. C'est petit à petit, après Barmen, que
la solidarité effective avec les Juifs et la réflexion sur le"mystère
d'Israël" se développent.
Cette double lacune de Barmen a été à l'origine de
processus critiques prolongés qui durent jusqu'à aujourd'hui
- c'est en y pensant que les 12 membres du Conseil de
l'Eglise en Allemagne, réunis à Stuttgart, les 18 et 19 octobre 1945, publient
la célèbre déclaration qui devait être comme le passeport permettant aux
protestants allemands de rentrer dans la communion oecuménique au-delà des
horreurs et effondrements de l'époque hitlérienne. Ils y disent notamment :
" nous sommes avec notre peuple dans une grande communion de souffrances,
mais aussi dans une solidarité de culpabilité... Nous nous accusons de n'avoir
pas plus courageusement confessé, plus fidèlement prié, plus joyeusement cru,
plus ardemment aimé..."
- c'est en y pensant également que le Conseil fraternel
national de l'Eglise confessante réuni à Darmstadt, en 1947, publie un document
faisant la critique politique de l'apolitisme de Barmen et établissant
clairement qu'au nom de l'Evangile, l'Eglise est responsable non seulement de
ses membres, mais d'abord de ceux qui ne le sont pas (intuition fondamentale de
Bonhoeffer), c'est-à-dire de l'ensemble de la société, du monde dans toutes ses
dimensions.
Il faut d'ailleurs dire qu'en Allemagne et ailleurs,
c'est cette lecture qui, dès 1934
a été faite de la "Déclaration théologique" de
Barmen. Lue entre les lignes et, surtout dans le contexte des évènements qui
allaient aboutir au désastre et à la victoire de 1945, ce texte est fréquemment
devenu la colonne vertébrale de l'idéologie de la résistance politique des
chrétiens. Il faut ajouter que, venu d'Allemagne, relayé par les appels
constants que Barth faisait retentir depuis Bâle, il a été un des plus solides
verrous contre la haine de l'Allemagne et les pièges d'un nationalisme de la
résistance qui nous guettait chaque instant.
C'est pourquoi ce texte, malgré ses imperfections,
mérite d'être relu et interprété dans le temps présent, non comme un modèle,
mais comme un exemple de ce que l'Eglise peut et doit dire face à toutes les
agressions que souffre l'humanité de la part des pouvoirs abusifs.
L'Eglise confessante avait reconnu que le grand enjeu du
XXe siècle serait l'affrontement entre le Dieu vivant et tous les dieux de la
mort et qu'aucun compromis n'est possible avec eux.
C'est le sens des nombreuses sessions et célébrations
qui ont déjà débuté en Allemagne à Bossey et ailleurs dans le monde. A Barmen
même, une grande "semaine" aura lieu du 27 mai au 3 juin. Les
chrétiens et communautés de France ne devraient pas rester indifférents face à
cet anniversaire.
(1) Union d'Eglises luthéro-réformée, créée en 1817 par
le roi de Prusse, Frédéric Guillaume III.
(2) Le catholicisme a été officiellement muselé par le Concordat signé, le 20 juillet 1933, entre le Vatican, représenté par le Cardinal Eugenio Pacelli, le futur Pie XIl et le 3e Reich, représenté par son ministre des Affaires étrangères, Franz von Papen. Ce concordat stipule, à l'article 16, que tous les évêques prêtent serment de fidélité au gouvernement nazi et, à l'article 32, que toute activité politique est interdite aux prêtres...! Ceci n'empêche pas d'admirables actes de résistance de la part d'un certain nombre d'évêques, prêtres et laïcs catholiques, entrant pour l'honneur de leur Eglise en opposition ouverte non seulement au régime hitlérien, mais encore à leur hiérarchie au niveau le plus élévé. Toutefois, en vertu même du Concordat, l'Eglise catholique allemande n'a pas été "dénazifiée" en 1945 !
(2) Le catholicisme a été officiellement muselé par le Concordat signé, le 20 juillet 1933, entre le Vatican, représenté par le Cardinal Eugenio Pacelli, le futur Pie XIl et le 3e Reich, représenté par son ministre des Affaires étrangères, Franz von Papen. Ce concordat stipule, à l'article 16, que tous les évêques prêtent serment de fidélité au gouvernement nazi et, à l'article 32, que toute activité politique est interdite aux prêtres...! Ceci n'empêche pas d'admirables actes de résistance de la part d'un certain nombre d'évêques, prêtres et laïcs catholiques, entrant pour l'honneur de leur Eglise en opposition ouverte non seulement au régime hitlérien, mais encore à leur hiérarchie au niveau le plus élévé. Toutefois, en vertu même du Concordat, l'Eglise catholique allemande n'a pas été "dénazifiée" en 1945 !
On notera l'intelligence avec laquelle le nazisme aborde
la question religieuse : le catholicisme est ligoté, en tenant compte de
l'importance décisive et de la valeur religieuse accordée à ses structures
pyramidales; le protestantisme, dans sa diversité et sa fragmentation, est
abordé en ordre dispersé et, surtout, infiltré de l'intérieur...
Source : BIP;922
Date de parution : 21 mars 1984
Date de parution : 21 mars 1984
*
* *
wikipédia – en ligne 10 août 2016
Déclaration de Barmen
La déclaration de Barmen est une déclaration théologique œcuménique publiée en 1934 par plusieurs tendances du protestantisme allemand. C'est l'acte fondateur de l'Église confessante, opposée au mouvement nazi des Deutsche Christen (chrétiens allemands) qui ont pris le contrôle de l'Église protestante du Reich. C'est un texte de résistance à une théologie moderne et immanente et au paganisme du national-socialisme.Sommaire
Contexte
Le national-socialisme et les « chrétiens allemands » voulaient établir un christianisme positif déjudaïsé, débarrassé de l'Ancien Testament et des écrits de Paul de Tarse et inséré dans une spiritualité païenne, c'est-à-dire une spiritualité immanente et holiste. Face à ces thèses, la déclaration protestante de Barmen se veut un retour au sources du christianisme : la parole de Dieu et la vérité transcendante de l'Écriture sainte. C'est une reprise des confessions de la Réforme. Cette déclaration s'oppose non seulement aux « chrétiens allemands », mais aussi au syncrétisme moderne qui l'a rendu possible. Les « chrétiens allemands » réagiront en accusant l'Église confessante de petitesse d'esprit et de fondamentalisme1.Rédaction
La déclaration est principalement écrite par le théologien Karl Barth, mais d'autres protestants allemands y participent, comme Dietrich Bonhoeffer, Rudolf Bultmann. Même si comme l'affirme Robert Ericksen, il n'y pas vraiment de théologie étanche à Hitler pendant cette période2, l'engagement derrière cette déclaration et la participation à l'Église confessante reste une ligne de démarcation nette, même si après la guerre l'aspect théologique de la déclaration sera critiqué par les luthériens orthodoxes[pourquoi ?].En déclarant dans le premier point « Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle, en plus et à côté de cette seule Parole de Dieu, l’Église pourrait et devrait reconnaître d’autres événements et pouvoirs, personnalités et vérités, comme Révélation de Dieu et source de sa prédication », le texte rejette la « théologie naturelle » et l'acceptation d'une loi à côté de celle de Dieu. Le texte va ainsi à l'envers de la théologie moderniste, qui dit que « Dieu est révélé dans la nature, la culture humaine, qu'il est accessible par la raison et le progrès historique »1.
Influence
L'exemple de la déclaration de Barmen a inspiré en partie la rédaction des thèses de Pomeyrol les 16 et 17 septembre 1941 par douze membres de l'Église réformée de France (ERF), afin de fournir un appui théologique à la résistance au nazisme, contre l'esprit de collaboration et le défaitisme, en appelant à une résistance spirituelle.Notes et références
- Gene Edward Veith, Modern Fascism : The Threat to the Judeo-Christian Worldview, 1993 (ISBN 0570046033).
- Gerhard Kittel, Paul Althaus et Emanuel Hirsch, Theologians Under Hitler, Yale, 1985.
Articles connexes
Liens externes
*
* *
wikipédia – en ligne mercredi 16 août 2016
Thèses de Pomeyrol
Les thèses de Pomeyrol sont des positions rédigées les 16 et 17 septembre 1941 par douze membres de l'Église réformée de France (ERF), afin de fournir un appui théologique à la résistance au nazisme, contre l’esprit de collaboration et le défaitisme, en appelant à une résistance spirituelle. Les signataires souhaitent que l'Église réformée de France prenne position sur l'occupation et ses conséquences, notamment pour les juifs persécutés1. Ces thèses sont adoptées par le synode régional d’Annecy en octobre 1941 et le Conseil national de l’Église réformée de France décide début 1942 de les diffuser à tous les présidents de conseils régionaux. Les thèses de Pomeyrol sont à l’origine de la résistance spirituelle d’un grand nombre de chrétiens et elles vont devenir la trame de la réflexion et de l’action des mouvements de jeunesse et de beaucoup de chrétiens pendant la guerre et au-delà2.Sommaire
- 1 Contexte
- 1.1 La défaite et l’occupation
- 1.2 La lutte antinazie de l’Église confessante allemande
- 1.3 Les participants au groupe de Pomeyrol
- 1.4 Le lieu
- 2 Le texte
- 2.1 Préambule
- 2.2 Les rapports de l'Église et de l'État (thèses 1 à 4)
- 2.3 Les limites de l'obéissance à l'État (thèse 5)
- 2.4 Le respect des libertés individuelles (thèse 6)
- 2.5 La protestation contre le statut des juifs (thèse 7)
- 2.6 La dénonciation du totalitarisme et de la collaboration (thèse 8)
- 3 Réception et influence
- 3.1 Pendant la guerre
- 3.2 Deuxième réunion de Pomeyrol
- 3.3 Après la guerre
- 3.4 Un acte de « résistance spirituelle »
- 4 Notes et références
Contexte
La défaite et l’occupation
Dès mai 1940, le choc de l'effondrement et de la défaite conduit de nombreux Français à se tourner vers le maréchal Pétain, le «vainqueur de Verdun» incarnation de la nation et de la continuité de l'État, à qui l'Assemblée nationale vote les pleins pouvoirs le 10 juillet 1940.Trois dates essentielles conduisent aux thèses de Pomeyrol :
- le premier statut des juifs en octobre 1940. Cette loi provoqua des discussions entre les membres du Conseil national de l’Église réformée de France et un échange de correspondance entre Marc Boegner et les présidents de régions de la zone sud. Dès l’automne 1940, de nombreux protestants demandèrent avec insistance une intervention de leur Église auprès du gouvernement et une déclaration publique. Le pasteur Marc Boegner préféra observer la plus grande réserve. Il estimait que les conversations personnelles avec certaines personnalités responsables étaient plus efficaces.
- la création du Commissariat général aux questions juives le 29 mars 1941, provoqua la lettre au grand rabbin en mars 1941 qui fut rendue publique. Cette date devint une date importante dans la chronologie de la défense des juifs persécutés. Il faut dire que c’était effectivement le premier geste en leur faveur parmi les différentes Églises chrétiennes en France. Néanmoins, malgré cette attitude qui, aujourd’hui, peut nous paraître sans ambiguïté, plusieurs l’estimèrent insuffisante et souhaitaient une déclaration plus vigoureuse comparable à celles des Églises protestantes hollandaises.
- la création du Commissariat aux questions juives et le deuxième statut des Juifs le 2 juin 1941 acheva d’alarmer ceux qui se préoccupaient du sort des réfugiés2. La nécessité d'établir un instrument idéologique de résistance face à la rapide progression du nazisme aboutit à la réunion de Pomeyrol.
La lutte antinazie de l’Église confessante allemande
Après la prise de pouvoir par Hitler, les Églises régionales protestantes - luthériennes, réformées et unies - constituant l'« Evangelische Kirche », se voient contraintes d'adopter dans leurs statuts un paragraphe aryen et l'affirmation d'une supériorité allemande. Le 29 mai 1934, un synode non officiel réuni à Wuppertal-Barmen s'en désolidarise en adoptant la déclaration de Barmen : des luthériens et des réformés se réunissent alors sous la dénomination d'Église confessante (« bekennde Kirche »). Ces résistants venus de toutes les parties de l'Allemagne protestaient ainsi contre la mise au pas du protestantisme allemand en voie d'organisation dans les « Deutsche Christen » (l’Église officielle). Le texte de cette déclaration, dont un des principaux rédacteurs était Karl Barth, se présentait comme un acte exclusivement religieux, de résistance spirituelle pour la défense de l'Église et de la pureté de son message ; en particulier, il ne mentionnait pas la persécution des juifs. Malgré ses lacunes (à l'origine de controverses après la guerre), sa signification politique était évidente1.Les participants au groupe de Pomeyrol
Les initiateurs
Les initiateurs de la démarche de Pomeyrol furent le pasteur Willem Visser 't Hooft, secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises et Madeleine Barot secrétaire générale de la Cimade.Willem Visser 't Hooft connaît bien les Français, il prend au sérieux le « mythe Pétain » et la séduction du « vainqueur de Verdun », et il se demande, à juste titre, si l’Église de France sera capable d’avoir une prédication fidèle et si l’Église pourra résister. Willem Visser ’t Hooft, ancien secrétaire général de la FUACE (Fédération universelle des associations chrétiennes d’étudiants), est depuis 1938 secrétaire général du tout jeune Conseil œcuménique des Églises (COE). Ses amis sont nombreux parmi les « post-fédératifs » français (anciens de la «Fédé», branche française de la FUACE), et en particulier à Lyon, Nîmes et Montpellier.
Madeleine Barot est secrétaire générale de la Cimade depuis octobre 1940. Madeleine Barot et sa coéquipière, Suzanne de Dietrich, avaient su forcer la porte du camp de Gurs au culot et y établir un droit de visite de facto. La CIMADE est dès lors présente non seulement auprès des évacués et réfugiés relogés parmi la population du sud de la France mais aussi dans les camps d’internement de la zone sud, confrontée quotidiennement à la situation scandaleuse des étrangers, des apatrides, des juifs et déjà à l’angoisse et à la souffrance de leur avenir incertain.
Les personnes qui se réunissent à Pomeyrol les 16 et 17 septembre 1941 sont engagées dans des paroisses ou dans des mouvements de jeunesse ou de solidarité. Ils estiment que le temps d'une parole publique forte est venu1. Ils sont influencés par Karl Barth et l'Église confessante allemande qui réunissait des protestants refusant la soumission au national-socialisme. La déclaration de foi du synode clandestin de Barmen (mai 1934) avait été envoyée à toutes les églises protestantes d'Europe. Ces thèses sont ainsi nourries de paroles allemandes : seul l’Évangile de Jésus Christ réclame une obéissance totale, aucun Führer au monde ne peut y prétendre3.
Les signataires
Les signataires sont au nombre de douze.- Laïcs : Suzanne de Dietrich et Madeleine Barot (Cimade), René Courtin (professeur à la faculté de droit de Montpellier)
- Pasteurs en fonction : Jean Cadier (professeur à la Faculté de théologie protestante de Montpellier), Pierre Courthial (La Voulte), Jacques Deransart (Valdrôme), Pierre Gagnier (Nice), Paul Conord (Albi), Roland de Pury (Lyon), André de Robert (évangéliste itinérant).
- Responsables des mouvements de jeunesse : Georges Casalis (secrétaire général de la Fédération française des associations chrétiennes d'étudiants, «Fédé»), Jean Gastambide (secrétaire général de la Fédération française des éclaireurs unionistes).
Participants non signataires
Willem Visser't Hooft qui est un pasteur de l’Église réformée néerlandaise détaché à Genève où il a pris le secrétariat général du Conseil œcuménique des Églises tout récemment créé ne souhaite pas signer un document interne à l'Église réformée de France. Sont également présents Henri Clavier (Faculté de théologie de Strasbourg), Henri Eberhard (Dieulefit), André Vermeil (Livron), Antoinette Butte (maison de Pomeyrol).Le lieu
Le domaine de Pomeyrol, situé à Saint-Étienne-du-Grès, au sud-est de Tarascon dans les Bouches-du-Rhône, appartient à l'Association des pasteurs de France. Sa directrice, Antoinette Butte, y fonde, en 1950, la Communauté diaconesse de Pomeyrol.Le texte
Les thèses de Pomeyrol sont « une réflexion théologique engagée sur les fondements évangéliques d'une prise de parole publique de l'Église ». Elles s’inspirent de la déclaration de Barmen jusque dans sa présentation typographique et la mise en exergue des textes bibliques choisis en référence. Elles posent de prime abord le principe de la légitimité d'une parole publique de l'Église dans la situation de l'époque, puis abordent les thèmes suivants :- la question du rapport de l'Église et de l'État ;
- les limites de l'obéissance à l'État;
- le respect des libertés individuelles;
- la protestation contre le «statut des juifs»;
- la dénonciation du totalitarisme et de la collaboration.
Préambule
Le préambule expose l’objectif des thèses, faire à l’ensemble de l'Église une proposition de prise de parole publique qui soit à la fois une confession de foi et une réponse aux événements du moment : « Quelques pasteurs et fidèles, réunis les 16 et 17 septembre pour rechercher ensemble ce que l'Église doit dire aujourd'hui au monde, ont rédigé les thèses suivantes ; ils les soumettent à l'Église réformée de France et en proposent l'étude aux réunions pastorales, aux conseils presbytéraux et aux synodes, demandant à Dieu qu'Il nous accorde la grâce de confesser notre foi ».Les rapports de l'Église et de l'État (thèses 1 à 4)
I – Il n’est qu’un seul Seigneur de l’Église et du monde, Jésus-Christ, Sauveur et Roi. L’Église annonce à tous les hommes la royauté de ce Sauveur. En particulier, elle enseigne au monde la volonté de Dieu concernant l’ordre qui doit y régner (Ph. 2,9-11 ; Col 1,15-19).II – Il appartient à l’Église, en tant que communauté de porter un jugement sur la situation concrète de l’État ou de la nation, chaque fois que les commandements de Dieu (qui sont le fondement de toute vie en commun) sont en cause. Toutefois, elle sait aussi que Dieu met à part certains hommes pour rappeler à l’Église cette tâche, ou l’exercer à sa place. En prononçant ces jugements, l’Église n’oublie pas qu’elle est elle-même sous le jugement de Dieu. Elle se repent de ses trahisons et de ses silences (Jr 1,4-9 ; Ez 3,17 ; Dn 9, 4-19 ; Ac 4, 24-31 ; 1 P 4,17).
III – Ce ministère de l’Église à l’égard du monde trouve normalement son expression dans la prédication de la Parole de Dieu ; il s’exprime aussi par les résolutions et mandements des Synodes et autres corps ecclésiastiques, et s’il le faut, par leurs interventions auprès des autorités responsables de la vie du pays.
IV – La Parole de l’Église au monde est fondée sur tout ce que la Bible dit de la vie des communautés humaines, notamment dans les dix commandements et dans l’enseignement biblique sur l’État, son autorité et ses limites. L’Église rappelle donc à l’État et à la société les exigences de vérité et de justice qui sont celle de Dieu à l’égard de toute communauté (Pr 14, 34 ; 1 Tm 2, 1-4 ; 1 P 2,13-14).
Les limites de l'obéissance à l'État (thèse 5)
V – L’Église reconnaît l’autorité de l’État voulu par Dieu pour le bien commun, elle exhorte ses membres à accomplir loyalement leurs devoirs de citoyens, elle leur rappelle que tout chrétien doit obéissance à l’État, étant bien entendu que cette obéissance est ordonnée et subordonnée à l’obéissance absolue due à Dieu seul. La parole de Dieu exerce son commandement et son contrôle sur toute obéissance rendue aux hommes (Ac 4, 12 ; Ac 5,29 ; Rm 13, 1-4).Le respect des libertés individuelles (thèse 6)
VI – Tout en reconnaissant que les exigences du bien commun peuvent imposer certaines mesures d’exception, l’Église rappelle que la mission de l’État est d’assurer à chaque citoyen un régime de droit garantissant les libertés essentielles, excluant toute discrimination injuste, tout système de délation et tout arbitraire, en particulier dans le domaine de la justice et de la police (2 Ch 19, 6-7 ; Qo 5, 7-8 ; Am 5, 15 et 24 ; Rm 13,4).La protestation contre le statut des juifs (thèse 7)
La thèse 7 combine le rappel du « mystère d'Israël » à une protestation solennelle contre le statut des Juifs ; elle dénonce le rejet des Juifs, l'antisémitisme sans le citer.VII : « Fondée sur la Bible, l'Église reconnaît en Israël le peuple que Dieu a élu pour donner un sauveur au monde et pour être, au milieu des nations, un témoin permanent du mystère de sa fidélité. C'est pourquoi, tout en reconnaissant que l'État se trouve en face d'un problème auquel il est tenu de donner une solution, elle élève une protestation solennelle contre tout statut rejetant les Juifs hors des communautés humaines » (Rm 11, 1-36).
La dénonciation du totalitarisme et de la collaboration (thèse 8)
La thèse 8 est la plus nette dans son rejet absolu du régime de Vichy, du totalitarisme et de l'idolâtrie.VIII : « Dénonçant les équivoques, l'Église affirme qu'on ne saurait présenter l'inévitable soumission au vainqueur comme un acte de libre adhésion. Tout en acceptant les conditions matérielles de la défaite, elle considère comme une nécessité spirituelle la résistance à toute influence totalitaire et idolâtre » (Ez 28, 2-9 ; Dn 3 ; Mt 5,37 ; He 12,4).
Réception et influence
Pendant la guerre
Ces thèses furent reçues dans les réunions d'étudiants et furent diffusées en zone sud. Dans un premier temps, l'écho des thèses de Pomeyrol ne dépassa guère le cercle relativement étroit des instances dirigeantes des églises réformées. Willem Visser 't Hooft, secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises en formation, présent à Pomeyrol, les fit connaître en Suisse.Deuxième réunion de Pomeyrol
Un an plus tard, du 16 au 19 septembre 1942, cinquante-cinq pasteurs se réunirent à Pomeyrol. Ils y rédigeront neuf «affirmations» dénonçant la persécution des juifs, appelant implicitement à la résistance et explicitement à organiser la protection des et l'évasion des juifs4.Après la guerre
À plus long terme, ces thèses seront reprises dans les milieux du christianisme social, de la Cimade ou du mouvement œcuménique. Elles sont aujourd'hui comptées dans les grandes confessions de foi réformées contemporaines2.Un acte de « résistance spirituelle »
Les Thèses de Pomeyrol sont un des premiers actes de résistance spirituelle au nazisme et d'opposition aux persécutions des juifs. En France, ce texte fut diffusé par la revue Foi et Vie dirigée par le pasteur Pierre Maury, et également par le Christianisme social. Elles précédent de deux mois la parution à Lyon, le 16 novembre 1941, du premier numéro des Cahiers du témoignage chrétien, qui publieront les textes de la Déclaration de Barmen, de celle de Pomeyrol ainsi que du pasteur allemand Martin Niemöller.Selon l'évaluation du pasteur Georges Casalis, malgré leur relative prudence, et en dépit de certaines réactions violemment hostiles, les thèses de Pomeyrol diffusées par de nombreux pasteurs et étudiants « post-fédératifs », soumises à l’Église réformée de France, proposées aux réunions pastorales, aux conseils presbytéraux et aux Synodes, ont « contribué à structurer une mentalité confessante (c'est-à-dire le témoignage de l'Église prête “à payer le prix de la grâce”) au sein du protestantisme français ».
Notes et références
- Henry Mottu (éd.), Jérôme Cottin, Félix Moser et Didier Halter, Confessions de foi réformées contemporaines, Genève, Labor et Fides, 2000, ISBN 2830909402, ISBN 978-2830909401.
- Jean-Paul Nuñez, Les thèses de Pomeyrol : un acte de résistance spirituelle pour aujourd’hui ?, présenté aux journées du christianisme social, en octobre 2011, en ligne sur le site du Christianisme social [archive].
- Olivier Poujol, http://www.museeprotestant.org/Pages/Notices.php?noticeid=735&scatid=147&lev=1 [archive]
- Pierre Laborie [2006].
Bibliographie
- Les thèses de Pomeyrol, Musée virtuel du protestantisme (en ligne).
- Pierre Bolle, Jean Gode (dir.), Spiritualité, théologie et résistance. Yves de Montcheuil, théologien au maquis du Vercors, Presses universitaires de Grenoble, 1988
- Georges Casalis, « Documents et témoignages sur le synode de l’Église confessante allemande (29-31 mai 1934) et ses suites », Études théologiques et religieuses, no 4, Institut protestant de théologie, Montpellier, 1984
- Henry Mottu (éd.), avec Jérôme Cottin, Félix Moser, Didier Halter, Confessions de foi réformées contemporaines, Genève, Labor et Fides, 2000, ISBN 2830909402, ISBN 978-2830909401
- Jean-Paul Nunez, «Les thèses de Pomeyrol : un acte de résistance spirituelle pour aujourd’hui ?», Christianisme social, 6 octobre 2011, Article en ligne.
- Pierre Laborie, Les mots de 39-45, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 2006, ISBN 2-858 16-686-2
Articles connexes
Lien externe
- Le texte des thèses de Pomeyrol sur le site du christianisme social.
*
*
*
Il y a 70 ans : les thèses de Pomeyrol, resistance spirituelle au nazisme
lundi 12 septembre 2011, par :
(Pour une présentation des thèses, voir la notice du "Musée protestant" : http://www.museeprotestant.org/Pages/Notices.php?noticeid=735&scatid=147&lev=1&Lget=FR
I – Il n’est qu’un seul Seigneur de l’Église et du monde, Jésus-Christ, Sauveur et Roi. L’Église annonce à tous les hommes la royauté de ce Sauveur. En particulier, elle enseigne au monde la volonté de Dieu concernant l’ordre qui doit y régner. Ph. 2,9-11 ; Col 1,15-19.
II – Il appartient à l’Église, en tant que communauté de porter un jugement sur la situation concrète de l’État ou de la nation, chaque fois que les commandements de Dieu (qui sont le fondement de toute vie en commun) sont en cause. Toutefois, elle sait aussi que Dieu met à part certains hommes pour rappeler à l’Église cette tâche, ou l’exercer à sa place. En prononçant ces jugements, l’Église n’oublie pas qu’elle est elle-même sous le jugement de Dieu. Elle se repent de ses trahisons et de ses silences. Jr 1,4-9 ; Ez 3,17 ; Dn 9, 4-19 ; Ac 4, 24-31 ; 1 P 4,17.
III – Ce ministère de l’Église à l’égard du monde trouve normalement son expression dans la prédication de la Parole de Dieu ; il s’exprime aussi par les résolutions et mandements des Synodes et autres corps ecclésiastiques, et s’il le faut, par leurs interventions auprès des autorités responsables de la vie du pays.
IV – La Parole de l’Église au monde est fondée sur tout ce que la Bible dit de la vie des communautés humaines, notamment dans les dix commandements et dans l’enseignement biblique sur l’État, son autorité et ses limites. L’Église rappelle donc à l’État et à la société les exigences de vérité et de justice qui sont celle de Dieu à l’égard de toute communauté. Pr 14, 34 ; 1 Tm 2, 1-4 ; 1 P 2,13-14.
V – L’Église reconnaît l’autorité de l’État voulu par Dieu pour le bien commun, elle exhorte ses membres à accomplir loyalement leurs devoirs de citoyens, elle leur rappelle que tout chrétien doit obéissance à l’État, étant bien entendu que cette obéissance est ordonnée et subordonnée à l’obéissance absolue due à Dieu seul. La parole de Dieu exerce son commandement et son contrôle sur toute obéissance rendue aux hommes. Ac 4, 12 ; Ac 5,29 ; Rm 13, 1-4
VI – Tout en reconnaissant que les exigences du bien commun peuvent imposer certaines mesures d’exception, l’Église rappelle que la mission de l’État est d’assurer à chaque citoyen un régime de droit garantissant les libertés essentielles, excluant toute discrimination injuste, tout système de délation et tout arbitraire, en particulier dans le domaine de la justice et de la police. 2 Ch 19, 6-7 ; Qo 5, 7-8 ; Am 5, 15 et 24 ; Rm 13,4.
VII – Fondée sur la Bible, l’Église reconnaît en Israël le peuple que Dieu a élu pour donner un Sauveur au monde et pour être, au milieu des nations, un témoin permanent du mystère de sa fidélité. C’est pourquoi, tout en reconnaissant que l’État se trouve en face d’un problème auquel il est tenu de donner une solution, elle élève une protestation solennelle contre tout statut rejetant les Juifs hors des communautés humaines. Rm 11, 1-36
VIII – Dénonçant les équivoques, l’Église affirme qu’on ne saurait présenter l’inévitable soumission au vainqueur comme un acte de libre adhésion. Tout en acceptant les conséquences matérielles de la défaite, elle considère comme une nécessité spirituelle la résistance à toute influence totalitaire et idolâtre. Ez 28, 2-9 ; Dn 3 ; Mt 5, 37 ; He 12,4.
Ces thèses portent le
nom de " POMEYROL " en référence à un lieu sis à Saint-Etienne du
Grès, dans les Bouches du Rhône - non loin de St Rémy de Provence. Une
communauté de religieuses protestantes, dite "Communauté de Pomeyrol
" y vit, encore aujourd'hui, un ministère de prière et d'accueil.
Source : Pour Dieu, pour l'Homme, protester / Yves CRUVELLIER;
Date de parution : 16-17 septembre 1941
Date de parution : 16-17 septembre 1941
publiées et
commentées par protestants-gap.fr
avec
reproduction de l’original dactylographié . syndicat d’électrification du Tarn
*
* *
www.rivstsion.org
«L'apologie qui nuit à l'Eglise. Révisions hagiographiques de l'attitude de Pie XII envers les Juifs» (Table des chapitres)
TABLE
Avant-propos
Introduction générale
Première
Partie - Expressions de repentance :
entre sincérité et plaidoyer pro domo
entre sincérité et plaidoyer pro domo
Introduction
Le document de travail du groupe allemand (1994)
La contrition des responsables d'Églises
– Lettre Pastorale collective de l'épiscopat allemand (23 août 1945)
– Conseil des Églises évangéliques d'Allemagne (Stuttgart, 18 octobre
1945)
– Déclaration des Synodes de l'Église évangélique d'Allemagne
(Berlin-Weinssensee, 27 avril 1950)
– Résolution du Synode de l'Église évangélique en Allemagne, au sujet
du procès d'Eichmann (1961)
– Déclaration du Synode des évêques catholiques de la République
fédérale allemande (Würzburg, 22 novembre 1975)
– Texte à lire dans toutes les paroisses catholiques d'Allemagne
fédérale, à la demande de la Conférence épiscopale allemande, à l'occasion du
40e anniversaire de la «Nuit de Cristal» (9 novembre 1978)
– « L'Église catholique et le National-socialisme ».
Déclaration du Secrétariat de la Conférence épiscopale allemande (31 janvier
1979)
– L'Église luthérienne et la communauté juive (1979)
– « Vers la rénovation des relations entre chrétiens et juifs ».
Déclaration du Synode de l'Église protestante de la région rhénane (1980)
– « Considérations oecuméniques sur le dialogue entre juifs et
chrétiens ». Conseil mondial des Églises (1982)
– Déclaration du Synode de l'Église évangélique allemande de la
Province de Baden, sur les relations entre chrétiens et juifs (mai 1984)
– « Accepter le poids de l'histoire ». Déclaration commune
des Conférences épiscopales d'Allemagne fédérale, d'Autriche et de Berlin (20
octobre 1988)
– La responsabilité des catholiques dans la persécution contre les
juifs. Déclaration des évêques des Pays-Bas (1996)
– Déclaration de repentance de dix-huit évêques de France (30
septembre 1997)
– « Des racines de l'antijudaïsme en milieu chrétien »
(Rome, 30 septembre 1997)
– « Le temps de la conversion - Les Églises évangéliques
d’Autriche et les juifs » (Extrait de la déclaration du Synode général du
28 octobre 1998)
Les autojustifications du Document romain « Nous nous souvenons »
– « Les sermons bien connus du cardinal Faulhaber, en 1933 [...]
exprimèrent clairement le rejet exprès de la propagande antisémite
nazie. »
– « Nous ne pouvons donc ignorer la différence qui existe entre
l'antisémitisme, qui repose sur des théories contraires à l'enseignement
constant de l'Église [...] et les sentiments de méfiance et d'hostilité que
nous appelons antijudaïsme, qui ont perduré pendant des siècles, dont,
malheureusement, les chrétiens eux aussi ont été coupables. »
– « Pendant et après la guerre, des communautés et des responsables
juifs ont exprimé leurs remerciements pour tout ce qui a été fait pour eux, y
compris pour ce que le Pape Pie XII fit personnellement ou par l'intermédiaire
de ses représentants pour sauver des centaines de milliers de vies
juives »
– « Des organisations et des personnalités juives représentatives ont
reconnu officiellement, à diverses reprises, la sagesse de la diplomatie du
Pape Pie XII »
Conclusion de la Première partie
Deuxième partie
Des juifs à la rescousse de l’autojustification
chrétienne
Coups de pouce à l’Histoire pour sauver l’honneur d’un pape
Pie
XII et les juifs, apologétique et légende à la rescousse d’un pape décrié: la
preuve par Lapide
– Qui
était Pinchas E. Lapide ?
Pie XII, « pape de
Hitler » ? Certainement pas, mais « Juste des nations »,
c’est pour le moins prématuré
– Lapide,
promoteur du « vœu » d’une forêt Pie XII
– Un
souhait, pour terminer
Qu’est-ce
qui fait courir Mr Krupp, juif américain tout dévoué à la cause de Pie XII ?
– Une « star » juive inespérée à la
rescousse de Pie XII
– Un zèle apologétique étrange
– Quand la
conviction enthousiaste tient lieu de méthode historique
– Excursus : refus d’une déclaration papale sur la
souffrance des juifs et l’antisémitisme, demandée par Maritain en 1946
– Quelques exemples navrants de distorsion apologétique des événements
par Gary Krupp et sa fondation
– Le cas particulier des réfugiés cachés au
Vatican : récit apologétique et
réalité historique
– Du danger de faire de l’histoire avec des bons sentiments
Conclusion de la Deuxième partie
Troisième partie - Défaillance de
l’Église ?
Point de vue juif et aveux chrétiens
Réponse d’un rabbin aux inquiétudes de l’abbé Journet à propos de la défaillance de l’Église à l’égard des juifs
Repentance de pasteurs catholiques et protestants
Conclusion
de la Troisième partie
Conclusion générale
« Qu’ont en commun la paille et le
froment ? »
En
guise de Postface
« Une
supplique restée sans réponse : Jacques Maritain, le Pape Pie XII et
l’Holocauste », par le Professeur Michaël R. Marrus.
« L’antiracisme
catholique, l’autodéfense de l’Église et le sort des Juifs dans l’Allemagne
nazie », par le Professeur Martin Rhonheimer.
Bibliographie
*
* *
"Ils verront, les
yeux dans les yeux, L’Éternel qui revient à Sion" (Is 52, 8)
Shoah: La repentance de Pasteurs allemands et autrichiens
Nombre de
Chrétiens (sans parler des Juifs), attendent depuis longtemps que leurs
Pasteurs, et tout spécialement ceux de l’Église catholique, trouvent le courage
de reconnaître que leur antijudaïsme multiséculaire a causé au Peuple juif des
souffrances injustifiables et a constitué le terreau mortifère sur lequel a
prospéré la haine raciale qui a mené à la Shoah. Au fil des décennies écoulées
depuis la guerre, certains d’entre eux ont montré le chemin. On lira, ci-après,
leurs témoignages accablants. (J’ai mis en italiques les expressions
particulièrement significatives.)
Lettre Pastorale collective de
l’épiscopat allemand (23 août 1945) :
Des actes
horribles ont été commis par des Allemands, dès avant la guerre en Allemagne,
et pendant la guerre elle-même, dans les territoires occupés. Nous le déplorons
très profondément, de nombreux Allemands, y compris dans nos rangs [ceux de
l'épiscopat] se sont laissé envoûter par les fausses doctrines du
National-Socialisme et sont restés indifférents devant les crimes commis contre
la liberté et la dignité humaine [...] [1].
Conseil des Églises évangéliques d’Allemagne (Stuttgart, 18 octobre 1945) :
Nous nous
reconnaissons profondément unis, non seulement dans une commune souffrance,
mais dans la solidarité d’une faute commune [...] Il est vrai que nous
avons, à longueur d’années, combattu, au nom de Jésus-Christ, cet esprit qui
trouva son expression dans l’horreur du régime de violence national-socialiste.
Mais nous nous accusons de n’avoir pas porté témoignage avec plus de
courage [...] [2].
Déclaration des Synodes de l’Église évangélique d’Allemagne (Berlin-Weinssensee, 27 avril 1950) :
Nous nous déclarons solidairement coupables,
par nos omissions et par nos silences, devant le Dieu de miséricorde, des
crimes qui ont été commis contre les juifs par des membres de notre peuple
[...] [3].
Résolution du Synode de l’Église évangélique en Allemagne, au sujet du procès d’Eichmann (1961) :
En présence de ce
crime dont nous portons la responsabilité en tant que nation, nous ne
pouvons fermer les yeux et les oreilles. Tous les Allemands qui, en âge de
raison, ont assisté à l’horreur de l’extermination des juifs, même ceux qui ont
secouru leurs concitoyens dans la détresse, tous doivent reconnaître devant
Dieu que, par manque de vigilance et d’esprit de sacrifice dans l’amour, ils se
sont rendus complices [...] C’est pourquoi nous voulons nous soumettre au
jugement de Dieu et reconnaître notre manque d’amour, notre indifférence et
notre crainte, voire notre complicité avec le crime, comme notre
propre part à cette faute. Nous voulons nous encourager mutuellement à expier
notre complicité et à croire, du fond du cœur, que le pardon de Dieu nous donne
la vraie liberté et la vie [4].
Déclaration du Synode des évêques catholiques de la République fédérale allemande (Würzburg, 22 novembre 1975) :
Nous sommes le pays dont l’histoire politique récente a été
assombrie par la tentative d’extermination systématique du peuple juif. Malgré
la conduite exemplaire de quelques individus et groupes, nous avons été en
général, à cette époque du National-Socialisme, une communauté ecclésiale qui a
vécu en tournant le dos au destin de ce peuple persécuté, une communauté
obsédée par la crainte pour ses institutions menacées, une communauté qui a
gardé le silence en face des crimes perpétrés contre les juifs et le judaïsme.
Aussi, un grand nombre d’entre nous se sont-ils rendus coupables
purement et simplement parce qu’ils ont eu peur de risquer leur vie. Et c’est
pour nous une humiliation particulière que des chrétiens aient pu prendre une
part active à cette persécution.La sincérité réelle de notre désir de
renouvellement dépendra de l’aveu de ces fautes et de notre disponibilité à
nous laisser douloureusement instruire par l’histoire des forfaits de notre
pays et de notre Église [...] [5].
Texte à lire dans toutes les paroisses catholiques d’Allemagne fédérale, à la demande de la Conférence épiscopale allemande, à l’occasion du 40e anniversaire de la « Nuit de Cristal » (9 novembre 1978) :
La faute et les souffrances de ce passé ne sauraient être
refoulées et oubliées. Les événements de cette époque se sont produits au vu et
au su de tous, dans d’innombrables villes et villages de notre pays. Nos
concitoyens juifs se sont trouvés abandonnés. Les Églises et les communautés
chrétiennes ont, pour la plupart, gardé le silence devant ce déni de justice
publique. C’est pourquoi, pour nous chrétiens, le 9 novembre est un jour
de tristesse et de honte [6].
« L’Église catholique et le National-socialisme».
Déclaration du Secrétariat de la Conférence épiscopale allemande (31 janvier 1979) :
Dans de larges milieux de la population allemande existait
une tradition antisémite, et les catholiques n’y échappaient pas. Mais la
position de l’Église se fondait sur une divergence doctrinale traditionnelle et
non sur une idéologie raciste [...] Il est d’autant plus difficile de
comprendre aujourd’hui que, ni lors du boycottage des commerces juifs, le
1er avril 1933, ni à l’occasion des lois raciales de Nuremberg, en
septembre 1935, ni à la suite des excès commis après la « Nuit de
Cristal », des 9-10 novembre 1938, l’Église
n’ait pas pris une position suffisamment claire et actuelle [7].
L’Église luthérienne et la communauté juive (1979) :
(Préambule) Les chrétiens doivent prendre conscience de
cette histoire au cours de laquelle ils ont profondément aliéné les juifs. Il
est indéniable que les nations chrétiennes ont initié et approuvé la
persécution. Des générations entières de chrétiens ont considéré avec mépris ce
peuple (qu’elles croyaient) condamné à rester errant sur la terre, du fait de
la fausse accusation de déicide. Les chrétiens devraient reconnaître, avec
repentance et profond regret, la part qui est la leur dans cette tragique
histoire de l’aliénation (juive) [...] [8].
« Vers la rénovation des relations entre chrétiens et juifs ». Déclaration du Synode de l’Église protestante de la région rhénane (1980) :
L’Église est amenée (à développer de nouvelles relations
avec le peuple juif) par (plusieurs) facteurs (dont, entre autres) : la
reconnaissance de la co-responsabilité et de la culpabilité
chrétiennes dans l’Holocauste – la diffamation, la persécution et le
meurtre de juifs dans le Troisième Reich [...] En conséquence, le Synode
provincial déclare que, frappés, nous
confessons la co-responsabilité et la culpabilité de l’Église allemande dans
l’Holocauste [...] [9].
« Considérations
œcuméniques sur le dialogue entre juifs et chrétiens ». Conseil mondial
des Églises (1982) :
(3.2) Des enseignements du mépris des juifs et
du judaïsme dans certaines traditions se sont avérés être un terreau
fertile pour l’iniquité de l’Holocauste nazi [...] [10].
Déclaration du Synode de l’Église évangélique allemande de la Province de Baden, sur les relations entre chrétiens et juifs (mai 1984) :
Le Synode évangélique de Baden obéit à l’incitation de
l’histoire à parvenir, en conformité avec l’enseignement biblique, à une
nouvelle relation de l’Église avec le peuple juif. Au cours des siècles, la
théologie chrétienne, l’enseignement et les actes de l’Église ont été viciés
par l’idée que le peuple juif était rejeté par Dieu. Cet antijudaïsme
chrétien devint l’une des racines de l’antisémitisme. En
conséquence, nous qui sommes concernés, confessons que la Chrétienté en
Allemagne porte la responsabilité et la culpabilité communes de
l’Holocauste [...] [11].
« Accepter le poids de l’histoire ». Déclaration
commune des Conférences épiscopales d’Allemagne fédérale, d’Autriche et de
Berlin (20 octobre 1988) :
Aujourd’hui, bien des gens regrettent que les Églises
n’aient pas prononcé publiquement une parole de condamnation (du pogrome de la
« Nuit de Cristal », en novembre 1938). Certes, à la suite de leurs
critiques ouvertes contre les mesures antijuives prises par les autorités
nazies, de nombreux prêtres et laïcs firent l’objet de poursuites [...]
Par contre, nos prédécesseurs (les évêques et cardinaux) n’élevèrent aucune
protestation collective du haut de la chaire [...]. Une protestation
officielle, un geste fortement explicite d’humanité et de solidarité,
n’auraient-ils pas été la réponse qu’exigeait le ministère de vigilance de
l’Église ? [...]. Pourtant, en dépit de toutes les interrogations sur
l’opportunité relative à cette époque, nous nous demandons si, en novembre
1938, d’autres formes de solidarité n’auraient pas été possibles et
nécessaires : une prière commune pour les innocents persécutés, ou une
mise en œuvre renouvelée, démonstrative, du commandement de l’amour chrétien.
Que cela n’ait pas été fait nous frappe aujourd’hui, où nous considérons
l’engagement pour les droits élémentaires de tous les hommes comme un devoir
qui englobe les confessions, les classes et les races [...] [12].
La responsabilité des catholiques dans la persécution contre les Juifs. Déclaration des évêques des Pays-Bas (1996) :
À l’occasion du
30e anniversaire de la Déclaration conciliaire « Nostra
Aetate », les évêques des Pays-Bas ont rendu publique une réflexion
dans laquelle ils affirment que, par son antijudaïsme, l’Église
néerlandaise a contribué au climat qui a rendu possible le génocide des juifs
pendant la dernière guerre. Ils écrivent notamment : «
nous sommes remplis de honte et d’effroi quand nous repensons à la Shoah
[...] ». Évoquant l’attitude des catholiques néerlandais durant la guerre,
les évêques saluent « l’intervention courageuse de l’épiscopat sous la
conduite de l’évêque De Jong ». Ils ajoutent : « Mais les
catholiques néerlandais ne pouvaient-ils faire mieux ? Il est certain
que les instances de l’Église ont, elles aussi, commis des fautes [...]. Une
tradition théologique et ecclésiale d’antijudaïsme a contribué à la naissance
d’un climat dans lequel la Shoah avait sa place [...] [13].
Déclaration
de repentance de dix-huit évêques de France (30 septembre 1997) :
À un moment où, dans un pays partiellement occupé, abattu
et prostré, la hiérarchie considérait comme son premier devoir de protéger
ses fidèles, d’assurer au mieux la vie de ses institutions, la priorité absolue
assignée à ces objectifs, en eux-mêmes légitimes, a eu malheureusement pour
effet d’occulter l’exigence biblique de respect envers tout être humain créé à
l’image de Dieu. À ce repli sur une vision étroite de la
mission de l’Église s’est ajouté, de la part de la hiérarchie, un manque de
compréhension de l’immense drame planétaire en train de se jouer, qui menaçait
l’avenir même du christianisme. Pourtant, parmi les fidèles et chez
beaucoup de non-catholiques, l’attente était considérable de paroles d’Église
rappelant, au milieu de la confusion des esprits, le message de Jésus-Christ.
Dans leur majorité, les autorités spirituelles, empêtrées
dans un loyalisme et une docilité allant bien au-delà de l’obéissance
traditionnelle au pouvoir établi, sont restées cantonnées dans une attitude de
conformisme, de prudence et d’abstention, dictée, pour une part, par la crainte
de représailles contre les œuvres et les mouvements de jeunesses catholiques. Elles n’ont pas pris conscience du fait que l’Église,
alors appelée à jouer un rôle de suppléance dans un corps social disloqué,
détenait en fait un pouvoir et une influence considérables, et que, dans le
silence des autres institutions, sa parole pouvait, par son retentissement,
faire barrage à l’irréparable.
Ainsi, face à la législation antisémite édictée par le
gouvernement français – à commencer par le statut des juifs d’octobre 1940 et
celui de juin 1941, qui ôtaient à une catégorie de Français leurs droits de
citoyens, qui les fichaient et qui faisaient d’eux des êtres inférieurs au sein
de la nation –, face aux décisions d’internement dans des camps de juifs
étrangers qui avaient cru pouvoir compter sur le droit d’asile et sur l’hospitalité
de la France, force est de constater que les évêques de France ne se sont
pas exprimés publiquement, acquiesçant par leur silence à ces violations
flagrantes des droits de l’homme et laissant le champ libre à un engrenage
mortifère.
Nous ne jugeons ni les consciences ni les personnes de
cette époque, nous ne sommes pas nous-mêmes coupables de ce qui s’est passé
hier, mais nous devons apprécier les comportements et les actes. C’est notre
Église et nous sommes obligés de constater aujourd’hui objectivement que des
intérêts ecclésiaux entendus d’une manière excessivement restrictive l’ont
emporté sur les commandements de la conscience, et nous devons nous
demander pourquoi. Au-delà des circonstances historiques que nous venons de
rappeler, nous avons en particulier à nous interroger sur les origines
religieuses de cet aveuglement. Quelle fut l’influence de l’antijudaïsme
séculaire ? Pourquoi, dans le débat, dont nous savons qu’il a existé,
l’Église n’a-t-elle pas écouté la voix des meilleurs des siens ? Mais de
quel poids pouvait peser la pensée des quelques théologiens évoqués plus haut,
par rapport aux stéréotypes antijuifs constamment répétés, dont nous
retrouvons la trace, même après 1942, dans des déclarations qui, par
ailleurs, ne manquaient pas de courage ? Force est d’admettre, en
premier lieu, le rôle, sinon direct du moins indirect, joué par des lieux
communs antijuifs, coupablement entretenus dans le peuple chrétien, dans le
processus historique qui a conduit à la Shoah.
Au jugement des historiens, c’est un fait bien attesté que,
pendant des siècles, a prévalu, dans le peuple chrétien, jusqu’au Concile
Vatican II, une tradition d’antijudaïsme marquant à des niveaux divers la
doctrine et l’enseignement chrétiens, la théologie et l’apologétique, la
prédication et la liturgie. Sur ce terreau a fleuri la plante vénéneuse de la
haine des juifs. De là un lourd héritage aux conséquences difficiles à effacer,
jusqu’en notre siècle. De là des plaies toujours vives. Dans la mesure où les
pasteurs et les responsables de l’Église ont si longtemps laissé se développer
l’enseignement du mépris et entretenu dans les communautés chrétiennes un fonds
commun de culture religieuse, qui a marqué durablement les mentalités en les
déformant, ils portent une grave responsabilité. Même quand ils ont condamné les théories antisémites dans
leur origine païenne, on peut estimer qu’ils n’ont pas éclairé les esprits
comme ils l’auraient dû, parce qu’ils n’avaient pas remis en cause ces pensées
et ces attitudes séculaires. Dès lors, les consciences se trouvaient souvent
endormies et leur capacité de résistance amoindrie quand a surgi, avec toute sa
violence criminelle, l’antisémitisme national-socialiste, forme diabolique et
paroxysmale de haine des juifs, fondée sur les catégories de la race et du sang
et visant ouvertement l’élimination physique du peuple juif.
Il n’en reste pas moins que, si parmi les chrétiens,
clercs, religieux ou laïcs, les actes de courage n’ont pas manqué pour la
défense des personnes, nous devons reconnaître que l’indifférence l’a
largement emporté sur l’indignation et que, devant la persécution des
juifs, en particulier devant les mesures antisémites multiformes édictées par
les autorités de Vichy, le silence a été la règle et les paroles en faveur des
victimes, l’exception. Pourtant, comme l’a écrit François Mauriac, « un
crime de cette envergure retombe, pour une part non médiocre, sur tous les
témoins qui n’ont pas crié, et [ce] quelles qu’aient été les raisons de leur
silence ». Le résultat, c’est que la tentative d’extermination du
peuple juif, au lieu d’apparaître comme une question centrale sur le plan
humain et sur le plan spirituel, est restée à l’état d’enjeu secondaire.
Devant l’ampleur du drame et le caractère inouï du crime,
trop de pasteurs de l’Église ont, par leur silence, offensé l’Église elle-même
et sa mission. Aujourd’hui, nous confessons que ce silence fut une faute. Nous
reconnaissons aussi que l’Église en France a alors failli à sa mission
d’éducatrice des consciences et qu’ainsi elle porte avec le peuple chrétien la
responsabilité de n’avoir pas porté secours, dès les premiers instants, quand
la protestation et la protection étaient possibles et nécessaires, même si, par
la suite, il y eut d’innombrables actes de courage. C’est là un fait que nous
reconnaissons aujourd’hui. Car cette défaillance de l’Église de France et sa
responsabilité envers le peuple juif font partie de son histoire. Nous
confessons cette faute. Nous implorons le pardon de Dieu et demandons au peuple
juif d’entendre cette parole de repentance [14].
« Des racines de l’antijudaïsme en milieu chrétien » (Rome, 30 septembre 1997) :
…dans le monde chrétien – je ne dis pas de
la part de l’Église en tant que telle –, des interprétations erronées
et injustes du Nouveau Testament relatives au peuple juif et à sa prétendue
culpabilité ont trop longtemps circulé, engendrant des sentiments d’hostilité à
l’égard de ce peuple. Elles ont contribué à assoupir bien des consciences, de
sorte que, quand a déferlé sur l’Europe la vague de persécutions inspirées par
un antisémitisme païen qui, dans son essence, était également antichristianisme,
à côté de chrétiens qui ont tout fait pour sauver les persécutés jusqu’au péril
de leur vie, la résistance spirituelle de beaucoup n’a pas été celle que
l’humanité était en droit d’attendre de la part de disciples du
Christ [...] [15].
« Le temps de la conversion – Les Églises évangéliques d’Autriche et les juifs » (Extrait de la déclaration du Synode général du 28 octobre 1998) :
Nos Églises reconnaissent dans la honte ne pas s’être
montrées sensibles au sort des juifs et d’innombrables autres persécutés
[…] Les Églises n’ont pas protesté contre le tort bien visible qui
s’exerçait, elles se sont tues, ont
détourné le regard, elles n’ont pas « empêché la roue de tourner »
(Bonhoeffer). Et c’est ainsi que non
seulement des chrétiens et des chrétiennes, mais également nos Églises,
partagent la faute de l’Holocauste de la Shoa [16].
[1] Texte cité dans le document « L’Église
catholique et le National-Socialisme », du 31 janvier 1979, reproduit dans
Les Églises devant le Judaïsme. Documents officiels 1948-1978. Textes
rassemblés, traduits et annotés par Marie-Thérèse Hoch, et Bernard Dupuy, Cerf,
Paris, 1980, p. 80. (Ci-après : Églises devant le Judaïsme).
[8] More Stepping Stones to Jewish-Christian
Relations. An Unabridged Collection of Christian Documents 1975-1983,
Compiled by Helga Croner, Paulist Press, Mahwah, New York, 1985, p. 177. Cité
ci-après : More Stepping Stones.
[14] Texte repris du site Au service des relations entre
Juifs et Chrétiens en Alsace (http://www.dialogue-jca.org/Repentance_des_eveques_de_France.htm).
[15] Discours de Jean-Paul II aux participants à un
Colloque sur les « Racines de l’antijudaïsme en milieu chrétien »
(Rome, 30 octobre – 1er novembre 1997). Texte dans Radici
dell’Antigiudaismo in Ambiante cristiano. Colloquio Intra-Ecclesiale. Atti del
Simposio teologico-storico, Citta del Vaticano, 30 ottobre – 1 novembre
1997, Libreria Editrice Vaticana, 00120 Città del Vaticano, 2000, p. 15. J’ai
mis en italiques les expressions qui atténuent ou relativisent la
responsabilité propre de l’Église.
[16] Cité ici d’après la traduction française de H.
Cellérier, dans SIDIC, vol. XXXII/1 de 1999, p. 26.
Read more at http://www.tsofim.org/pages/etre-guetteurs/la-reprobation-chretienne-des-juifs-de-l-ignorance-a-la-repentance.html#MccFcEmU5pqw0LIb.99
*
* *
Églises et retour au statu quo en Allemagne occidentale(1945-1949)
«
Bien que jouissant d’une énorme influence morale en 1945-1946, les Églises
allemandes, estime Alfred Wahl, ne furent pas en mesure de traiter [l]e
problème [de la dénazification] en raison de leur propre comportement passé.
Sous l’influence du pasteur Niemöller, les protestants reconnurent d’abord leur
culpabilité, solidairement avec celle du peuple : “Par nous, un malheur
infini s’est abattu sur beaucoup de peuples et de pays” (déclaration de Stuttgart
– 18 octobre 1945). Cette prise de position de franc-tireur ne
sera pas réitérée. Quant à l’épiscopat catholique, il éluda purement et
simplement la question. » De cette incapacité à « affronter le passé avec
lucidité » [1][1] Histoire
de la République fédérale d’Allemagne, Paris,..., faut-il accuser la guerre
froide ?
La politique appliquée entre
la fin de la guerre et la création de la RFA par le principal vainqueur, les
États-Unis, mise au point depuis 1942, ne différait pas de la ligne suivie
après la première [2][2] Bruce
Kuklick, American Policy and the Division of.... La guerre froide
apparaîtra donc ici comme le cadre chronologique d’un retour au statu quo
semblable à celui d’après 1918 [3][3] Ibid. et
Charles S. Maier, Recasting Bourgeois Europe.... et
éclairé par : 1 / L’action du haut clergé, dont l’adhésion au nazisme
entre 1933 et 1945 couronnait le credo réactionnaire et
pangermaniste : hantise de la préservation de l’ordre social contre la
subversion « rouge », haine des Lumières, revanche contre Versailles, droit
d’un peuple supérieur à la conquête de l’espace vital occupé par ses voisins à
peine humanisés, juifs et slaves en tête [4][4] G. Zahn,
German Catholics and Hitler’s wars, New York ;... ;
2 / La politique des Alliés occidentaux, informés sur le comportement des
prélats depuis 1933 [5][5] Apport
décisif des archives du Quai d’Orsay (plus..., mais qui virent en eux
l’instrument de la reconstitution idéologique des zones concernées (le rôle du
Saint-Siège sera étudié dans ce contexte). Le jeu de ces forces détermina le
destin du concept de la « culpabilité » présenté à la fin de la guerre comme la
clé de la « démocratisation » du Reich : ce qui suit en retrace les étapes
entre mai 1945 et 1949.
I. LES ÉGLISES PRÉCOCEMENT INNOCENTÉES
Les Églises allemandes
bénéficièrent du compromis établi entre Alliés et Saint-Siège et entre
autorités protestantes anglo-saxonnes et allemandes perceptible dès la guerre.
Du côté protestant, Rita Thalmann mentionne les relations de 1941
et 1942 entre Mgr Bell, évêque de Chichester, vieux héraut de la
politique douce au Reich puis de l’Appeasement (acquis des fonds du
Quai d’Orsay), et les protestants Boenhoffer et Schönfeld, opposants tardifs,
typiques des pangermanistes ralliés au complot de juillet 1944 contre
Hitler [6][6] Rita
Thalmann, Protestantisme et nationalisme en Allemagne.... Le
pasteur français Brun rappela en novembre 1945 la réunion de
l’hiver 1942-1943 (le 14 janvier ?) où Bell avait donné la
parole à deux pasteurs allemands réfugiés en Angleterre : « Pendant plus
d’une heure, [ils] avaient plaidé la cause de la pauvre Allemagne et préconisé
la nécessité de reprendre contact le plus tôt possible avec le protestantisme
allemand et de lui envoyer des secours en abondance. » « Un [des] amis » de
Brun releva « véhémentement que pareilles plaidoiries avaient été faites
depuis 1918 avec surabondance devant les chrétiens anglais, et qu’on en
voyait maintenant les résultats » [7][7] Date de la
réunion, ibid., p. 435. Note Brun, 9 novembre 1945,....
Le pardon se précisa en
février 1945 au Conseil œcuménique protestant de New York, qui décida « de
renouer le contact avec les protestants allemands » [8][8] Synopsis
politique de l’Allemagne, février 1946 (plus.... En
mai, prônant la « prudence » dans la « fraternisation avec les pasteurs et les
congrégations » tant que leur attitude envers « le régime nazi » ne serait pas
connue – clause de style, vu l’excellente information britannique –,
le Dr Garbett, archevêque d’York, déclara : « Même s[i]
les Églises allemandes [...] n’ont pu ouvertement résister, nous serions prêts
à renouer nos relations interrompues par la guerre et à les aider dans la
mesure du possible dans leurs efforts pour appeler leur peuple au repentir et à
la vie chrétienne. » [9][9] Lettre de
Massigli 1191, Londres, 17 mai 1945, Allemagne,... La «
fraternisation » balaya bientôt la « prudence ». En septembre, l’évêque du
Wurtemberg Wurm sollicita Bell pour une reprise des contacts entre Églises
anglaise et allemande [10][10] Note 390
de Tarbé, Baden-Baden, 10 septembre 1945,.... Au
Conseil œcuménique de Stuttgart des 18-19 octobre 1945, Américains et
Anglais louèrent la « courageuse résistance à l’hitlérisme » des protestants
allemands et prônèrent le pardon, contre l’ « esprit de violence et de
vengeance » allié. Cette indulgence pour une institution si liée « aux
entreprises du national-socialisme » ulcéra Brun : ce «
regrettable (...) exemple [sera...] imité par de multiples individus ou
organisations qui n’attendent que le moment de partir en pèlerinage en
Allemagne pour venir ensuite plaider en Amérique la cause de la repentante et
malheureuse Église allemande » [11][11] Note
Brun, 9 novembre 1945, Allemagne, vol. 67 ou....
Le luthéranisme souffrait de
handicaps, comparé à l’Église romaine : divisé, fût-ce partiellement, sous
Hitler, privé d’un « centre » soudé au chef occidental de l’Allemagne occupée,
atout catholique majeur, il était affaibli par la géopolitique de l’occupation,
l’Est luthérien, son fief, ayant été dévolu aux Soviétiques. Il fut cependant
assuré du soutien des Anglais, pourvus d’une zone largement protestante, et des
Américains, convaincus de son utilité à l’ouest du Reich et en zone soviétique.
Préalable du sauvetage général, les occupants forgèrent donc des biographies
antinazies qu’illustre un rapport de l’été 1945 sur « l’action de l’évêque
Wurm contre les empiétements antichrétiens du régime national-socialiste » :
il ne pouvait cacher qu’il n’avait contesté dans les persécutions religieuses
que la menace contre l’union sacrée « détourn[ant] les hommes du sentiment du
sacrifice consenti avec une conviction joyeuse pour la patrie. Malgré tout nous
ne nous laisserons pas détourner de la fidélité envers notre peuple et notre
patrie » [12][12] Texte
conforme au Christian Science Monitor du 13 juin 1942,... ;
et qu’il avait attendu mai 1945 pour dire que « les lourdes épreuves
imposées à la population chrétienne d’Allemagne sont allées jusqu’à la
monstruosité par les traitements contraires au droit et à l’humanité imposées
aux compatriotes non aryens comme aux citoyens étrangers » [13][13] Rapport
doc. GEN/9, 15 juillet 1945 (traduction d’un....
Les dignitaires protestants
purent donc s’autorestaurer à la conférence de Treysa des 27 août-1er septembre 1945
qui élut un Conseil des Églises évangéliques en Allemagne (EEA) de
12 membres, dont Wurm, Niemöller, Meiser et Dibelius [14][14] Lettre
1175 de Koenig, Berlin, 2 octobre 1945, Allemagne,.... Le
théologien suisse Karl Barth, qui avait le 2 octobre 1945, après un
voyage en Allemagne, rappelé « les innombrables compromis entre chrétiens
allemands et nazisme » [15][15] PV de la
conférence joint à la lettre 1374 de Hoppenot,..., accusa en
juillet 1946 les Alliés d’avoir laissé « l’oligarchie se réserver la
dénazification des ecclésiastiques [...] lui permettant de conserver ses
disciplines discréditées et de couvrir sa vieille garde totalitaire », avec son
chef Wurm, « dont la plume et la pensée sont dirigées par de jeunes
intransigeants [et...] que spécialement les Russes ont en suspicion [parce
qu’il] plonge ses racines dans l’ère bismarckienne et agit en nationaliste de
la bonne époque » [16][16] Note de
Carteron sur Barth, 25 juillet 1946, Allemagne,.... Un
bilan vague du début de 1946 atteste la modestie de l’épuration des «
ecclésiastiques nationaux-socialistes » en zone américaine : en
Wurtemberg, on signalait « peu de cas » ; en Bavière, « quelques militants
nazis du clergé protestant décorés du Blutorden [ordre du sang] et
beaucoup de prêtres qui avaient l’insigne d’or de la NSDAP ont été exclus des
cadres de l’Église » [17][17] Synopsis,
février 1946, IV, Allemagne, vol. 32..
Le triomphe de l’Église
romaine fut plus précoce. Ayant étudié ailleurs la contribution alliée, avant
mai 1945, au sauvetage d’une Église pangermaniste et nazifiée, à la
récupération de sa puissance weimarienne, au fiasco de la « rééducation » et à
la renazification de l’Allemagne occidentale, je me bornerai ici à des données
essentielles. Les États-Unis, alliés et financiers du Vatican pendant la
guerre, dirigèrent leur zone à majorité catholique dès leur arrivée en
s’appuyant sur l’épiscopat, le cardinal-archevêque de Munich Mgr von
Faulhaber, vieil intime de Pacelli, au premier chef. Cette ligne, mise en œuvre
depuis novembre 1942 par le chef de l’OSS à Berne, Allen Dulles, avec des
laïcs et des ecclésiastiques du Zentrum, impliquait l’absolution du
corps nazifié [18][18]
Allusions, A. Lacroix-Riz, Vatican (et travaux cités....
Pie XII disculpa ses chers évêques allemands le
2 juin 1945 : prononçant pour la première fois le mot
national-socialisme, il les posa en guides de l’antinazisme, ne cita comme
déportés que les prêtres allemands (200) de Dachau et exalta la résistance
« des millions de vaillants catholiques » [19][19] Lettre 46
de Bourdeillette, Rome, 5 juin 1945, et....
« En l’absence de toute force
gouvernementale pouvant s’exprimer au nom d’un pays écartelé et effondré,
l’épiscopat catholique se présente en défenseur national des droits de la
population », écrivit le Français Koeltz après la session nationale (annuelle)
de Fulda des 21-23 août 1945, dont sortit un mandement collectif
décernant un brevet d’antinazisme aux prélats : ils avaient lutté « pour
les droits de la personne humaine », contre « l’empiétement de l’État sur la
vie religieuse [...] contre l’orgueil de race et la haine des peuples » et pour
réinstaller « la Croix que des mains criminelles avaient enlevée des classes
» ; « beaucoup [de prêtres et de laïcs catholiques] ont sacrifié leur vie
à leurs convictions, protégé et défendu “des ressortissants de races
étrangères” et partagé “leur maigre pain quotidien avec un innocent non aryen
poursuivi” ». Ayant décrété qu’on ne pouvait trouver « meilleur civisme pour
assainir la situation spirituelle qu’une éducation religieuse », les évêques
revendiquèrent les privilèges scolaires octroyés par Weimar et confirmés le
20 juillet 1933 par le Concordat du Reich, simple respect de « notre
droit » [20][20] Lettre
pastorale du 23 août 1945 (traduction in extenso)....
Audace licite puisque
l’Occident laissa leurs biographies s’enrichir au fil des ans de hauts faits de
résistance absents des documents originaux. La mission de tuteurs d’une
jeunesse rongée par le nazisme supposant pureté antinazie, leur passé fut
repeint aux couleurs de la démocratie. Les archives du Quai d’Orsay, qui les
mentionnent presque tous, insistent sur les évêques de zone française, Gröber
de Fribourg-en-Brisgau, et Bornewasser de Trêves en tête, âme de la résistance
sourde ou déclarée contre l’occupant français haï après 1945 comme
après 1918 mais beaucoup plus méprisé. La correspondance se partage en
tendances antagoniques : les courriers antérieurs à 1945 ou
postérieurs mais sincères, accablants mais épargnés au public ; les
dithyrambes de la presse allemande sous licence et de la presse nationale des
occupants [21][21]
Allemagne, vol. 67 à 70. Sur Groeber et Bornewasser,.... La
tentative de réhabilitation heurtait parfois l’expérience récente : le
portrait dressé en janvier 1946 avec la complicité de l’évêque local par
le Luxemburger Wort, organe social chrétien, d’un Mgr Bornewasser «
compatissa[n]t en silence à la misère si profonde » des populations « des
diocèses de Luxembourg, de Metz et de Strasbourg pendant l’occupation », eut un
« effet pas [...] très heureux » sur les Luxembourgeois « surpris » [22][22] Lettre 5
d’Armand du Chayla, Luxembourg, 26 janvier 1946....
La presse sous licence des
Américains, alliés avec un Zentrum nazifié et restauré, exalta « le
triumvirat de résistance » formé par le cardinal Faulhaber (archevêque de
Munich), von Galen (évêque de Munster) et von Preysing (évêque de Berlin) [23][23]
Tagesspiel cité par La Croix du 28 novembre 1946,.... Le
vieil antipapisme des Anglais avait été avivé pendant la guerre par la
germanophilie vaticane, et le catholicisme se posait en cheval de Troie des
Américains, impatients de conquérir toutes les zones occidentales à partir de
la leur. Londres partageait encore à l’automne 1947 l’avis soviétique sur
le Concordat « hitlérien » et refusait de le reconnaître [24][24] Lettre
d’Arnal, consul à Dusseldorf, 346, 29 octobre 1947,..., mais
la surenchère entre le « commissaire-priseur » anglais et l’américain « pour
écarter d’autres acquéreurs éventuels, et aussi pour acquérir sa clientèle » [25][25] Tarbé,
lettre 329, Berlin, 29 juin 1947, Allemagne,...
l’emporta : dès la fin de 1945, les Anglais multiplièrent les «
égards aux membres du haut clergé », tant catholique que protestant. « Une des
principales préoccupations de nos alliés occidentaux, nota Tarbé de
Saint-Hardouin, conseiller du commandant en chef Koenig, début 1946, est
d’empêcher que l’Allemagne ne sombre dans un chaos qui permettrait à d’autres
qu’eux de marquer des points » ; pour eux, « la mission de l’Église,
qu’elle soit catholique ou protestante, est autant de contribuer à la préservation
de l’ordre social établi que de répandre parmi les masses la conception qu’ils
se font d’un univers démocratique » [26][26] Lettre de
Tarbé 353, Berlin, 9 février 1946, Allemagne,....
Les Français conservèrent la
stratégie cléricale « séparatiste » qui avait fait fiasco en 1923-1924,
malgré leur lucidité, Bidault en tête, sur le « fédéralisme » rhénan « très
momentané », astuce pour « retrouver une unité complète », et sur la politique
« unitaire » du Vatican soutenue, au motif clamé de maintenir l’Allemagne en rempart
antibolchevique, par les États-Unis [27][27]
Saint-Siège, vol. 8 à 10 et États-Unis, vol. 200,.... Paris
s’associa tôt au blanchiment dont témoigne la série d’articles de Charles-Roux,
alors président du Secours catholique, dans L’Époque de
juin-juillet 1945. L’ambassadeur au Vatican de 1932 à 1940 y
prétendait « serviable[s] » à la France les deux papes de l’ère nazie et
prêtait au triumvirat Faulhaber-von Galen-von Preysing de l’ « énergie, voire
[de l’]audace » dans ses « doléances (...) contre les infractions [nazies]
au Concordat » muées en résistance au régime [28][28] « Le
Saint-Siège et l’hitlérisme » ; « et l’affaire.... Le
30 décembre 1945, La Croix exalta « la résistance catholique
dans l’Allemagne de Hitler » annonçant la révélation imminente des «
innombrables et courageuses démarches de l’épiscopat allemand auprès du
gouvernement national-socialiste », « ses protestations réitérées contre le
régime des camps de concentration, la persécution des juifs et même contre les
agissements des autorités hitlériennes dans les pays qu’occupait l’armée
allemande » [29][29] Coupure,
date citée, Allemagne, vol. 67. En italique.... En
novembre 1946, elle taxa la thèse de la non-résistance de l’épiscopat
allemand de « pure calomnie », et glorifia des prélats nommément cités – «
et combien d’autres » – en puisant dans les hagiographies allemandes post
bellum [30][30]
E. Gabel, La Croix, 28 novembre 1946, Allemagne, ....
La zone française reçut le
même traitement. La presse de gauche eut beau jeu de fustiger les douceurs
manifestées dans ce « repaire de fonctionnaires vichyssois » aux « catholiques
allemands », du Concordat rétabli à l’instruction religieuse assurée par « les
mêmes maîtres que sous le régime hitlérien » ; et de douter de la mutation
séparatiste, francophile et fédéraliste, propre aux « anciens nazis », d’une «
Église se condui[san]t en reine de notre zone, dont elle tente de faire une
sorte de séminaire » [31][31]
Franc-Tireur, 27 décembre 1945, et Voix de Paris,.... En
février 1946 l’ « épuration des cultes » s’établissait en Bade et
Hesse-Palatinat à 17 sanctions (8 révocations définitives,
9 temporaires) sur un effectif de 1134 [32][32] Lettre de
Laffon 1177, Baden-Baden, 16 février 1946,....
II. L’ÉGLISE ALLEMANDE ET LA DÉNAZIFICATION : L’ALLEMAGNE VICTIME INNOCENTE, LES ALLIÉS COUPABLES
1. La « dénazification » catholique : discours et pratiques 1945-1949
« Encore peu connue, écrit
Rainer Hudemann pour la zone française, l’influence des Églises a été grande,
par exemple en matière de dénazification. » [33][33] «
L’occupation française en Allemagne (...) », L’Allemagne... Elle
gagne à l’être.
a) Du discours...
À la « conférence
particulièrement secrète » des 21-23 août à Fulda, l’épiscopat marcha sur
les traces de Pie XII dont l’audace sur le Reich victime n’avait cessé de
croître depuis Stalingrad. Un rapport de février 1946, selon lequel « les
Églises allemandes », conscientes d’ « avoir fait faillite, non seulement
matériellement, mais aussi spirituellement, recherchaient “un pardon et une
excuse”, etc., perçut “deux tendances” : la modérée, de Gröber et von
Preysing, “admettait une certaine culpabilité du peuple allemand et même des
catholiques” ; l’autre était “soutenue par le cardinal Faulhaber qui
prétendait que les Alliés étaient les vrais responsables du nazisme” et aurait
“reproch[é] durement à Groeber son attitude” « [34][34] Synopsis,
février 1946, IV, Allemagne, vol. 32..
L’autolégende d’un Groeber «
antinazi » ou « modéré » cautionnée par l’Occident a été reprise récemment [35][35] Leonore
Siegele-Wenshkewitz, « Les Églises entre l’adaptation... malgré
l’acquis des recherches sur ce « “membre promoteur” [förnderndes
Mitglied] de la SS » surnommé dès 1933 « l’évêque brun » (der
braune Bischof), parangon du nazisme, antisémitisme inclus [36][36] Ouvrages
de la n. 21 et G. Zahn, Catholics.. Outre que Groeber ne parla plus jamais de
culpabilité allemande, le débat allégué aboutit à une lettre pastorale «
attaqua[nt si] violemment les puissances occupantes [qu’elle] dut être remaniée
sous la pression du nonce Orsenigo ». Remaniée ou pas, le GM américain en
Bavière en interdit la publication, vu sa prose sur les droits exclusifs de
l’école confessionnelle, les prisonniers de guerre et la dénazification [37][37] Synopsis,
février 1946, IV, Allemagne, vol. 32.. L’épiscopat récusait entre
autres la responsabilité collective du peuple allemand, leitmotiv de
Pie XII depuis 1943-1944 : « Des choses effroyables ont été
perpétrées par des Allemands, en Allemagne même, avant la guerre et, pendant la
guerre, dans les pays occupés. Nous le déplorons profondément » ; juste
avant d’invoquer l’adhésion forcée de tant d’Allemands « en situation
dépendante – fonctionnaires, instituteurs », dont il faut prouver la faute
commise « cas par cas » [38][38]
Traduction, 23 août 1945, Allemagne, vol. 67, souligné.... Ce «
programme de rénovation morale pour tous les Allemands » était précisé par la
lettre remise le 23 août 1945 aux quatre membres du Conseil de
contrôle : l’épiscopat y prodiguait ses consignes pour les tâches de la
reconstruction, du ravitaillement à la protection contre le viol en passant par
le recours aux « spécialistes indispensables » qu’on avait sottement «
congédiés parce que membres du Parti nazi » et l’urgente libération des «
prisonniers de guerre » [39][39] Lettre de
Koeltz 1118, 20 septembre 1945, Allemagne,....
À partir de l’automne 1945, de
plus en plus virulent, il prit la défense des malheureux réfugiés et stigmatisa
les transformations sociales en zone soviétique (réforme agraire surtout). Le
thème de « la misère [des...] millions d’Allemands chassés des pays de l’Est »
était encore équilibré, dans un sermon de novembre 1945 de
Mgr Sproll, par la reconnaissance de « la grande culpabilité du peuple
allemand », soumis au jugement du « monde entier » quand commencerait le procès
de Nuremberg [40][40] Lettre de
Laffon 565, Baden-Baden, 17 novembre 1945,... :
seule référence trouvée, due à l’unique évêque catholique ayant eu un conflit
avec le nazisme [41][41] Sur
Sproll, Lewy, Church, Lacroix-Riz, Le Vatican,.... Début 1946,
l’épiscopat dénonça dans ses « mandements significatifs [d’]un mot d’ordre venu
de plus haut » (Pie XII) [42][42] Tél. 193
de Koenig au CGAAA, 17 mars 1946, Allemagne,..., la
culpabilité des Alliés comparés aux nazis, Soviets en tête, réduisant celle des
Allemands.
Le thème de « la
transplantation des populations allemandes de l’Est », assorti d’une
dénonciation en règle de la politique alliée devint envahissant. Le mandement
de carême de Groeber répété les 3, 10 et 17 mars 1946, émut
Koenig, qui protesta contre ce texte « politique », son « interprétation
tendancieuse des faits et [sa] présentation générale offensante pour nos alliés
» et voulut menacer l’intéressé « d’une révision complète d’attitude et d’une
nouvelle orientation de la politique religieuse du GM en Bade ». Gröber,
serein, invoqua « le “Concordat du Reich”, art. 4, alinéa 2 [43][43] « Pleine
liberté de communication (...) des évêques... et
[l’]attitude neutre [du] gouvernement militaire américain dont rel[evait] une
partie de son archidiocèse » [44][44] Tél.
1390, 8 mars 1946, Allemagne, vol. 67.. Le
souci de Koenig de ne « pas se laisser intimider » [45][45] Tél. 193,
17 mars 1946, Allemagne, vol. 67. s’était déjà heurté au veto
du secrétaire aux Affaires allemandes et autrichiennes René Mayer, « d’accord
avec le ministère des Affaires étrangères » pour juger « la menace d’une sorte
de Kulturkampf (...) peu conciliable avec l’ensemble de notre
politique en Allemagne » [46][46] Tél. 120,
13 mars 1946, Allemagne, vol. 67..
Un assaut plus audacieux fut
livré peu après par l’archevêque de Cologne et l’évêque de Paderborn, moment
clé de la croisade contre la dénazification [47][47] Lettre
1106 de François-Poncet, Godesberg, 8 septembre 1950,... :
leur lettre pastorale à lire le lundi de Pâques 27 mars 1946,
élaborée avec le Saint-Siège et « une partie importante de l’épiscopat allemand
». Après « un court préambule qui condamnait le nazisme », elle « faisait
[longuement] grief aux Alliés de continuer à employer contre l’Allemagne les
méthodes mêmes du nazisme » [48][48] Lettre de
Jacobsen 73/DD/S, Mayence, 20 avril 1946,.... Elle
dénonçait « les événements inouïs (ou révoltants) » survenus en Allemagne
orientale, « en particulier en Silésie et dans la région des Sudètes », se
lamentait sur « les masses expulsées de leur patrie », sur les « prisonniers de
guerre [...] employés comme des esclaves au travail obligatoire, bien que
le seul reproche qu’on puisse leur adresser est le fait qu’ils ont été des
soldats. Beaucoup de ces malheureux sont encore sans nouvelles de chez eux ».
Elle définissait la dénazification comme « un cauchemar [abattu] sur le peuple
allemand » : alors qu’il était difficile de « distinguer les vrais nazis
des simples comparses [...] de nombreux Allemands » avaient diffamé « leurs
compatriotes pour se débarrasser d’eux ». Elle protestait donc contre « le
renvoi sans fixation de durée et sans ménagements de milliers de fonctionnaires
et d’hommes employés dans les affaires, l’emprisonnement de milliers encore
sans décision judiciaire, leur privation de liberté sans qu’ils puissent
pourvoir à leur propre défense, sans la possibilité d’entrer en contact avec
leurs propres parents ». Il fallait en finir avec ces « pratiques indignes et
odieuses » : « Tout ce qui rappelle la Gestapo, les camps de concentration
et autres choses semblables doit être exclu de la vie publique », sous peine
d’engendrer une « amertume » ou « un empoisonnement intérieur » qui
compromettrait « le relèvement moral et religieux » de la nation allemande. Par
« l’allocution si importante du 20 février 1946, le Saint-Père a
[d’ailleurs] clairement et sans équivoque écarté la théorie de la faute
collective d’un peuple tout entier [...] et [...] stigmatisé toute action
dans ce sens comme une ingérence dans le droit de Dieu » [49][49] Tél.
Tarbé 69-73, Berlin, 20 avril, lettres 3092 de....
« Il y aurait lieu de demander
au Saint-Siège », tonna Tarbé le 20 avril, « si l’interprétation tirée de
ses paroles par les évêques allemands est exacte et s’il a l’intention
d’accepter qu’elles permettent au clergé allemand d’abuser de la liberté de
parole qui lui a été laissée par les autorités d’occupation pour encourager la
résistance à l’encontre de ces mêmes autorités » [50][50] Tél.
Tarbé 69-73, Berlin, 20 avril 1946, Allemagne,....
L’indignation contre « cette critique violente de l’action des Nations alliées
en Allemagne conçue en termes absolument inadmissibles » [51][51] Lettre
73/DD/S de Jacobsen, Mayence, 20 avril 1946,..., que la
France interdit dans sa zone, buta sur un mur anglo-saxon [52][52] Ibid. et
tél. Tarbé 69-73, 20 avril, et 128, 4 mai 1946,....
Bidault prescrivit fin avril à Jacques Maritain de n’intervenir que sur « les
abus éventuels » de la « liberté de parole » du clergé allemand auprès de la
secrétairerie d’État [53][53] Lettre
161, Paris, 29 avril 1946, Allemagne, vol.....
Laquelle annonça le 20 mai à l’ambassadeur une mesure officielle depuis
le 9 : la nomination comme « délégué apostolique » (pour tout
l’ancien Reich) de l’évêque (germano-)américain de Fargo (déjà chef de la «
Mission vaticane d’assistance » – à l’Allemagne – depuis
l’automne 1945), Mgr Munch, à Francfort (Kronberg), « les autorités
américaines [étant] seules compétentes pour autoriser l’installation du futur
représentant du Saint-Siège dans la zone américaine d’occupation » [54][54] Lettre de
Maritain 63 P, Rome, 20 mai 1946, et note.... À
Maritain venu se plaindre début mai de la surenchère « de zèle nationaliste
[du...] clergé allemand », Montini, secrétaire aux Affaires ordinaires, avait
répondu que la curie ne pourrait « parer à ces abus » de langage et exercer son
« action modérée » que via un tel « représentant du Saint-Siège » [55][55] Lettre 57
P, Rome, 10 mai 1946, Allemagne, vol. 6....
Dispositif de concertation
américano-vatican achevé, « ces abus » proliférèrent, perdant toute mesure à
l’heure de la Conférence de Moscou, au printemps 1947. L’épiscopat brandit « le
danger européen qui résulterait d’une paix de Moscou si elle était rigoureuse »
(Diktat, précisa Mgr Faulhaber le 22 avril) [56][56] Appel de
Freising, Allemagne, vol. 68, et infra.. Gröber stigmatisa le lundi
de Pâques (7 avril) l’occupation en des termes atténuant fort celle du
Reich, ainsi sur les réquisitions : « Il était bien conforme à l’exercice
d’un droit de guerre païen – malheureusement appliqué jusqu’à la limite du
crime par les armées allemandes quand elles étaient victorieuses – que le
pays vaincu passât en la possession du vainqueur » ; ou sur la
répression : « Les prisons se remplirent comme jamais auparavant !
[...] les camps de concentration renaissaient avec leur misère. » Il pleura sur
les « millions d’Allemands [qui], comme pour augmenter la misère accumulée,
durent se laisser chasser de l’Est, du Nord et du Sud-Est », sur les nazis innocents
ou peu « coupables [qui] perdirent leur honneur, leur ancienne situation dans
la profession, l’économie ou la vie publique, pour former maintenant un nouveau
prolétariat et mener une existence triste, l’âme empoisonnée par l’amertume et
le désir de vengeance ». La dénazification n’était qu’une délation : «
L’Allemand se fit en d’innombrables cas l’ennemi juré et le méchant
dénonciateur de son propre frère allemand. » Il « demand[a] » enfin « à tous
les peuples de pardonner à l’ennemi repenti et de l’aimer de nouveau comme son
prochain, compte tenu de ce qu’on ne peut lui reprocher une faute collective ».
À l’heure du choix « occidental », les Français abdiquèrent toute
fermeté : ces « critiques » et l’allusion aux « misères actuelles du
peuple allemand ne sont pas, estima Koenig, de nature à léser les intérêts des
autorités d’occupation » [57][57] Lettre
5857 de Koenig, Baden-Baden, 23 avril 1947,....
Simultanément, Faulhaber
cautionna presque la thèse de la modération de Gröber le 22 avril avec son
« appel de l’épiscopat de Bavière à tous ceux qui veulent respecter les droits
naturels octroyés aux hommes par Dieu ». Avec un an d’avance sur le texte de
Pie XII qui déclencha une tornade en Pologne [58][58] Lettre de
Pie XII à Faulhaber pour tous les évêques..., il y soutint la thèse
nazie selon laquelle les déportations les plus graves de l’Histoire étaient les
expulsions de l’hiver 1945 : « Il s’est passé en Europe quelque chose
d’inouï dont on ne rencontre pas d’équivalent dans l’Histoire »
– paragraphe encadré et marqué d’un point d’interrogation par son
lecteur –, l’expulsion « des millions d’Allemands qui, depuis des siècles,
avaient vécu dans l’est de l’Europe », transplantation inhumaine, « théorie
barbare d’une philosophie totalitaire et sans cœur » ! Il invoqua « les
droits inaliénables et inviolables de l’homme » au bénéfice de « nos
prisonniers de guerre », traités « souvent comme des esclaves, logés et traités
indignement [...] Une si terrible injustice ne peut être permise même si on
veut la fonder et la justifier par des conventions et des décisions humaines
que l’on dénomme droits » [59][59] « Appel
», Freising, 22 avril 1947, Allemagne, vo....
Des thèmes discrets
de 1945-1946 s’affichaient désormais dans les mandements : l’exilé
traître, la démocratie maudite, l’ignominie du procès de Nuremberg et de la
dénazification, le scandale des nouvelles frontières. Bornewasser fustigea en
mars 1947 l’exilé antinazi : « Le patriotisme est un devoir religieux
[...] c’est aussi la fidélité. Celui qui rompt cette fidélité est un traître.
La vraie fidélité se montre lorsque la souffrance et la misère fondent sur la
Patrie. Ne serait-ce point triste de voir quelqu’un qui commencerait à calculer
dans des temps de misère s’il ne pouvait pas vivre de façon meilleure en se
séparant de sa Patrie ? Abandonner sa Patrie pour des motifs purement
égoïstes et pour fuir les sacrifices qu’elle exige de nous, c’est être en
contradiction avec l’esprit chrétien pour qui le sacrifice a plus de valeur que
les biens matériels. » [60][60] Extrait,
20 mars 1947 (mention manuscrite), Allemagne,... À
Pâques, il rejeta les structures politiques imposées par l’occupant : « La
liberté démocratique par contre, qu’on peut seulement saluer comme telle, mais
qui ne peut s’injecter du jour au lendemain à un peuple mis en esclavage
pendant treize ans, devint progressivement la source de nouveaux maux et
dangers » ; sur le procès de Nuremberg perçait la compassion pour les
bourreaux : « Les gens du IIIe Reich abattu perdirent par
pendaison leur vie, accablée d’épouvantables crimes, après un procès à grand
spectacle pendant de longs mois. » [61][61] Lettre
5857 de Koenig, Baden-Baden, 23 avril 1947,... Ses «
remarques désobligeantes » du 29 juin 1947 visaient les Français
autant que les Soviétiques : « L’atroce guerre a jeté vers l’Europe des
millions d’étrangers qui non seulement en détruisant les réserves, affaiblirent
les armées allemandes, mais qui ravagèrent encore par les bombardements de
grandes étendues de terres arables. Ensuite les puissances occupantes, dans certaines
zones du moins, ont tant consommé de ce qui avait subsisté qu’il ne resta plus
rien pour les habitants. » [62][62] Lettre
6776 de Laffon, Baden-Baden, 9 juillet 1947,... En
juillet, il contesta la carte de Yalta et Potsdam : « Les territoires si
fertiles de l’Est [...] sont maintenant en possession des Russes et des
Polonais » alors que « les Allemands qui avaient habité ces régions sont
entassés dans l’Ouest » [63][63]
Traduction, et lettre de Laffon 6776, Baden-Baden,....
Le
21 septembre 1947, à Einsiedeln, devant des Suisses allemands
compréhensifs, Gröber ne se contenta pas de sangloter sur la «
non-responsabilité collective allemande » et « les souffrances imméritées [de]
la grande majorité du peuple allemand », dont « le seul crime fut de suivre de
bonne foi un mouvement puissant, de lui donner leurs voix et leurs bras ». Il
alla au-delà : « Il “n’avait eu aucune preuve certaine des atrocités qui
auraient eu lieu dans les camps de concentration”. Ces récits se seraient
propagés sur la foi d’ “on-dits”. » L’organe communiste suisse Arbeiter
Zeitung, indigné, livra du prélat une biographie depuis janvier 1933
précise et accablante [64][64] Article
traduit du 10 octobre 1947, bordereau d’envoi.... Celui
qui « se disait lui-même “évêque politique” et [qui...] a[vait] été
l’inspirateur de la CDU badoise » [65][65] Lettre de
Koenig 9641, Baden-Baden, 17 février 1948,...,
rédigea le 14 janvier 1948 un mandement de carême à lire les 1er
et 8 février. Sermon significatif des hardiesses envers les occupants (pas
seulement russes), pressés de renouer avec l’Allemagne une alliance avec Hitler
qui les rendait plus coupables que les Allemands : il était très «
troublant » que Hitler ait séduit « d’autres nations [qui] se laissèrent
leurrer et cherchèrent, même pendant les hostilités, à se rapprocher de lui
[pour] conclure des traités avec l’Allemagne. Je plains d’autant plus ceux qui,
entraînés dès le début de l’évolution, sont obligés de payer aujourd’hui de
leurs revenus, de leur liberté et de leur honneur », sans compter « le danger
de nouvelles vengeances et de futures effusions de sang » induit par cette
grave injustice. La maladie (qui l’emporta le 14 février) [66][66] Lettre de
Koenig 8289, Baden-Baden, 12 novembre 1947,... avait
incité Gröber à la méditation sur la grandeur allemande : « Combien me
suis-je réjoui que précisément la science allemande ait devancé la science des
autres pays. » Sans doute pesait le risque que l’Allemagne soit supplantée «
si, imbus d’eux-mêmes, les vainqueurs nous éliminent » ; mais ils «
reconnaîtront finalement que sans la collaboration du peuple
allemand [...] il n’y a pas de progrès » [67][67] Lettre de
Koenig 9491, Baden-Baden, 9 février 1948,....
b) ... aux pratiques
Comme à Rome, les pratiques
avaient devancé le verbe public, dans le cadre de structures politiques
renouant dès mai 1945 avec les fastes du Zentrum et du Parti
populaire bavarois. Les prélats obtinrent promptement la libération de
prisonniers de guerre ecclésiastiques, qui incités à la férocité par leur
évêque Rarkowski [68][68] Lewy,
Church, p. 236-242, 247, et Zahn, Catholics,... et y
poussant les troupes, n’avaient pas montré plus de douceur que celles-ci et
leurs chefs laïcs. Mgr Faulhaber arracha dès octobre 1945 aux
Français, par son « intervention personnelle et par l’intermédiaire des
Autorités américaines », la libération de quatre prêtres et un pasteur «
prisonniers de guerre » (seul vocable utilisé) [69][69] PV de
réunion (25 octobre) du Directoire des affaires....
Décrite ailleurs, la « Commission pontificale d’assistance », regroupant deux
commissions antérieures, financée par les États-Unis, fut mise sur pied entre
février et octobre 1945 et dirigée depuis mai 1946 par l’évêque
germano-américain Mgr Munch, déjà présenté. Coordonnant des efforts menés
depuis 1943-1944, elle orientait les criminels de guerre vers les filières
d’évasion, l’Amérique du Sud surtout. Le seul nom du responsable du « problème
des réfugiés pour toute l’Allemagne », l’évêque d’Ermland Maximilian Kaller,
hôte habituel de la curie et vieil instrument de l’expansion du Reich à l’Est,
suffirait à définir l’œuvre accomplie [70][70] Tél.
Tarbé, Berlin, 5 octobre 1946, Allemagne, vol. 68,....
Les démarches officielles au
profit des « prisonniers de guerre » gagnèrent en audace avec la priorité
antibolchevique déclarée, et pas seulement dans la Bizone. En
juillet 1948, à Offenburg, le député MRP Meck, ami de Schuman [71][71] Raymond
Poidevin, Robert Schuman, homme d’État, 1886-1903,..., «
aurait prié [...] quarante prêtres » allemands réunis en vue de la création des
syndicats chrétiens, « de lui signaler toutes les difficultés qu’ils
rencontraient auprès des officiers FFI et principalement FTP contre lesquels il
se serait fait fort d’intervenir immédiatement à Paris ou à Baden-Baden » [72][72] Note
2603/POL, Paris, 28 juillet 1948, Allemagne,.... Dans
les réunions communes reprises, les prélats allemands priaient leurs homologues
français de soustraire leurs ouailles à la justice : au « 72e Congrès
des catholiques allemands » de septembre 1948, l’évêque de Mayence demanda
à l’archevêque de Bordeaux Feltin de faire libérer « un de ses diocésains,
“arrêté par les Français à Ingelheim en mars 1947 et transféré en France
sans que l’on sache pourquoi”... pareil cas se produisant souvent » [73][73] «
Réflexions sur le 72e Congrès (...) », classé entre 13....
La charité catholique,
également organisée sous les auspices américano-vaticans, n’échappa pas à
l’objectif général de placer à la tête du futur Reich des dirigeants de
l’ancien, issus du Zentrum ou non, sous couvert d’ « urgence », via la
distribution d’assistance, la gestion des chemins de fer ou « même le programme
de dénazification » : on confiait à « d’anciens Nazis la responsabilité
complète de statuer sur les plaintes des Juifs et non-nazis dont la propriété
a[vait] été saisie par Hitler » [74][74] Lettre de
Bérard 1163, Washington, 22 juin 1946 et.... Des
organismes cléricaux couvraient des officines nazies, telle la section dite «
Aide chrétienne » de l’ « Allemagne démocratique », mouvement dirigé par
l’ancien chancelier du Zentrum Joseph Wirth, faux opposant à Hitler [75][75] Lettre de
Hoppenot 1025, Berne, 13 novembre 1946,.... Le
clergé, peuplant les rouages administratifs des Länder en voie de restauration,
épargnait l’épuration aux pires nazis, si « gentils, profondément religieux »
et assidus à la messe [76][76] Lettre
569 de Bonnet, Washington, 5 mars 1946, États-Unis,....
Depuis 1945, la Bavière, cas d’étude des journalistes américains en
mission sur place, atteignait les sommets [77][77] Voir
surtout Allemagne, vol. 99 à 104, et Lacroix-Riz,....
Début 1946, à Cobourg (en Rhénanie), « une association chrétienne de
scouts aurait diffusé des tracts hostiles aux Alliés et publié une liste de
jeunes filles “fraternisant” avec les soldats d’occupation » [78][78] Lettre
331 du Consul de France à Bâle, 18 mars 1946,.... Le
clergé achevait alors la remise en selle du nazi « au-dessus de tout soupçon »
Ernst Jünger, « très influent parmi les jeunes générations, en particulier dans
les milieux intellectuels et universitaires ». L’écrivain avait au début de
l’occupation alliée rédigé un essai, Der Friede, ein Wort an die deutsche
Jugend ( « La paix, un mot à la jeunesse allemande » ), alors interdit par
les autorités anglaises et largement diffusé clandestinement, « avant tout parmi
les anciens chefs de la Jeunesse Hitlérienne et autres “activistes” », puis, au
printemps 1946, « par les milieux catholiques. En Bavière [...], ce
serait le clergé qui remettrait des exemplaires imprimés aux jeunes gens »,
Jünger annonçait alors sa prochaine conversion « au catholicisme » : se
déclarant « profondément influencé par l’écrivain catholique Schubart », il
préparait « une nouvelle édition de son œuvre, [...] en en supprimant tous
les passages par trop “radicaux” [et...] entièrement réorientée vers “l’Ouest”
[...] toute son activité serait consacrée à la lutte contre l’influence
soviétique au sein de la jeunesse allemande » [79][79] Lettre
676 de Hoppenot, Berne, 26 juin 1946, Allemagne,....
Ajoutons-y ce qui frappait
tous les observateurs, « les traces de la propagande de Goebbels » et «
l’hostilité foncière des masses allemandes à tout ce qui vient des Russes,
“cette race inférieure” », qui bénéficièrent au SPD aux élections municipales
de Berlin d’octobre 1946 [80][80] Lettre de
Tarbé 8511, Baden-Baden, 2 novembre 1946,.... Aussi
représentatifs que sa philippique contre le plan soviétique allégué de «
bolchevisation totale de l’Allemagne de l’Est » furent les propos détendus du
chanoine Adolph Walther, « un des principaux collaborateurs » de von Preysing,
devant le correspondant de l’AFP à Berlin en juillet 1946. Les suites de
la défaite – attitude de l’Armée rouge, fixation des frontières de l’Est,
expulsion des Allemands de Pologne et de Tchécoslovaquie –, inspirant « à
la population de la zone Est un ressentiment profond contre tout ce qui est
russe et soviétique », provoqueraient un raz de marée catholique en Allemagne
orientale : une des « difficultés [...] est la qualité généralement
inférieure du Russe par rapport à l’Allemand. Que voulez-vous que le Russe
apporte à l’Allemagne du point de vue intellectuel, moral ou à quelque point de
vue que ce soit. Pour pénétrer l’esprit allemand, il faut pouvoir présenter ses
titres en matière philosophique et historique, et avec les Soviets, il n’en est
pas question » [81][81] Lettre
2741 de Tarbé, Berlin, 8 juillet 1946, et note....
La façon dont fut organisée en
zone française la lutte clandestine, sourde ou ouverte rattache également
celle-ci au nazisme ou au vieux pangermanisme. Symbole de cette haine recuite,
Gröber, l’ancien SS devenu « protecteur des hitlériens » (matière d’une
chronique de l’Arbeiter Zeitung suisse), pratiqua très tôt la
chasse aux sorcières : à l’automne 1946, outré de leur «
collaboration [...] avec les autorités françaises », il menaça « des prêtres
âgés [...] de nombreuses mises à la retraite, afin de remplacer [ces] suspects
[...] par des éléments plus jeunes et plus dociles » [82][82] Lettre
1321 du Consul de France à Bâle, 23 novembre 1946,....
Bornewasser, fidèle à son passé de guérilla contre les Français, avec le même
appui romain, avait « déclenché » début 1947 « une offensive » contre le
rattachement économique de la Sarre à la France [83][83] Tél.
Bidault 150-155 à Ambafrance Saint-Siège, Paris,..., qui
prit un tour aigu en mai. Il « s’appuie sur la bienveillance du Vatican »,
assura Koenig le 30 [84][84] Tél.
Koenig 2633, 30 mai 1947, Allemagne, vol. 68. «
Véritable déclaration de guerre », la réunion du 21 mai au siège de
l’évêché, avec ses principaux collaborateurs, dont le vicaire général
Mgr von Meurers, et « presque tous les doyens du diocèse » communiqua « les
consignes » de l’évêque après l’interdiction par les Français de certains
paragraphes d’une lettre pastorale. Il déclara « entre autres :
[...] Les dirigeants des catholiques allemands ne sont pas les Français
mais nos évêques. C’est actuellement le devoir absolu et aussi l’intérêt de
l’Église de conduire le peuple allemand pour qu’il se souvienne encore avec
fierté de sa noble qualité d’Allemand. C’est la jeunesse qui aura toute notre
sollicitude, nous organiserons des cours du soir où nos jeunes auront la
possibilité de se perfectionner dans la connaissance des langues étrangères de
préférence l’espagnol et l’anglais, afin que ceux qui désireront ou devront
émigrer en Amérique du Sud puissent montrer là-bas le visage du “vrai Deutschtum”
» (confirmation, parmi mainte autre, de la contribution catholique à
l’organisation de cette filière d’émigration nazie). « Vous devez éduquer la
jeunesse dans le sens d’une Allemagne “totale et nationale”. C’est le moment de
prendre position contre l’ingérence du gouvernement français et derrière lui
l’État français dans nos affaires religieuses. [...] Nous saurons prouver
par la parole et par l’action que nous sommes capables de mener à bonne
fin la lutte qui paraît avoir commencé. » [85][85] Tél.
Boislambert 1835, 24 mai 1947, Allemagne, vol. 68....
Les Américains d’abord, les
Anglais ensuite, plus hésitants, avaient largement remis à l’Église catholique
le système scolaire. Aussi, bien informé, l’occupant français, malgré les
efforts de l’équipe Schmittlein chargée de l’Éducation, avait par son
rétablissement du statu quo abdiqué tout contrôle sur la « rééducation ». Il ne
pouvait caresser d’illusion sur les objectifs de Gröber quand celui-ci vanta en
janvier 1946 les mérites de l’école confessionnelle, exigeant le libre
recrutement d’instituteurs ayant « les convictions catholiques et l’esprit
apostolique » [86][86] Extrait,
BE 1770, Paris, 21 février 1946, Allemagne,.... En
décembre 1946, l’Église, l’ayant obtenu, tentait, via les projets de
Constitution des Länder, de balayer la modeste tentative laïque des
écoles normales, et Laffon dressa ce bilan : ces écoles n’existent encore
que sur le papier, mais « l’enseignement religieux figure en tête des matières
à enseigner [...] les concessions qui ont été faites sont de nature à donner
entière satisfaction à l’épiscopat allemand sur le plan religieux. Aller plus
loin et accorder le statut confessionnel [...] consisterait à abandonner aux
églises la rééducation du peuple allemand, c’est-à-dire en pratique à rendre
cette rééducation parfaitement illusoire ». L’épiscopat triomphait tant du
point de vue des structures (l’occupant n’exerçait plus « aucune autorité et
aucun contrôle » sur le personnel enseignant) que des méthodes : ses «
informations [...] sur la majorité écrasante des partisans de l’école
confessionnelle sont fortement sujettes à caution. [...] Pratiquement
nulle part la consultation des parents n’a pu se faire selon les règles données
» ; elle « a été partout faussée par l’intervention irrégulière du clergé
usant très souvent de méthodes [...] rappel[a]nt étrangement le
national-socialisme » [87][87] Note pour
Koenig, Baden-Baden, 30 décembre 1946, Allemagne,....
La guerre froide triomphant,
l’épiscopat exhala sa nostalgie d’une Allemagne réarmée jusqu’aux dents pour
régler son compte au bolchevisme. N’ayant jamais démenti son appui à la guerre
hitlérienne, même lorsque ses critiques (contre l’eugénisme, l’euthanasie ou
les « innocents ») s’étaient enhardies à l’approche de la défaite, il révéla
début 1948 ce que signifiait l’Allemagne « totale et nationale ». À
l’occasion d’un voyage à Rome aux côtés de Faulhaber (au nom de l’ensemble de
l’épiscopat) consacré aux plans politico-militaires germano-américains
retranchés derrière la « nécessité de s’opposer au communisme en Allemagne
comme ailleurs », le cardinal-archevêque de Cologne Frings avoua en avril au
chargé d’affaires français au Vatican Bourdeillette sa hâte de remettre sac au
dos aux jeunes Allemands : « certains prélats » regrettent « que la
jeunesse [...] soit privée de tout encadrement ; s’ils n’ont pas réclamé
pour elle le rétablissement du service militaire, du moins souhaiteraient-ils
que le travail obligatoire, ou quelque institution de ce genre, soient
restaurés aussitôt que possible ; sans cette discipline, l’éducation de la
jeunesse reste incomplète, m’a dit notamment le cardinal Frings, il faut que
les jeunes gens éprouvent le bienfait de la soumission à l’autorité et de
l’embrigadement, pour qu’ils puissent échapper à l’appel du chaos que tout
Allemand entend dans l’intime de lui-même, et qui le séduit toujours » [88][88] Lettre
143 de Bourdeillette, Rome, 3 mai 1948, Allemagne,....
2. La « dénazification » protestante : des apparences aux réalités 1945-1949
a) L’expiation évangélique ? Les pistes de l’été 1945 à mars 1946
Ripoliné par les Églises
anglo-américaines muées en 1945 en « centre » du protestantisme allemand,
le haut clergé protestant dut cependant offrir des garanties verbales de
remords épargnées à l’Église catholique : une condition fut mise par le
Conseil œcuménique protestant à la restauration de Treysa, à l’été 1945, «
la reconnaissance préalable et totale de la culpabilité et de la responsabilité
du peuple allemand ». À Stuttgart les 18 et 19 octobre 1945, au
Conseil œcuménique suivant, qui offrit au Conseil des Douze la caution du
protestantisme international, Niemöller lui donna son « adhésion complète », se
déclarant « solidaire du peuple allemand dans la misère et dans la culpabilité
», ce qui lui permit de « prend[re] une part prépondérante à la rédaction » de
la Déclaration de Stuttgart [89][89] Synopsis,
février 1946, IV, Allemagne, vol. 32 et....
Laquelle, comme les débats, avait limité l’aveu en exaltant « la courageuse
résistance à l’hitlérisme » de l’Église allemande et en stigmatisant « l’esprit
de violence et de vengeance » des Alliés [90][90] Note
Brun, 9 novembre 1945, Allemagne, vol. 67 (et....
En février 1946, le
Congrès mondial de l’Église protestante et orthodoxe de Genève accueillit parmi
trente nations l’Allemagne, représentée par Wurm et son second, Niemöller, dont
les Américains avaient organisé le voyage comme celui, à Rome, simultané, des
cardinaux von Preysing et Faulhaber [91][91] Copie du
tél. 104, lettre 1790/POL, s.d., BE du 23 janvier 1946,.... Elle
fut admise après sa déclaration « de repentance pour les péchés commis par le
nazisme ». Niemöller, « chargé spécialement des relations avec l’extérieur » et
qualifié d’ « antinazi notoire », déclara alors « l’Église protestante [...]
complètement dénazifiée » [92][92] Synopsis,
février 1946, IV, Allemagne, vol. 32.. On put le croire avec sa
tournée en Suisse de mars 1946 : à Bâle, le 9, devant « une très
nombreuse assistance [, ... il] a insisté sur la responsabilité collective
du peuple allemand et sur la responsabilité de l’individu. Il a reconnu que
lui-même, il n’avait pas assez élevé la voix pour dénoncer la persécution des
communistes et des juifs. Il a conclu que la responsabilité de l’Église était
peut-être plus lourde que celle du parti national-socialiste ». « La presse
libérale et radicale » célébra ce « glorieux martyr », l’Arbeiter Zeitung
rappela son passé nazi, le caractère limité à l’ « autonomie de l’Église » de
son « conflit avec Hitler » et son « traitement privilégié » à Dachau [93][93] Lettre du
Consul de France à Bâle, 18 mars 1946, Allemagne,.... C’est
surtout la conférence « au temple de “Ville Nouvelle” », début mars, « devant
environ 1 200 étudiants » de l’Université bavaroise d’Erlangen qui posa
Niemöller en résistant. Il fut en effet le seul dignitaire à reconnaître la culpabilité
allemande, devant un public constitué surtout, comme dans toutes les zones
occidentales, de jeunes (ou moins jeunes) anciens officiers de la Wehrmacht [94][94]
Allemagne, vol. 99 à 104 et « Politique scolaire .... Dans
ce fief protestant, prussien et nazi, Niemöller aurait, selon l’organe sous
licence américaine Neue Zeitung, déclaré que « cette fois la défaite
[était] plus manifeste qu’il y a vingt-huit ans », déploré la disparition de
toute éthique chez « certains de [s]es camarades de la Première Guerre
mondiale, Raeder et Doenitz » et admis la culpabilité de l’Église et du peuple
allemands. « Sans cette confession, insista-t-il, il n’y aura ni pardon ni
rénovation. Notre silence est coupable ; moi-même, j’ai vu des juifs
maltraités en camp de concentration. Si nous ne la reconnaissions pas, cette
culpabilité demeure : de trente à quarante millions d’hommes ont été
abattus par les mains allemandes, mais nul en Allemagne n’est prêt à
reconnaître cette faute [...] Nous sommes coupables. Nous savons que nous méritons
un châtiment [...] On entend beaucoup de plaintes au sujet de notre détresse,
de notre famine. Mais je n’ai pas encore entendu en Allemagne un homme exprimer
du haut de la chaire son regret des souffrances terribles que nous, Allemands,
avons infligées à d’autres peuples, son regret de ce qui s’est passé en
Pologne, son regret des massacres de Russie, son regret des cinq à six millions
de Juifs morts ! » Ce discours suscita des « protestations, bruits de
pieds et cris : “et la culpabilité des autres ?” ». L’orateur n’avait
pourtant pas renié son passé, en rappelant, ce dont il s’était gardé à Bâle,
que « les idéaux du nazisme n’étaient pas tous mauvais » [95][95] Lettre
241 de Hoppenot, 6 mars, et Articles et Documents,.... Signe
de l’attachement des futures élites de la RFA au régime défunt, les étudiants
de Théologie de Göttingen, en zone britannique, envoyèrent à ceux d’Erlangen «
une lettre pour les féliciter d’avoir réagi contre les idées exposées par le
“traître Niemöller”. Certains [...] auraient même exprimé en public le regret
que le pasteur Niemöller ait échappé à la chambre à gaz du camp de
concentration où il a été détenu de longs mois » [96][96] Lettre
277 de Hoppenot, Berne, 12 mars 1946, Allemagne,....
b) Les réalités de la dénazification protestante : Niemöller et les siens
La campagne de Niemöller sur
la culpabilité allemande s’arrêta en mars 1946, époque où d’ailleurs ses
propos privés contredisaient les publics. Compte tenu de l’autocensure propre à
l’expression devant des occupants, ses déclarations le 19 mars 1946 à
Baden-Baden en présence de hauts fonctionnaires français attestent que le
pangermaniste de 1914 ou 1933 n’avait pas changé. Il prétendit que les incidents
d’Erlangen « ne préjuge[ai]ent pas de l’avenir [:] un tiers seulement de
la jeunesse lui semble gravement contaminée par les idées
nationales-socialistes ». Il déplora le manque de cadres des mouvements de
jeunesse confessionnels, par ailleurs « trop âgés », supposés guérir la
jeunesse des idées qu’ils avaient contribué à leur inoculer, et proposa de
pallier le déficit de maîtres dû à l’épuration en zone française par l’envoi «
d’instituteurs repliés de la zone russe, de Silésie notamment, et qui lui
étaient personnellement connus ». Plus sincère, il se félicita de « la
dislocation des vieux partis [, ...] seul bénéfice laissé à
l’Allemagne par l’aventure nationale socialiste est », et confirma l’absence de
« signification » des récentes élections en zone américaine : « Les
Allemands ont partout voté dans la ligne de moindre résistance et chercheront
encore longtemps à complaire par leurs votes aux Anglo-Saxons dans les zones de
l’Ouest, aux Russes dans la zone orientale. » Même franchise lorsqu’il « réagit
en Prussien » à propos du particularisme : « Les mouvements apparus en
Allemagne du Sud n’ont pas d’intérêt, et ne sont que le résultat de
l’effondrement du Reich, produisant des effets analogues à ceux de 1918. »
À une question sur Bismarck, « il répond par une allusion à Louis XIV et à
Napoléon et déclare qu’il serait mauvais d’apprendre aux Allemands à avoir
honte de leur passé » [97][97] Note 1756
de Charmasse, Baden-Baden, 19 mars 1946,....
Nombre d’autres exemples
de 1945-1946 attestent que le badigeonnage des dignitaires ne les avait
pas changés. Dès septembre 1945, l’évêque de Berlin Dibelius déclara à
Koenig refuser désormais le « patriotisme exacerbé », prétendit avoir pendant
la guerre renié son passé de nazi « frénétiquement nationaliste et férocement
antisémite » et avoir réagi à l’exagération hitlérienne en « cach[ant] des
juifs en péril ». Mais il ajouta en fin d’entretien, après le propos rituel sur
la tutelle des Russes quand les « trois autres Alliés » seraient partis, qu’il
fallait donc « accepter avec eux un modus vivendi... jusqu’à la
prochaine guerre » [98][98] Lettre de
Koeltz 1102, Berlin, 18 septembre 1945,.... Le
3 novembre 1945, au nom du Conseil des Douze, il adressa au Conseil
de contrôle « un long rapport » aussi insolent que le mandement de Fulda, avec
ses « critiques contre le comportement des troupes d’occupation, spécialement
contre la liberté laissée aux Polonais en zone américaine ». Il menait la
guérilla avec assez d’audace pour contraindre les Soviets, premiers mais pas
seuls visés, à réagir, le 25 février 1946, à la 11e réunion
du Comité des affaires religieuses. « D’un ton péremptoire, conta le rédacteur
français de la séance, le paisible colonel Makukhin demande que son collègue
américain [le colonel Knappen] amène l’évêque Wurm à “cesser de nous faire la
guerre” », et « brandit une feuille de papier » reproduisant son « exhortation
aux chrétiens de Grande-Bretagne », « réponse à une lettre de l’archevêque de
Cantorbery » que la BBC avait empêché de demeurer secrète : rappelant «
que c’est le diktat de Versailles qui a favorisé l’éclosion du
national-socialisme, [Wurm] met en garde contre la sévérité outrancière des
Alliés à l’égard de l’Allemagne vaincue » ; on assistera à « la
restauration inévitable du nazisme si des adoucissements n’interviennent pas
» ; mais il comptait à nouveau « sur les chrétiens de Grande-Bretagne pour
provoquer la détente puisque déjà une fois le diktat de Versailles,
leurs efforts ont amené la renaissance du vaincu ». Les anglophones
esquivèrent, l’Américain invoquant l’âge de Wurm, « dont les 78 ans ne se
rendent pas suffisamment compte du maniement de certaines idées ou de certains
termes » [99][99] Compte
rendu, 25 février 1946, Allemagne, vol. 67.
Le 26 avril 1946, le
Conseil de l’EEA signa un « long mémoire », deuxième grande initiative
ecclésiastique contre la dénazification après le « mandement collectif » de
Cologne et Paderborn du 27 mars. Le texte ne concédait en préambule « la
nécessité de punir les crimes nazis » que pour en rendre impossible
l’application : la « directive 24 du Conseil de contrôle »
(promulguée le 12 janvier 1946) prévoyait des « sanctions trop dures
», violait le principe de droit nulla poena, sine lege, imposait la
charge de la preuve aux prévenus au lieu de l’exiger de l’accusation « comme il
est de rigueur en droit pénal » et se montrait trop sévère pour les adhérents
du NSDAP d’avant avril 1937 ; il fallait opérer « une distinction
plus nette entre les organisations nazies majeures et celles [... d’]importance
secondaire ». « Les méthodes de dénazification étaient parfois plus cruelles
dans leur application que ne l’avaient été les mesures nazies envers les
adversaires du régime » ; le système des Fragebogen
(questionnaires individuels) incitait « au mensonge et à la délation » ;
les mesures contre les jeunes, particulièrement « injustes », menaçaient
gravement leur avenir et leur sens moral. La seule différence avec la prose
épiscopale courante de 1946 était son silence sur « l’un des griefs les
plus répandus » contre la dénazification, l’attitude passée de « ceux des
Alliés [...] mieux renseignés que le peuple allemand » sur la politique de
Hitler, mais « représentés auprès de lui » et qui avaient traité avec lui [100][100] Lettre
1106 de François-Poncet, Godesberg, 8 septembre 1950,.... Cet
assaut contre les « mesures alliées de dénazification » annonçait la lettre
pastorale du 1er février 1948 [101][101] Lettre
de Seydoux 95, Berlin, 24 février 1948, Allemagne,... qui
clôturerait la brève carrière d’antinazi de Niemöller.
En août 1946, la participation
de celui-ci à des congrès internationaux se heurta aux refus de la
Grande-Bretagne puis des Pays-Bas, où les résistants communistes mirent leur
veto contre son invitation au « Congrès international des anciens prisonniers
politiques » de septembre [102][102] Lettre
de Hoppenot 811, Berne, 21 août 1946, Allemagne,.... Mise
au piquet abrégée par la surenchère entre « commissaires-priseurs » : il
fut en novembre 1946 invité en Angleterre (où Dibelius lui succéda) pour
visiter des camps de prisonniers et prendre « contact avec les hautes autorités
ecclésiastiques anglaises », « action » marquée, selon l’attaché culturel
français, par « un antisoviétisme exprimé ou latent ». Début décembre, il
s’apprêtait à aller au Congrès protestant de Seattle « préparer une meilleure
compréhension des chrétientés d’Allemagne et d’Amérique » [103][103] Note
308/MCN, Berlin, 5 décembre 1946
(1er novembre-3 décembre),....
« Compréhension » qu’explicita
la pétition adressée fin novembre 1946 par le Conseil de l’EEA aux
gouvernements détenteurs de prisonniers de guerre et à la Croix-Rouge
internationale. Elle avait été préparée par une campagne lancée dès la fin
de 1944 et surtout depuis l’été 1945 en faveur de la « protection » puis
de la libération des prisonniers de guerre allemands, où surenchérissaient la
Curie, Washington (souvent via la Suisse et le Comité international de la
Croix-Rouge) et Londres (pourtant bien marrie de devoir relâcher sous la
pression américaine une utile main-d’œuvre) [104][104] Allemagne,
vol. 22-23, Prisonniers de guerre, août 1944-septembre 1947,.... Cette
« prière des chrétiens d’Allemagne aux peuples du monde à l’occasion de Noël »,
aux « mères de tous les pays », aux « pères de famille » et aux « chrétiens »,
appelait « à un don fraternel » et larmoyait sur « plus de cinq millions
d’Allemands » et leurs familles. Le Conseil évangélique a « le souci », ironisa
Seydoux, confronté à Berlin à la déferlante de la charité germanophile
anglo-américaine [105][105] Correspondance
Seydoux, novembre-décembre 1946, Allemagne,..., « de
corriger l’impression fâcheuse provoquée par la déclaration de Stuttgart du
18 octobre 1945, dans laquelle était reconnue la culpabilité du
peuple allemand » [106][106] Lettre
de Seydoux 4320, Berlin, 30 novembre 1946,....
Le long (sept mois) et
triomphal voyage aux États-Unis de Niemöller révéla l’usage tactique de la
thèse éclair de la culpabilité allemande. Son invitation par le Federal
Council of the Churches of Christ, présidé par un des plus anciens piliers
de l’alliance avec le Reich, John Foster Dulles (frère d’Allen), marqua une
étape majeure dans la mutation du Reich nazi en « bonne Allemagne ». « Premier
Allemand » invité à « faire une tournée de conférences », Niemöller était
chargé « de rétablir entre Protestants américains et allemands les relations
interrompues par la guerre, de vaincre le sentiment d’hostilité du peuple
américain à l’égard du peuple allemand ». La cause de la « bonne Allemagne » et
de la vilaine Russie ayant en 1946 progressé à pas de géant aux
États-Unis, il ne parla plus de camps de concentration, de Polonais, de
Soviétiques ou de juifs massacrés par des « mains allemandes ». À Seattle, le
4 décembre 1946, il présenta la défaite comme « une leçon divine
» : Hitler avait été abattu par Dieu, seule l’Église allemande avait
résisté. On pouvait donc tout oublier, sauf les « leçons » de Dieu et l’ « appel
à la fraternité œcuménique : “Tous les hommes ont leur part de
responsabilité dans les péchés” ». « De nombreuses voix, surtout chez les
libéraux » américains, protestèrent contre une explication de la défaite «
tend[ant] à exonérer le peuple allemand » et « contre le fait qu’un
nationaliste aussi marqué ait été admis à faire une tournée de propagande aux
États-Unis ». La presse libérale fouilla dans le passé du porteur de la croix
de fer prêt à reprendre du service pour le Reich en 1939 (non pas, se
justifia-t-il, « pour “la guerre de Hitler” mais pour le salut de l’Allemagne
»). Eleanor Roosevelt observa « qu’un ancien commandant de sous-marins et de
plus nationaliste allemand [était] difficilement un orateur de toute confiance
pour une nouvelle Allemagne ».
« Certaines de ses récentes
déclarations » sur la mort simultanée de l’antisémitisme et du
national-socialisme ont, rapporta l’attaché à Washington Armand Bérard fin
janvier 1947, « vivement ému l’opinion israélite » [107][107] Lettre
de Bérard 203, Washington, 28 janvier 1947,.... Le Dr Stefan
S. Wise, rabbin de New York et président de l’American Jewish
Congress, protesta après une réunion de ce dernier contre l’invitation
auprès du Federal Council protestant, s’attirant les sarcasmes du
journal suisse conservateur et germanophile Basler Nachrichten sur la
lutte de Niemöller en Allemagne « beaucoup plus méritoire que la campagne qu’a
menée le rabbin Wise en Amérique contre le national-socialisme » [108][108] Lettre
252 de Hoppenot, Berne, 28 janvier 1947, Allemagne,....
Niemöller « est arrivé en Amérique, ricana le journaliste John P. Lewis,
pour nous faire savoir que l’antisémitisme était mort en Allemagne ; si le
Pasteur regardait un peu plus exactement, il s’apercevrait que ce sont les
Juifs qui sont morts » [109][109] Der Geist
du 9 mai 1947 (Neue Zeitung du 21 février),.... Les
journalistes libéraux qui avaient depuis 1945 sillonné les zones
occidentales l’accusaient « de fermer les yeux à l’évidence ou de peindre son
pays sous des couleurs entièrement fausses » [110][110] Lettre
de Bérard 203, Washington, 28 janvier 1947,....
Critiques incapables d’infléchir la « politique douce » dont la mission de
Niemöller ne constituait qu’un signe, les « Germano-Américains » ayant perdu
toute retenue dans l’apitoiement sur l’Allemagne, ses enfants faméliques, ses
prisonniers de guerre martyrisés par la France et les Soviets, etc.,
leitmotiv de la presse de Chicago, mais pas seulement : le chef de
l’Église protestante, Mgr Sherill, archevêque de Boston fut aussi
chaleureux [111][111] Lettre
85 de Chambon, consul à Boston, 10 mars 1947,.... Ce
voyage, premier d’une longue liste, catholique et protestante, « contribue,
commenta Bérard, à développer la tendance, déjà trop répandue dans certains
milieux, à considérer l’Allemagne comme la première victime du
national-socialisme » [112][112] Lettre
de Bérard 203, Washington, 28 janvier 1947,....
Début mai 1947, des
informations précises, tel le livre de Muller-Meiniger, Parteigenossen,
filtrèrent sur la remise en selle en Hesse et dans le Palatinat par ce « grand
nazi » de tous « les anciens membres des synodes » nazis – « comme jadis
en Prusse » – contre les « libéraux-socialistes [...] comme naguère
diffamés » [113][113] Traduction,
Der Geist, 9 mai 1947, Allemagne, vol.... Début
juillet, à son retour, Niemöller fit à la presse berlinoise des déclarations
sur les rumeurs belliqueuses grandissantes en Amérique « étonnantes [dans] la
bouche d’un pasteur », rappelant plus sa carrière dans les sous-marins : «
Si j’étais Russe, je ferais de l’Europe un arsenal, puis, en deux jours, les
deux autres Puissances d’occupation seraient au fond de la Manche. »
L’antisémitisme, soudain ranimé, devait tout à « la fatale politique du gouvernement
militaire américain » : « Des juifs occupent tous les postes
administratifs “auprès desquels les Allemands rencontrent des difficultés”. »
L’ancien antisémite bourrelé de remords de mars 1946 rappelait qu’il était
« fils d’une famille paysanne westphalienne, “qui n’a jamais compté de juif en
son sein” [...] Si, sans éprouver à leur égard de sympathie humaine, il
intervient en faveur des juifs, c’est que son devoir de chrétien le lui
prescrit » [114][114] International
News de Berlin, 11 juillet 1947 (Neue.... Cette
nouvelle campagne du « grand prédicateur de la culpabilité allemande », plus
conforme à « sa traditionnelle antipathie vis-à-vis des juifs », lui coûta l’un
des titres qui cautionnaient son passé d’antinazi : l’Union des victimes
du nazisme, la VVN (Vereinigung der Verfolgten des Nazismus), lui
retira fin juillet 1947 sa qualité de « victime du fascisme » (ODF).
L’affaire provoqua « un bruit énorme », alors qu’il dirigeait la délégation
allemande à la deuxième conférence mondiale de la jeunesse chrétienne à Oslo [115][115] Note
s.d., jointe à la lettre de Seydoux 95, Berlin,....
À l’automne 1947, les
protestants avaient rejoint les catholiques dans la campagne publique en faveur
des « prisonniers de guerre » (retard peut-être imputable à des lacunes de la
correspondance classée). En novembre, le service social de l’Église protestante
de Bade, à Karlsruhe, voulait « s’implanter dans les camps d’internement afin
de pouvoir créer sous le couvert d’assurance sociale aux internés, un courant
d’opinion en faveur de ces derniers ». Il avait envoyé à cet effet copie du
sermon, déchaîné contre les Alliés et leurs « valets », prononcé le
5 avril 1947 à l’église Markus de Stuttgart, par le pasteur
Thielicke, « La Passion sans Grâce » à trois pasteurs respectivement détachés
dans les camps de zone américaine de Fribourg-Betzenhausen, Lahr-Dinglingen (Bavière)
et Mannheim [116][116] Lettre
1437/POL, Paris, 21 novembre 1947, Allemagne,....
Début 1948, alors que la collaboration entre catholiques et protestants
apparaissait en tout domaine complète, surtout en zone américaine [117][117] Lettre
1792/POL, Paris, 28 janvier 1948, Allemagne,...,
intervint une étape décisive de la conversion de l’Allemagne en innocente
nation, en apparence franchie sur une tapageuse initiative de Niemöller.
Le pasteur fit lire le
dimanche 1er février 1948 dans tous les temples de
Hesse-Nassau une lettre pastorale portant un coup final à la dénazification,
d’une duplicité d’autant plus grande qu’il venait de rappeler, au Conseil
œcuménique réuni à Genève puis à Lausanne, la « très lourde part de
responsabilités [de...] l’Allemagne par son adhésion passée au régime hitlérien
» et de prôner « une entente [...] entre les peuples et spécialement entre les
traditionnels “frères ennemis” de France et d’Allemagne » [118][118] Lettre
286 de Hoppenot, Berne, 6 février 1948, Allemagne,.... Sous
le vernis opposant « la haine » à « la cause de la justice et de la
réconciliation », ce sermon officialisait le veto ecclésiastique contre la
dénazification, acte de « vengeance » et de « représailles » : «
L’intention d’extirper le national-socialisme au moyen de cette loi [...]
conduit à une situation qui rappelle trait pour trait les années d’épouvante
que nous avons derrière nous » ; elle a soumis à une « oppression
constante [...] des centaines de milliers d’hommes », contraints « de
recourir à tous les artifices et à tous les mensonges imaginables [...] Par
dizaines de milliers ils ont perdu leur emploi et leurs moyens de subsistance,
et ont été internés. L’ancien système de sanctions qui frappe la tribu est
remis en vigueur ». Les chrétiens ne s’associeraient plus à ce « désastre
» : vous ne pouvez accepter le rôle d’ « accusateurs publics » ou de «
témoins à charge » dans « cette action qui entraîne tant d’injustices », sauf à
« trahir [votre] mission de conciliation » ; le même veto valait pour les
fonctions de président et d’assesseur de chambre d’épuration, sauf s’ils
pouvaient contribuer à l’ « œuvre de la conciliation », pour les « membres du
culte [...] il est de notre devoir d’interdire aux pasteurs de notre Église,
par respect de leur charge et par respect de notre communauté, de prendre leur
part de responsabilité à ce scandale » [119][119] Lettre
du 1er jointe à la lettre 9656 de Koenig, Baden-Baden,.... Un
protestant se voyait donc interdire de témoigner contre un nazi, mais un
magistrat protestant pouvait l’acquitter – la magistrature formant un des
piliers de l’appareil d’État les mieux restaurés [120][120] Magistrature
weimaro-hitlérienne toujours en place,....
Ce n’était qu’un ballon
d’essai, lancé dans la phase finale d’un assaut concerté entre Américains et
forces politiques dominantes, épiscopats inclus, contre la dénazification
mort-née : le gouvernement (SPD) de Grande Hesse, notant qu’on était « en
droit d’attendre que l’Église évangélique [...] ait également un mot pour les
victimes du régime nazi », se déclara « surpris » qu’elle ait diffusé un tel
document « au moment même où, comme elle devait le savoir, des allégements à
l’application de la procédure de dénazification ont été ordonnés » [121][121] Note
jointe à la lettre 9656 de Koenig, Baden-Baden,.... Le
flegme des Américains, avec lesquels Niemöller entretenait des relations
étroites, devant cet appel au sabotage de leur loi no 104 du
9 mai 1947 valut aveu d’action commune. Le général Clay, main de fer
contre un péril rouge aussi bruyamment allégué que nul [122][122] Campagne
anticommuniste depuis l’automne 1947, Allemagne,...,
affectait souvent la colère contre une audace des Allemands qu’il avait
préparée avec eux [123][123] Voir
toutes les archives relatives à leur occupation...., mais
négligea cette précaution tactique : on peut « critiquer la loi »,
déclara-t-il dans une conférence de presse, mais il est « interdit de provoquer
les autres à s’y opposer. Il est très regrettable qu’un représentant d’une
communauté religieuse incite la population à mépriser la loi en vigueur, qui a du
reste été faite par les Autorités allemandes elles-mêmes » ; le GM «
n’envisage [cependant] pas d’intervenir contre le pasteur Niemöller », sans «
exclu[re...] la possibilité de pourparlers avec » lui [124][124] Note
jointe à la lettre 9656 de Koenig, Baden-Baden,.... La
Follette, nommé en janvier 1948 gouverneur du Würtemberg-Bade [125][125] Lettre
de la direction d’Europe, 9 janvier 1948, Allemagne,..., Land
« essentiellement protestant » où l’ « intervention spectaculaire » de
Niemöller avait eu « des répercussions très larges », pratiquait une démagogie
délestant le consul Huart de l’autocensure diplomatique : celui qui «
cro[ya]it devoir porter presque journellement la bonne parole aux Allemands »
et préférait au « nom de Gouverneur » celui de « Directeur du gouvernement
militaire de Würtemberg-Bade » [126][126] Lettre
de Huart 56, Tübingen, 7 février 1948, Allemagne,...,
répondit à la presse que « dans la déplorable situation morale et politique où
se trouve le monde, les Allemands n’avaient pas à se battre par trop la coulpe
[...] on ne peut arriver à rien si l’on continue par trop longtemps à méditer
ses péchés. Ainsi, le Directeur (de conscience) du gouvernement de
Würtemberg-Bade prêche maintenant aux Allemands l’oubli de leurs fautes » [127][127] Lettre
de Huart 124, Tübingen, 25 mars 1948, Allemagne,....
Reinhold Maier, président de
la Diète du Land où, un énorme scandale le montrerait bientôt, la
dénazification avait été bafouée comme ailleurs [128][128] Correspondance
de janvier à mars 1950 sur ses dirigeants..., envoya à Wurm une lettre
ouverte exprimant « sa crainte de voir l’Église accorder son soutien officiel
aux prêches du Dr Niemöller » : « La conduite de l’Église
favorisera seulement les vrais coupables », les poursuites contre les petits
étant « presque toutes déjà terminées » [129][129] Lettre
de Huart 196, Tübingen, 6 mars 1948, Allemagne,.... La
fausse pression de Niemöller en faveur de nouveaux abandons qui l’avaient
précédée prit en effort tout son sens avec les négociations germano-américaines
ouvertes le 19 mars 1948 et achevées aussitôt [130][130] John Gimbel,
The American Occupation of Germany. Politics..., sur la décision
de transformer les « grands coupables » et « délinquants » des
catégories I et II, définis par la directive 38 du Conseil
de contrôle du 12 octobre 1946, en « sympathisants » de la catégorie IV [131][131] Catégorie
III des « délinquants de moindre importance....
La morgue anti-alliée ne
connut plus de bornes. En mars 1948, Dibelius, dans un sermon prononcé à
Berlin, accusa Sartre de reprendre les théories nazies « dans son refus de
remords et son interprétation idéologique de la liberté [...] Qu’aujourd’hui de
telles théories puissent nous revenir d’un pays voisin représente le signe
qu’elles n’ont pas été inventées par les Allemands » [132][132] Tél.
Noblet 584, Berlin, 13 mars 1948, Allemagne,.... Les
Américains ne furent pas épargnés. En mai 1948, Wurm adressa à Robert
M. W. Kempner, procureur américain au Tribunal de Nuremberg, qui
siégeait encore pour les grands procès de zone américaine, tel celui
des SS auteurs avérés du « massacre de Malmédy » (de 200 soldats
américains prisonniers en décembre 1944) [133][133] Bower,
Blind eye, p. 102-104, 279-280 (Wurm), 268-293..., une
lettre où il « protestait contre la procédure ». On avait appliqué aux prévenus
d’ « affreuses tortures » pour leur arracher des aveux, ajoutait-il en
invoquant l’existence de « documents ». « Ces méthodes [...] compromettent
l’autorité juridique et morale du Tribunal et transforment un jugement en acte
de vengeance. » Il conclut en lui demandant « d’écarter l’impression qu’à
Nuremberg des vaincus [étaient] jugés par des vainqueurs ». Le magistrat américain
« le somma [...] de produire les documents auxquels il fai[sai]t allusion » [134][134] Lettre
de Huart 208, Tübingen, 21 mai 1948, Allemagne,....
J’ignore s’il en remit, mais il poursuivit ses interventions, ainsi en
octobre 1948, auprès de J. Foster Dulles, conseiller du candidat
républicain Dewey, pour obtenir l’annulation de la décision de Clay d’exécuter
les sentences de mort prononcées à Dachau en 1946 et 1947 et faire
triompher « du droit et de la justice » : on allait pendre des « innocents
» torturés, « dix exécutions » avaient déjà « eu lieu ». « Le clergé
[catholique] munichois s’associ[ait] » à cette démarche [135][135] Lettre
de Huart 389, Tübingen, 25 octobre 1948, Allemagne,....
L’affaire fut en novembre « fort discutée par une partie de la population »,
que l’ « Association des persécutés du nazisme » avait informée des démarches
fructueuses de Wurm « pour faire libérer l’un de ses fils compromis dans le
parti » [136][136] Lettre
de Huart 422, Tübingen, 16 novembre 1948, Allemagne,....
L’an 1949 vit la
reconstitution définitive, au Synode de Bethel tenu du 9 au
14 janvier [137][137] Lettre
00631 de Koenig, Baden-Baden, 3 mars, et rapport..., d’une
Église dirigée désormais par Dibelius. La croisade antirouge légitimait « la
victoire des forces de restauration et de conservation de l’Église (et
peut-être pas de l’Église seulement) représentée par les Luthériens et les
Synodaux de l’Est sur les éléments de rénovation [de] l’Église confessante,
plus universaliste, plus vivante, plus humaine [: ...] tout devait être
entrepris pour fortifier la position de l’Église en face des occupants russes
et de la SED » : Dibelius devait « lui permettre de lutter plus
efficacement contre le totalitarisme » de l’Est. La victoire fut achevée par la
mise à l’écart de Niemöller, qui avait incarné, pour le public, l’aveu de la
faute : « la désaffection relative » dont il était frappé était « due
autant à sa grande franchise personnelle [...] qu’à sa campagne appelant
les Églises à reconnaître la culpabilité allemande et à se repentir » [138][138] Lettre
210 de Tarbé, Baden-Baden, 20 février 1949,....
En juin 1949, Dibelius
revendiqua donc sa participation à la campagne de soutien des anciens ministres
nazis en tonnant contre les Soviets. À la conférence de presse clôturant la
première séance du nouveau Conseil des Douze, il « a déclaré [...] que la
lettre dans laquelle il critiquait la condamnation de l’ancien ministre des
Finances a été publiée avec son assentiment » (l’inamovible Schwerin von
Krosigk, de 1933 à 1945). Contestant la thèse de la responsabilité
établie à Nuremberg et le principe même du procès, il défendit les «
fonctionnaires qui n’ont fait que remplir leurs fonctions et ont prouvé qu’ils
n’étaient pas d’accord avec le régime. Ce sont des actes de représailles qui
n’ont rien à voir avec le droit. Il n’y a d’ailleurs pas de droit possible
quand le vainqueur est en même temps le juge ; on aurait dû remettre ces
affaires entre les mains du Tribunal de La Haye ou d’une instance du même genre
» [139][139] Tél.
Huart 52, Tübingen, 9 juin 1949, Allemagne, .... Les
seuls nazis demeuraient les Soviétiques : Dibelius stigmatisa à la
Pentecôte, à la « satisfaction » des Occidentaux, « des “procédés dignes de la
Gestapo” », « les méthodes politiques et policières » de la zone russe «
rappel[a]nt, sous plus d’un aspect, celles de l’époque hitlérienne » [140][140] Lettre
71, non signée, de Tarbé, Berlin, 11 juin 1949,....
Les deux Églises chrétiennes
avaient été profondément nazifiées, ne serait-ce qu’au sens où le nazisme avait
repris l’héritage de l’Allemagne bismarckienne et wilhelminienne. Elles
n’avaient pas attendu 1933 pour entretenir le peuple allemand, que Weimar
lui avait largement confié de la naissance à la mort, dans de vieilles « idées
toutes faites, intangibles et immuables » [141][141] Note
Beyer sur l’Université de Bonn, mai 1949, Allemagne,... :
supériorité de la « race » ou de la « civilisation » allemande sur les peuples
inférieurs, voisins de l’Ouest et de l’Est, assortie d’un mépris haineux pour
les « sous-hommes » slaves ; glorification de l’autorité et du
prussianisme ; haine du libéralisme et de la subversion ; aversion «
raciale », religieuse et politique contre les juifs ; exaltation d’un «
patriotisme » agressif incluant le combat armé de l’Allemagne encerclée et
persécutée par l’univers ligué contre elle en général, la France en
particulier, surtout depuis le Diktat de Versailles, etc.
Les besoins propres des «
commissaires-priseurs » anglais et américains les conduisirent, après 1945
comme après 1918, à rétablir un statu quo dont les Églises bénéficièrent
comme le reste de l’appareil d’État et de l’appareil économique, mais plus
visiblement et parfois plus tôt encore que les autres institutions allemandes.
La vaincue de juin 1940 eut sa part d’initiative, renouant avec sa vieille
politique « fédéraliste » catholique sous l’égide d’un corps d’occupation
particulièrement mal épuré. Cette politique permit à « la seule autorité
sociale restée intacte en Allemagne » [142][142] Lettre
57 P, Rome, 10 mai 1946, Allemagne, vol. 6... de
montrer dès mai 1945 contre la dénazification une audace interdite à tout
autre groupement politique. Les clercs allemands redevinrent tuteurs de
l’Allemagne occidentale parce que les occupants avaient résolu de leur rendre
leur hégémonie d’avant 1933, contestée par l’État nazi sans que fût jamais
mise en cause leur adhésion au régime : ils jouèrent ainsi un rôle
considérable dans ce qu’il faut bien appeler la renazification où le «
loup-garou » soviétique, invoqué avec une énergie grandissante, joua un rôle
réel discret. Les archives du Quai d’Orsay convergent avec les fonds anglais et
américains où Tom Bower a puisé la démonstration que le sabotage de la
dénazification était une décision et une œuvre de guerre, appliquée
après-guerre [143][143] Bower,
Blind eye, passim..
Notes
Histoire de la
République fédérale d’Allemagne, Paris, Armand Colin, 1991, p. 10.
Bruce Kuklick, American
Policy and the Division of Germany, the Clash with Russia over Reparations,
Ithaca, 1972 ; Tom Bower, Blind Eye to Murder. Britain, America and
the Purging of Nazi Germany, a Pledge betrayed, Londres, André Deutsch,
1981, et Carolyn Eisenberg, Drawing the Line. The American Decision to
divide Germany, 1944-1949, Cambridge University Press, 1998.
Ibid. et Charles
S. Maier, Recasting Bourgeois Europe. Stabilization in France, Germany
and Italy in the decade after the First World War, Princeton, 1975 ;
« The two postwar eras and the conditions for Stability in twentieth-Century
Western Europe », American Historical Review, vol. 86, 2,
avril 1981.
G. Zahn, German
Catholics and Hitler’s wars, New York ; 1962, G. Lewy, The
Catholic Church and Nazi Germany, New York, 1964 ; John
S. Conway (optimiste), The Nazi Persecution of the Churches 1933-1945,
Londres, 1968 ; Léon Papeleux, Les silences de Pie XII,
Bruxelles, 1980 ; Annie Lacroix-Riz, Le Vatican, l’Europe et le Reich
de la Première Guerre mondiale à la guerre froide (1914-1955), Paris,
1996. Sans démonstration, Michael Phayer, juge l’épiscopat catholique allemand
non antisémite, mais paralysé par le Concordat du Reich, L’Église et les
nazis, 1930-1965, Paris, 2001, 381 p., chap. 1, 6-7 ; les
chap. 8-10, documentés sur sa croisade pour les criminels de guerre,
infirment cet optimisme.
Apport décisif des
archives du Quai d’Orsay (plus loin MAE), Z Europe Allemagne 1944-1960
(plus loin Allemagne) vol. 67 à 70 (et A. Lacroix-Riz, Les
Églises allemandes et le nazisme, à paraître).
Rita Thalmann, Protestantisme
et nationalisme en Allemagne (de 1900 à 1945), Paris, 1976,
p. 434-447.
Date de la réunion, ibid.,
p. 435. Note Brun, 9 novembre 1945, B Amérique États-Unis
1944-1960 (plus loin États-Unis), vol. 171 (et A. Lacroix-Riz, « Une «
politique douce » précoce : Paris face à la politique allemande de
Washington 1944-1945 », Revue d’histoire moderne et contemporaine,
octobre 1991, p. 457-458).
Synopsis politique de
l’Allemagne, février 1946 (plus loin Synopsis), Allemagne, vol. 32,
MAE.
Lettre de Massigli
1191, Londres, 17 mai 1945, Allemagne, vol. 67.
Note 390 de Tarbé,
Baden-Baden, 10 septembre 1945, Allemagne, vol. 67.
Note Brun,
9 novembre 1945, Allemagne, vol. 67 ou États-Unis,
vol. 171.
Texte conforme au
Christian Science Monitor du 13 juin 1942, Interallied Research
Committee (plus loin IARC), Études allemandes 11, Allemagne,
vol. 67.
Rapport doc. GEN/9,
15 juillet 1945 (traduction d’un texte américain ?), Allemagne,
vol. 67. Souligné par moi.
Lettre 1175 de
Koenig, Berlin, 2 octobre 1945, Allemagne, vol. 67.
PV de la conférence
joint à la lettre 1374 de Hoppenot, Berne, 6 octobre 1945, Allemagne,
vol. 67.
Note de Carteron sur
Barth, 25 juillet 1946, Allemagne, vol. 68.
Synopsis,
février 1946, IV, Allemagne, vol. 32.
Allusions,
A. Lacroix-Riz, Vatican (et travaux cités sur l’Allemagne).
Lettre 46 de
Bourdeillette, Rome, 5 juin 1945, et traduction du discours,
Allemagne, vol. 67.
Lettre pastorale du
23 août 1945 (traduction in extenso) et lettre de
Koeltz 1118, 20 septembre 1945, Allemagne, vol. 67.
Enseignement, A. Lacroix-Riz, « Politique scolaire et universitaire en
Allemagne occupée 1945-1949 », Gabriele Clemens (éd.), Kultur im
besetzten Deutschland 1945-1949, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1994,
p. 131-184.
Allemagne,
vol. 67 à 70. Sur Groeber et Bornewasser, Lewy, Church, Lacroix-Riz, Le
Vatican, index.
Lettre 5 d’Armand du
Chayla, Luxembourg, 26 janvier 1946 et article traduit, Allemagne,
vol. 67.
Tagesspiel cité par La
Croix du 28 novembre 1946, Allemagne, vol. 68 (et toute
cette série).
Lettre d’Arnal,
consul à Dusseldorf, 346, 29 octobre 1947, Allemagne, vol. 68.
Tarbé, lettre 329,
Berlin, 29 juin 1947, Allemagne, vol. 80 (contexte,
A. Lacroix-Riz, « “Bonne Allemagne” ou reconstruction
prioritaire [...] (janvier 1946 - printemps 1947) », GMCC,
p. 174 (137-175).
Lettre de Tarbé 353,
Berlin, 9 février 1946, Allemagne, vol. 67.
Saint-Siège,
vol. 8 à 10 et États-Unis, vol. 200, MAE. Bidault, lettre à
18 postes, Paris, 20 août 1945, Allemagne, vol. 30.
Avant-guerre, Le Vatican, chap. 5.
« Le Saint-Siège et
l’hitlérisme » ; « et l’affaire de la Sarre » ; « et la
remilitarisation de la Rhénanie » ; « et l’indépendance autrichienne »
(19 juin, 3, 10 et 17 juillet), SIP, 18 juillet 1945, MAE,
Saint-Siège, vol. 8. Comparer avec G. Lewy, Church, et
A. Lacroix-Riz, Le Vatican, passim.
Coupure, date citée,
Allemagne, vol. 67. En italique dans le texte.
E. Gabel, La
Croix, 28 novembre 1946, Allemagne, vol. 68.
Franc-Tireur,
27 décembre 1945, et Voix de Paris,
12 janvier 1946, Allemagne, vol. 67.
Lettre de Laffon
1177, Baden-Baden, 16 février 1946, et tableau, Allemagne,
vol. 67.
« L’occupation
française en Allemagne (...) », L’Allemagne occupée 1945-1949,
Institut allemand d’Asnières, 1989, p. 240.
Synopsis,
février 1946, IV, Allemagne, vol. 32.
Leonore
Siegele-Wenshkewitz, « Les Églises entre l’adaptation et la résistance sous le
IIIe Reich », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre
mondiale, 128, 1982, p. 62 ; Michael Phayer, L’Église,
index.
Ouvrages de la
n. 21 et G. Zahn, Catholics.
Synopsis, février 1946,
IV, Allemagne, vol. 32.
Traduction,
23 août 1945, Allemagne, vol. 67, souligné par moi.
Pie XII, Le Vatican, p. 434-436.
Lettre de Koeltz
1118, 20 septembre 1945, Allemagne, vol. 67.
Lettre de Laffon 565,
Baden-Baden, 17 novembre 1945, Allemagne, vol. 67.
Sur Sproll, Lewy, Church,
Lacroix-Riz, Le Vatican, index.
Tél. 193 de Koenig au
CGAAA, 17 mars 1946, Allemagne, vol. 67.
« Pleine liberté de
communication (...) des évêques avec les fidèles », G. Lewy, Church,
p. 80.
Tél. 1390,
8 mars 1946, Allemagne, vol. 67.
Tél. 193,
17 mars 1946, Allemagne, vol. 67.
Tél. 120,
13 mars 1946, Allemagne, vol. 67.
Lettre 1106 de
François-Poncet, Godesberg, 8 septembre 1950, Allemagne,
vol. 311.
Lettre de Jacobsen
73/DD/S, Mayence, 20 avril 1946, Allemagne, vol. 68.
Tél. Tarbé 69-73,
Berlin, 20 avril, lettres 3092 de Laffon, Baden-Baden, 3 juin,
1452 56/EF de Bouley, Neustadt, 23 avril, 73 de Jacobsen, Mayence,
20 avril 1946, Allemagne, vol. 67, texte du
27 mars 1946, Werl, traduction, Allemagne, vol. 68, et lettre
1106 de François-Poncet, Godesberg, 8 septembre 1950, Allemagne,
vol. 311.
Tél. Tarbé 69-73,
Berlin, 20 avril 1946, Allemagne, vol. 67.
Lettre 73/DD/S de
Jacobsen, Mayence, 20 avril 1946, Allemagne, vol. 68.
Ibid. et tél. Tarbé
69-73, 20 avril, et 128, 4 mai 1946, Berlin, Allemagne,
vol. 68.
Lettre 161, Paris,
29 avril 1946, Allemagne, vol. 67.
Lettre de Maritain 63
P, Rome, 20 mai 1946, et note 116900 de la secrétairerie d’État, Le
Vatican, 9 mai 1946, Allemagne, vol. 68. Sur Munch, Le
Vatican, p. 447, 455, 461, 473, 489. Phayer sous-estime sa
mission, L’Église, p. 210.
Lettre 57 P, Rome,
10 mai 1946, Allemagne, vol. 68.
Appel de Freising,
Allemagne, vol. 68, et infra.
Lettre 5857 de
Koenig, Baden-Baden, 23 avril 1947, et texte traduit, Allemagne,
vol. 68. Souligné par un lecteur du Quai d’Orsay.
Lettre de Pie XII à
Faulhaber pour tous les évêques allemands, 1er mars 1948,
traduction, et lettre 242 de Koenig, 15 mai 1948, Baden-Baden,
Allemagne, vol. 69 (Le Vatican, p. 486).
« Appel », Freising,
22 avril 1947, Allemagne, vol. 68.
Extrait,
20 mars 1947 (mention manuscrite), Allemagne, vol. 68.
Lettre 5857 de
Koenig, Baden-Baden, 23 avril 1947, et texte, Allemagne,
vol. 68. Souligné par un lecteur du Quai d’Orsay.
Lettre 6776 de
Laffon, Baden-Baden, 9 juillet 1947, et texte, Allemagne,
vol. 68.
Traduction, et lettre
de Laffon 6776, Baden-Baden, 9 juillet 1947, Allemagne, vol. 68.
Article traduit du
10 octobre 1947, bordereau d’envoi (BE) 2199, Berne,
20 octobre 1947, Allemagne, vol. 68 (concorde avec les réf. de
la n. 21).
Lettre de Koenig
9641, Baden-Baden, 17 février 1948, Allemagne, vol. 69.
Lettre de Koenig
8289, Baden-Baden, 12 novembre 1947, et tél. Fournier 35,
Baden-Baden, 15 février 1948, Allemagne, vol. 69.
Lettre de Koenig
9491, Baden-Baden, 9 février 1948, et traduction, souligné au crayon
rouge par son lecteur du Quai d’Orsay, Allemagne, vol. 69.
Lewy, Church,
p. 236-242, 247, et Zahn, Catholics, p. 143-172-1.
PV de réunion
(25 octobre) du Directoire des affaires intérieures et des communications
(DIAC), 30 octobre 1945, Allemagne, vol. 67.
Tél. Tarbé, Berlin,
5 octobre 1946, Allemagne, vol. 68, Lewy, Church,
p. 230 et Lacroix-Riz, Le Vatican, p. 239, 412,
438-440 et 454-455.
Raymond Poidevin, Robert
Schuman, homme d’État, 1886-1903, Paris, 1986, passim.
Note 2603/POL, Paris,
28 juillet 1948, Allemagne, vol. 60, MAE.
« Réflexions sur le
72e Congrès (...) », classé entre 13 et
22 septembre 1948, Allemagne, vol. 70.
Lettre de Bérard
1163, Washington, 22 juin 1946 et article de Drew Pearson, Washington
Post, 20 juin 1946, États-Unis, vol. 173, MAE.
Lettre de Hoppenot
1025, Berne, 13 novembre 1946, États-Unis, vol. 173 ;
Lacroix-Riz, « Une “politique douce” », p. 439-440, et Le Vatican,
p. 336, 440 et 458-9.
Lettre 569 de Bonnet,
Washington, 5 mars 1946, États-Unis, vol. 172 (et Lacroix-Riz, «
La dénazification politique de la zone américaine d’occupation en Allemagne vue
par les Français (1945-1949) », Stefan Martens (éd.), Vom « Erbfeind » zum
« Erneuerer » [...], Sigmaringen, 1993, p. 138-139 (115-156)).
Voir surtout
Allemagne, vol. 99 à 104, et Lacroix-Riz, « Politique scolaire ».
Lettre 331 du Consul
de France à Bâle, 18 mars 1946, Allemagne, vol. 32.
Lettre 676 de
Hoppenot, Berne, 26 juin 1946, Allemagne, vol. 99.
Lettre de Tarbé 8511,
Baden-Baden, 2 novembre 1946, Y 1944-1949, vol. 335, MAE.
Lettre 2741 de Tarbé,
Berlin, 8 juillet 1946, et note sur la conversation Allemagne,
vol. 68.
Lettre 1321 du Consul
de France à Bâle, 23 novembre 1946, Allemagne, vol. 68.
Tél. Bidault 150-155
à Ambafrance Saint-Siège, Paris, 10 mai 1947, Allemagne,
vol. 68.
Tél. Koenig 2633,
30 mai 1947, Allemagne, vol. 68.
Tél. Boislambert
1835, 24 mai 1947, Allemagne, vol. 68. Tandem Bornewasser-von
Meurers et Saint-Siège, Allemagne, vol. 68 à 70, Saint-Siège,
vol. 8 et 10 et Julien Sala-Molins, « La querelle entre l’évêché de
Trèves et la France à propos de la Sarre entre 1945 et 1955 »,
mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le Mirail, 1987.
Extrait, BE 1770,
Paris, 21 février 1946, Allemagne, vol. 67.
Note pour Koenig, Baden-Baden,
30 décembre 1946, Allemagne, vol. 100.
Lettre 143 de
Bourdeillette, Rome, 3 mai 1948, Allemagne, vol. 69.
Synopsis,
février 1946, IV, Allemagne, vol. 32 et note jointe à la
lettre 95 de Seydoux, Berlin, 24 février 1948, Allemagne,
vol. 69.
Note Brun,
9 novembre 1945, Allemagne, vol. 67 (et Lacroix-Riz, « Une
“politique douce” », art. cité, p. 457-458).
Copie du tél. 104,
lettre 1790/POL, s.d., BE du 23 janvier 1946, Allemagne,
vol. 67.
Synopsis,
février 1946, IV, Allemagne, vol. 32.
Lettre du Consul de
France à Bâle, 18 mars 1946, Allemagne, vol. 67.
Allemagne,
vol. 99 à 104 et « Politique scolaire ».
Lettre 241 de
Hoppenot, 6 mars, et Articles et Documents, nouvelle série, 512,
23 mars 1946, Allemagne, vol. 67. En italique dans le texte.
Lettre 277 de
Hoppenot, Berne, 12 mars 1946, Allemagne, vol. 67.
Note 1756 de
Charmasse, Baden-Baden, 19 mars 1946, Allemagne, vol. 67.
Lettre de Koeltz
1102, Berlin, 18 septembre 1945, Allemagne, vol. 67.
Compte rendu,
25 février 1946, Allemagne, vol. 67.
Lettre 1106 de
François-Poncet, Godesberg, 8 septembre 1950, Allemagne,
vol. 311.
Lettre de Seydoux 95,
Berlin, 24 février 1948, Allemagne, vol. 69.
Lettre de Hoppenot
811, Berne, 21 août 1946, Allemagne, vol. 68.
Note 308/MCN, Berlin,
5 décembre 1946 (1er novembre-3 décembre),
Allemagne, vol. 100.
Allemagne,
vol. 22-23, Prisonniers de guerre, août 1944-septembre 1947,
MAE.
Correspondance
Seydoux, novembre-décembre 1946, Allemagne, vol. 23, 76 et 100.
Lettre de Seydoux
4320, Berlin, 30 novembre 1946, Allemagne, vol. 23.
Lettre de Bérard 203,
Washington, 28 janvier 1947, États-Unis, vol. 174.
Lettre 252 de
Hoppenot, Berne, 28 janvier 1947, Allemagne, vol. 68.
Der Geist du
9 mai 1947 (Neue Zeitung du 21 février), traduction,
Allemagne, vol. 68.
Lettre de Bérard 203,
Washington, 28 janvier 1947, États-Unis, vol. 174.
Lettre 85 de Chambon,
consul à Boston, 10 mars 1947, États-Unis, vol. 118.
Lettre de Bérard 203,
Washington, 28 janvier 1947, États-Unis, vol. 174.
Traduction, Der Geist,
9 mai 1947, Allemagne, vol. 68.
International News de
Berlin, 11 juillet 1947 (Neue Zeitung du 7), Allemagne,
vol. 68.
Note s.d., jointe à
la lettre de Seydoux 95, Berlin, 24 février 1948, Allemagne,
vol. 69.
Lettre 1437/POL,
Paris, 21 novembre 1947, Allemagne, vol. 69.
Lettre 1792/POL,
Paris, 28 janvier 1948, Allemagne, vol. 69.
Lettre 286 de
Hoppenot, Berne, 6 février 1948, Allemagne, vol. 69.
Lettre du 1er jointe
à la lettre 9656 de Koenig, Baden-Baden, 18 février 1948,
Allemagne, vol. 69.
Magistrature
weimaro-hitlérienne toujours en place, acquittant les pires bourreaux en
bafouant leurs victimes, vivantes ou mortes, Allemagne, vol. 311. Lecture
pénible.
Note jointe à la
lettre 9656 de Koenig, Baden-Baden, 18 février 1948, Allemagne,
vol. 69.
Campagne
anticommuniste depuis l’automne 1947, Allemagne, vol. 77 et 78, MAE,
et A. Lacroix-Riz, « 1947-1948. Du Kominform au “coup de Prague”,
l’Occident eut-il peur des Soviets et du communisme ? », 324,
août-septembre 1989, Historiens et géographes, p. 230-232.
Voir toutes les
archives relatives à leur occupation. Allemagne et États-Unis, MAE.
Note jointe à la
lettre 9656 de Koenig, Baden-Baden, 18 février 1948, Allemagne,
vol. 69.
Lettre de la
direction d’Europe, 9 janvier 1948, Allemagne, vol. 78.
Lettre de Huart 56,
Tübingen, 7 février 1948, Allemagne, vol. 78.
Lettre de Huart 124,
Tübingen, 25 mars 1948, Allemagne, vol. 78.
Correspondance de
janvier à mars 1950 sur ses dirigeants corrompus et le sabotage, tarifé,
d’une dénazification confiée aux nazis, Allemagne, vol. 311.
Lettre de Huart 196,
Tübingen, 6 mars 1948, Allemagne, vol. 69.
John Gimbel, The
American Occupation of Germany. Politics and the Military, 1945-1949, Stanford,
1968, p. 160-162 et 172-174.
Catégorie III des «
délinquants de moindre importance », les « personnes non touchées » de la
catégorie V recevaient une attestation du service d’épuration, Allemagne,
vol. 311.
Tél. Noblet 584,
Berlin, 13 mars 1948, Allemagne, vol. 69.
Bower, Blind eye,
p. 102-104, 279-280 (Wurm), 268-293 et index.
Lettre de Huart 208,
Tübingen, 21 mai 1948, Allemagne, vol. 69.
Lettre de Huart 389,
Tübingen, 25 octobre 1948, Allemagne, vol. 70. (et
n. précédente).
Lettre de Huart 422,
Tübingen, 16 novembre 1948, Allemagne, vol. 70.
Lettre 00631 de
Koenig, Baden-Baden, 3 mars, et rapport Sturm, Baden-Baden,
31 janvier 1949, Allemagne, vol. 70.
Lettre 210 de Tarbé,
Baden-Baden, 20 février 1949, Allemagne, vol. 70.
Tél. Huart 52,
Tübingen, 9 juin 1949, Allemagne, vol. 70.
Lettre 71, non
signée, de Tarbé, Berlin, 11 juin 1949, Allemagne, vol. 70.
Note Beyer sur
l’Université de Bonn, mai 1949, Allemagne, vol. 104.
Lettre 57 P, Rome,
10 mai 1946, Allemagne, vol. 68.
Bower, Blind eye,
passim.
Résumé
Français
Les Alliés occidentaux,
soucieux de rétablir dans l’Allemagne vaincue le statu quo après la Seconde
Guerre mondiale comme après la Première, s’appuyèrent dès les débuts de leur
occupation, en vertu d’une politique fixée dès la guerre, sur les forces
cléricales, qu’ils savaient profondément nazifiées. Directement en charge de la
question, les Anglo-Saxons imposèrent aux protestants des déclarations de
repentir dont le pasteur Niemöller fut chargé. Les catholiques, remis à la
seule autorité du Vatican, furent dispensés de cette épreuve jugée humiliante.
La France reprit sa politique « catholique » d’après 1918 qui avait fait
fiasco. Les priorités antisoviétiques alléguées gommèrent les différences entre
les deux confessions depuis l’été 1945 et épiscopats protestant et
catholique surenchérirent dans la défense du peuple allemand victime de
l’occupation et de la dénazification des Alliés.
Plan de l'article
- I. LES ÉGLISES PRÉCOCEMENT INNOCENTÉES
- II. L’ÉGLISE ALLEMANDE ET LA DÉNAZIFICATION : L’ALLEMAGNE VICTIME INNOCENTE, LES ALLIÉS COUPABLES
Pour citer cet article
Lacroix-Riz Annie, « Églises et retour au statu quo en Allemagne occidentale. (1945-1949)», Guerres mondiales et conflits contemporains 2/2003 (n° 210) , p. 19-46URL : www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2003-2-page-19.htm.
DOI : 10.3917/gmcc.210.0019.
*
*
*
Ce document sur la Shoah qui ignore ce qui nous peine, par Menahem R.Macina
"Le groupe de travail allemand a un espoir. Ses membres veulent recommander à la Commission vaticane? une confession expresse de culpabilité" (Prof.H.H.Henrix, 1994)
Beaucoup d'entre nous ont oublié les circonstances qui ont entouré la genèse de ce document tant attendu, mais qui, à en croire de nombreuses réactions juives et chrétiennes, déçoit tant. Il a paru utile d'en rappeler ici l'essentiel, avant même de tenter une évaluation de ce texte 1.
Dans le document du Vatican, publié le 24 juin 1985, sous le titre : Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l'Église catholique, on pouvait lire ce qui suit : "La catéchèse devrait (?) aider à comprendre la signification, pour les juifs, de leur extermination pendant les années 1939-1945 et de ses conséquences". Les juifs ont fait bon accueil à cette affirmation, mais ils lui ont reproché en même temps de ne pas tenir compte du fait que pour l'Église et le christianisme aussi la Shoah a une signification spéciale qui les concerne directement. Ils ont affirmé qu'il était important, et même nécessaire, que l'Église fasse une déclaration à ce sujet. L'Église n'a pas laissé cette critique sans réponse. Dans sa lettre du 8 août 1987, adressée à l'archevêque de Saint Louis (USA), John L. May, et à l'occasion d'une rencontre avec des représentants juifs, le 11 septembre de la même année, à Miami, le pape Jean-Paul II a promis que la Shoah ferait l'objet d'études historiques et religieuses, et qu'il y aurait un document catholique sur la question. Ces études ont été présentées à la 13ème réunion annuelle du Comité International de Liaison entre l'Église Catholique et le judaïsme, qui s'est tenue du 3 au 6 septembre 1990. À cette occasion, la Commission du Saint Siège confirma que le Vatican avait l'intention de préparer un document sur la Shoah.
1. Le rêve de 1994 : Le document de travail du groupe allemand
Dans son rapport de 1994, le professeur Henrix écrit : "? la 14ème réunion annuelle du Comité International de Liaison qui s'est tenue à Baltimore, du 4 au 7 mai 1992, comprenait une contribution du P. Bernard Dupuy, o.p. (dominicain), qui proposait une réflexion sur la Shoah. À cette même réunion, le cardinal Cassidy m'a demandé de préparer, en collaboration avec le P. Dupuy, un texte préliminaire au document du Vatican sur l'antisémitisme et la Shoah. Une série de discussions et d'accords entre le P. Dupuy et moi-même, au cours de la réunion de Baltimore et dans la suite, ont abouti à la décision que le groupe de travail 'Questions sur le judaïsme' de la Commission des affaires oecuméniques de la Conférence épiscopale allemande serait chargé de réaliser la première rédaction."
Le professeur Henrix énumère ensuite les têtes de chapitre de ce document de travail, qui sont les suivantes : I. La voie frayée à la Shoah, dans l'Église. II. La question de la co-responsabilité et de la culpabilité de l'Église. III. Les tâches de l'Église dans le travail de mémoire sur la Shoah.
On lira, ci-dessous, quelques extraits significatifs de cet avant-projet (les soulignements sont miens) :
- "Il ne suffit pas d'affirmer simplement le fait du fardeau historique que représentent les relations de l'Église avec les juifs, bien au contraire, l'Église et les chrétiens doivent 'reconnaître leur part de responsabilité', comme il est dit dans les Orientations et suggestions pour l'application de la déclaration conciliaire Nostra Aetate, n° 4, de janvier 1975."
- "Les termes de 'co-responsabilité et de culpabilité' ont été choisis délibérément. Il s'agit d'attirer particulièrement l'attention sur le lien qui existe entre l'implication historique et la responsabilité éthique, et sur les différences qui les séparent. Par implication historique on veut dire que la tradition d'antijudaïsme théologique et ecclésial a été un élément important sur le chemin qui mène à la Shoah. L'Église et le christianisme ont contribué, dans le passé, à créer un climat d'indifférence et parfois d'hostilité au peuple juif et au judaïsme, qui a frayé la voie à l'antisémitisme moderne. Mais l'antijudaïsme chrétien n'a pas été le seul facteur dans cette évolution. Cet aspect historique connote une 'co-responsabilité'. Dans un contexte de confession, on comprend souvent qu'il s'agit d'une culpabilité 'commune'. Nous trouvons ceci insuffisant, pour des raisons de théologie morale. Si ceux qui confessent leur culpabilité regardent en même temps celle des autres, cela porte atteinte à l'intégrité et à la sincérité de leur confession. Devant Dieu, la culpabilité ne peut être partagée, elle est indivisible. Celui ou celle qui reconnaît sa culpabilité parle de lui (ou d'elle)-même, et non des autres. Il existe donc une 'co-responsabilité' historique qui, dans une analyse historique, peut être indiquée comme un facteur ayant, parmi beaucoup d'autres, joué un rôle dans l'évolution de l'histoire; mais, en ce qui concerne la confession elle-même, celle-ci doit reconnaître qu'il s'agit là d'une 'culpabilité'."
- "Un autre point est demeuré sujet à controverse (?) Il s'agit de savoir si oui ou non le document, sur la base de la confession de culpabilité exprimée par l'Église d'Allemagne et celle de Pologne, doit contenir une confession séparée. En fait, le groupe de travail allemand a un espoir, un rêve. Ses membres veulent recommander à la Commission vaticane, pour qu'elle en fasse l'examen dans un esprit ouvert et critique, une confession expresse de culpabilité, dont voici le texte tel qu'il se présente aujourd'hui :
'Le fait que les Églises allemande et polonaise fassent une demande de pardon en ce qui touche le sort des juifs pendant les années du National-Socialisme est déjà, en soi, une réponse à la question de la co-responsabilité et de la culpabilité de l'Église par rapport à la Shoah. Ce que disent ces deux Églises particulières est adopté par l'Église dans son ensemble. Celle-ci confesse qu'elle porte une co-responsabilité en ce qui concerne la Shoah et que pèse sur elle le fardeau de la culpabilité.
Pendant des siècles, ni la prédication ni la théologie n'ont considéré la permanence du judaïsme comme une manière de vivre et de croire faisant partie du plan de salut de Dieu. C'était, par rapport à celui-ci, une énigme. L'existence des juifs comme juifs semblait anormale. Tout ce qui, dans la pensée chrétienne, pouvait être dépassé ou périmé n'a pas été suffisamment reconnu au moment du danger. Alors que les vies étaient menacées, les chrétiens, influencés comme ils l'étaient, n'ont pas perçu la situation réelle de la minorité juive. Des siècles de théologie et de prédication avaient endormi la conscience des gens et diminué leur capacité de résistance quand, en Europe et en Allemagne, l'antisémitisme national-socialiste a surgi avec toute sa brutalité et sa puissance criminelle. Beaucoup de chrétiens croyant que l'alliance de Dieu avec Israël était rompue et que l'existence des juifs contemporains était un anachronisme, étaient, avec leurs évêques, si aveuglés par leurs préjugés qu'ils n'avaient pas la cairvoyance nécessaire pour reconnaître le mal dans la persécution antisémite du National-Socialisme et qu'ils sont restés sans réagir. Malgré la conduite exemplaire de quelques individus et groupes, nous avons été en général, à cette époque du National-Socialisme, une communauté ecclésiale qui a vécu en tournant le dos au destin de ce peuple persécuté, une communauté obsédée par la crainte pour ses institutions menacées, une communauté qui a gardé le silence en face des crimes perpétrés contre les juifs et le judaïsme (Synode de Würzburg, 22 novembre 1975). Ceci a conduit à la culpabilité sous maintes formes de nombreux chrétiens et aussi de l'Église : coupables de ne pas avoir fait le bien qu'il aurait fallu faire, et aussi d'avoir commis le mal, coupables de n'avoir rien dit et de n'avoir pas aidé, coupables de n'avoir pas été là quand protestation, assistance et protection étaient nécessaires et possibles.
L'Église reconnaît un lien entre "l'enseignement du mépris", longtemps préconisé à l'égard du judaïsme, et le brutal antisémitisme dans le monde occidental moderne. L'histoire de son échec et de sa culpabilité envers le peuple juif fait partie d'elle-même. C'est un fait que l'Église déplore. Elle éprouve honte et repentance et reconnaît le besoin de se convertir. Au sujet de l'échec de l'Église et des fidèles à l'égard du peuple juif, nous confessons, selon le témoignage de Jean : Si nous disons : "nous n'avons pas péché", nous faisons de lui un menteur et sa parole n'est pas en nous (1 Jn 1, 10). Nous invoquons le pardon de Dieu et nous demandons au peuple juif d'entendre cette parole de conversion et de volonté de renouvellement."
2. La réalité de 1998 : La Déclaration vaticane "Nous nous souvenons"
Point n'est besoin d'être un spécialiste pour mesurer la distance considérable qui sépare cet avant-projet généreux de 1994 du texte final qui vient d'être rendu public. Un rapprochement avec la Déclaration Nostra Aetate, n° 4, s'imposera immédiatement à l'esprit de quiconque connaît l'histoire de l'accouchement aux forceps de ce texte, qui connut trois versions successives, et dont la dernière mouture était très en retrait par rapport à la première 2.
Dans un article récent, le P. Jean Dujardin, secrétaire du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme, tente d'expliquer et, d'une certaine manière, de justifier ce que d'autres considèrent comme de graves insuffisances, dans le texte de la Commission romaine 3:
"Le document s'adresse aux catholiques du monde entier. Cette perspective est essentielle pour en comprendre la portée. La plupart des catholiques, qu'ils soient d'Asie, d'Afrique, ou même d'Amérique latine, ne se sentent pas concernés par la Shoah. Il faut le savoir. Pour eux, c'est une affaire strictement européenne. Il nous revient d'assumer notre responsabilité, mais pas de la faire porter à des chrétientés qui n'y ont pas été mêlées."
Si je comprends bien le propos, la modération dans l'expression de la repentance et les justifications de l'attitude de l'Église, qui caractérisent le document romain, sont motivées par la crainte qu'un aveu de culpabilité oecuménique de l'Église ne donne l'impression d'impliquer solidairement, dans la responsabilité de la Shoah, des nations qui n'y ont eu aucune part. Mais à ce compte, aucune responsabilité ecclésiale ne sera plus jamais envisageable. Il se trouvera toujours une Église non européenne (et il y en a beaucoup) pour se proclamer innocente des abus et des exactions de l'Église et de la société chrétienne médiévales, dont l'autorité n'excédait guère, alors, dans sa plus grande expansion, les frontières de l'empire romain, puis celles de l'empire byzantin. Dans le même esprit, l'Église ne devra plus battre sa coulpe pour les excès de l'Inquisition, ni la société catholique pour les dragonnades anti-protestantes, par exemple. On conviendra qu'on est ici fort loin de la conception biblique de l'individu, et surtout des dirigeants politiques et religieux, qui font pécher tout le peuple.
Voici une autre mise au point du P. Dujardin :
"?il fallait établir une distinction entre les sources païennes de l'antisémitisme, et les sources religieuses de l'antijudaïsme. Distinction nécessaire si nous voulons extirper le mal dans toute sa profondeur. Car si l'antisémitisme comme racisme a été récusé à l'époque de Pie XI, l'Église universelle n'avait pas procédé à un examen d'ensemble de l'antijudaïsme chrétien. Aujourd'hui le message est ferme. On ne peut pas être chrétien en étant antijuif. On ne doit pas arguer des textes du Nouveau Testament pour justifier les préjugés antijuifs. Cette distinction ne signifie pas que, dans les consciences, 'l'enseignement du mépris' ait permis l'éclosion de l'antisémitisme? Mais il serait historiquement faux de faire porter sur ce fait la cause de la Shoah comme si la culture européenne n'était pas concernée dans son ensemble. Le texte n'entend pas éviter la responsabilité chrétienne. C'est un acte de repentance qui engage l'avenir."
L'argument mérite considération. Il reflète indéniablement la conviction de son auteur. Mais il a peu de chances de convaincre les historiens spécialisés dans la mise au jour des racines et des causes de la haine du juif. Peu importe, en effet, que ces dernières soient païennes ou confessionnelles. L'histoire en témoigne : il aura suffi que persécuteurs et chrétiens antisémites aient en commun le même fonds de préjugés, de mépris ou de haine envers les persécutés, pour que ces connivences idéologiques originelles dégénèrent en collusion, active ou passive, mais toujours mortifère, comme l'illustre la crapuleuse amitié qui succéda, aux dépens de Jésus, à l'inimitié entre Hérode et Pilate. 4
Le P. Dujardin a raison d'affirmer qu'il n'y a aucun lien entre 'l'enseignement du mépris' chrétien et l'éclosion de l'antisémitisme. Mais ce faisant, il ne pose pas le problème dans les termes où il se pose pour les juifs déçus par ce document, qu'à tort ou à raison, ils estiment faible et confus. Les juifs ne prétendent pas que l'enseignement du mépris est à l'origine de l'antisémitisme, mais ils affirment qu'il a, avec ce dernier, une connivence naturelle qui, comme le reconnaissent d'ailleurs explicitement plusieurs passages du rapport Henrix, cité plus haut, a contribué à le renforcer, ou à tout le moins n'a rien fait pour l'endiguer ni le combattre, avec les tragiques conséquences que l'on sait.
Quant à l'affirmation selon laquelle "il serait historiquement faux de faire porter sur ce fait ('l'enseignement du mépris') la cause de la Shoah, comme si la culture européenne n'était pas concernée dans son ensemble", elle me paraît de nature - même si telle n'est pas son intention - à renforcer la tendance, très humaine, mais qui n'en constitue pas moins un piètre alibi, à relativiser sa culpabilité propre en dénonçant celle des autres. S'il est vrai que la Shoah n'a pas sa source directe et unique dans l'antijudaïsme de la Chrétienté, il est non moins indiscutable que ce dernier a mis à la disposition de l'antisémitisme raciste des nazis un riche et multiséculaire florilège de comportements haineux, de mesures de coercition et de ségrégation, ainsi qu'un vaste argumentaire d'accusations plus ou moins mortelles, allant du déicide au crime rituel, en passant par l'empoisonnement des puits et un appétit insatiable pour l'usure, sans oublier la propension irrédentiste aux complots internationaux pour la domination de la terre, qui aboutira fatalement à l'obédience que ce peuple maudit est censé devoir faire à l'Antichrist, à la fin des temps.
On donnera acte au P. Dujardin de son affirmation selon laquelle "le texte n'entend pas éviter la responsabilité chrétienne", non sans avouer qu'il est difficile de se défendre, en le lisant, de l'impression qu'il fait feu de tout bois pour en disculper l'Église, là même où l'agir, l'inaction, l'enseignement ou le silence de cette dernière laissent place à bien des interrogations qu'il ne serait pas honnête d'esquiver 5.
Le P. Dujardin ajoute une remarque importante : "il ne faut pas? séparer (ce texte) des actes de repentance des épiscopats nationaux". Malheureusement, il l'assortit d'une restriction, qui semble dommageable : "Préparés en communion avec le Pape, à partir d'une situation donnée, ils n'ont pas, comme tels, une valeur universelle." Juste, du point de vue de l'ecclésiologie, cette note minimisante a le sérieux inconvénient de nous ramener subrepticement à une conception antéconciliaire, centripète et un brin ultramontaine, où il n'est 'bon bec' que de Rome. En tout état de cause, telle ne semble pas être la conception de Jean-Paul II. Il ressort d'études fouillées, que j'ai réalisées, des déclarations de ce pape concernant le peuple juif, que ce pape reprend souvent les formulations heureuses de ses confrères dans l'épiscopat du monde entier, en cette matière. Notons d'ailleurs que le meilleur du document romain qui nous occupe ici est dans les citations qu'il fait de textes de Jean-Paul II.
Pour ma part, je crois que le sensus fidei de la chrétienté concernant le peuple juif s'exprime avec beaucoup de force et de pertinence, tant dans les écrits du pape actuel, que dans les textes émanant de Conférences épiscopales locales. Il suffira de lire les extraits des déclarations de plusieurs épiscopats européens, sans parler de celui d'organisations catholiques et protestantes, qui constituent l'essentiel de la deuxième partie de cet article, pour constater à quel point le projet de la Commission de travail allemande, rédigé par le professeur Henrix, dont nous avons cité de larges extraits plus haut, est consonant avec ces textes.
II. La contrition des responsables d'Églises
1. Lettre Pastorale collective de l'épiscopat allemand (23 août 1945)6:
"Des actes horribles ont été commis par des Allemands, dès avant la guerre en Allemagne, et pendant la guerre elle-même, dans les territoires occupés. Nous le déplorons très profondément; de nombreux Allemands, y compris dans nos rangs (ceux de l'épiscopat) se sont laissé envoûter par les fausses doctrines du National-Socialisme et sont restés indifférents devant les crimes commis contre la liberté et la dignité humaine?"
2. Conseil des Églises évangéliques d'Allemagne (Stuttgart, 18 octobre 1945) 7:
"Nous nous reconnaissons profondément unis, non seulement dans une commune souffrance, mais dans la solidarité d'une faute commune (?) Il est vrai que nous avons, à longueur d'années, combattu, au nom de Jésus-Christ, cet esprit qui trouva son expression dans l'horreur du régime de violence national-socialiste. Mais nous nous accusons de n'avoir pas porté témoignage avec plus de courage?"
3. Déclaration des Synodes de l'Église évangélique d'Allemagne (Weinssensee, 27 avril 1950) 8:
"? Nous nous déclarons solidairement coupables, par nos omissions et par nos silences, devant le Dieu de miséricorde, des crimes qui ont été commis contre les juifs par des membres de notre peuple?"
4. Résolution du Synode de l'Église évangélique en Allemagne, au sujet du procès d'Eichmann (1961) 9:
"En présence de ce crime dont nous portons la responsabilité en tant que nation, nous ne pouvons fermer les yeux et les oreilles. Tous les allemands qui, en âge de raison, ont assisté à l'horreur de l'extermination des juifs, même ceux qui ont secouru leurs concitoyens dans la détresse, tous doivent reconnaître devant Dieu que, par manque de vigilance et d'esprit de sacrifice dans l'amour, ils se sont rendus complices (?) C'est pourquoi nous voulons nous soumettre au jugement de Dieu et reconnaître notre manque d'amour, notre indifférence et notre crainte, voire notre complicité avec le crime, comme notre propre part à cette faute. Nous voulons nous encourager mutuellement à expier notre complicité et à croire, du fond du coeur, que le pardon de Dieu nous donne la vraie liberté et la vie."
5. Déclaration du Synode des évêques catholiques de la République fédérale allemande (Würzburg, 22 novembre 1975) 10.
"Nous sommes le pays dont l'histoire politique récente a été assombrie par la tentative d'extermination systématique du peuple juif. Malgré la conduite exemplaire de quelques individus et groupes, nous avons été en général, à cette époque du National-Socialisme, une communauté ecclésiale qui a vécu en tournant le dos au destin de ce peuple persécuté, une communauté obsédée par la crainte pour ses institutions menacées, une communauté qui a gardé le silence en face des crimes perpétrés contre les juifs et le judaïsme. Aussi, un grand nombre d'entre nous se sont-ils rendus coupables purement et simplement parce qu'ils ont eu peur de risquer leur vie. Et c'est pour nous une humiliation particulière que des chrétiens aient pu prendre une part active à cette persécution. La sincérité réelle de notre désir de renouvellement dépendra de l'aveu de ces fautes et de notre disponibilité à nous laisser douloureusement instruire par l'histoire des forfaits de notre pays et de notre Église?"
6. Texte à lire dans toutes les paroisses catholiques d'Allemagne fédérale, à la demande de la Conférence épiscopale allemande, à l'occasion du 40ème anniversaire de la 'Nuit de Cristal' (9 novembre 1978) 11:
"La faute et les souffrances de ce passé ne sauraient être refoulées et oubliées. Les événements de cette époque se sont produits au vu et au su de tous, dans d'innombrables villes et villages de notre pays. Nos concitoyens juifs se sont trouvés abandonnés. Les Églises et les communautés chrétiennes ont, pour la plupart, gardé le silence devant ce déni de justice publique. C'est pourquoi, pour nous chrétiens, le 9 novembre est un jour de tristesse et de honte."
7. "L'Église catholique et le National-Socialisme". Déclaration du Secrétariat de la Conférence épiscopale allemande (31 janvier 1979) 12:
"Dans de larges milieux de la population allemande existait une tradition antisémite, et les catholiques n'y échappaient pas. Mais la position de l'Église se fondait sur une divergence doctrinale traditionnelle et non sur une idéologie raciste (?) Il est d'autant plus difficile de comprendre aujourd'hui que, ni lors du boycottage des commerces juifs, le 1er avril 1933, ni à l'occasion des lois raciales de Nuremberg, en septembre 1935, ni à la suite des excès commis après la 'Nuit de Cristal', des 9-10 novembre 1938, l'Église n'ait pas pris une position suffisamment claire et actuelle."
8. L'Église luthérienne et la communauté juive (1979) 13:
(Préambule) "Les chrétiens doivent prendre conscience de cette histoire au cours de laquelle ils ont profondément aliéné les juifs. Il est indéniable que les nations chrétiennes ont initié et approuvé la persécution. Des générations entières de chrétiens ont considéré avec mépris ce peuple (qu'elles croyaient) condamné à rester errant sur la terre, du fait de la fausse accusation de déicide. Les chrétiens devraient reconnaître, avec repentance et profond regret, la part qui est la leur dans cette tragique histoire de l'aliénation (juive)?"
9. "Vers la rénovation des relations entre chrétiens et juifs". Déclaration du Synode de l'Église protestante de la région rhénane (1980) 14:
"L'Église est amenée (à développer de nouvelles relations avec le peuple juif) par (plusieurs) facteurs (dont, entre autres) : la reconnaissance de la co-responsabilité et de la culpabilité chrétiennes dans l'Holocauste - la diffamation, la persécution et le meurtre de juifs dans le Troisième Reich (?) En conséquence, le Synode provincial déclare que, frappés, nous confessons la co-responsabilité et la culpabilité de l'Église allemande dans l'Holocauste?"
10. "Considérations oecuméniques sur le dialogue entre juifs et chrétiens". Conseil mondial des Églises (1982) 15:
(3.2) "Des enseignements du mépris des juifs et du judaïsme dans certaines traditions se sont avérés être un terreau fertile pour l'iniquité de l'Holocauste nazi. L'Église doit apprendre à prêcher et à enseigner l'Évangile, de manière à s'assurer qu'il ne puisse être utilisé aux fins de mépris du judaïsme ni à l'encontre du peuple juif?"
11. Déclaration du Synode de l'Église évangélique allemande de la Province de Baden, sur les relations entre chrétiens et juifs (mai 1984) 16:
"Le Synode évangélique de Baden obéit à l'incitation de l'histoire à parvenir, en conformité avec l'enseignement biblique, à une nouvelle relation de l'Église avec le peuple juif. Au cours des siècles, la théologie chrétienne, l'enseignement et les actes de l'Église ont été viciés par l'idée que le peuple juif était rejeté par Dieu. Cet antijudaïsme chrétien devint l'une des racines de l'antisémitisme. En conséquence, nous qui sommes concernés, confessons que la Chrétienté en Allemagne porte la responsabilité et la culpabilité communes de l'Holocauste?"
12. "Accepter le poids de l'histoire". Déclaration commune des Conférences épiscopales d'Allemagne fédérale, d'Autriche et de Berlin (20 octobre 1989) 17:
"Aujourd'hui, bien des gens regrettent que les Églises n'aient pas prononcé publiquement une parole de condamnation (du pogrome de la 'Nuit de Cristal', en novembre 1938). Certes, à la suite de leurs critiques ouvertes contre les mesures antijuives prises par les autorités nazies, de nombreux prêtres et laïcs firent l'objet de poursuites (?) Par contre nos prédécesseurs (les évêques et cardinaux) n'élevèrent aucune protestation collective du haut de la chaire (?) Une protestation officielle, un geste fortement explicite d'humanité et de solidarité, n'auraient-ils pas été la réponse qu'exigeait le ministère de vigilance de l'Église? (?) Pourtant, en dépit de toutes les interrogations sur l'opportunité relative à cette époque, nous nous demandons si, en novembre 1938, d'autres formes de solidarité n'auraient pas été possibles et nécessaires : une prière commune pour les innocents persécutés, ou une mise en oeuvre renouvelée, démonstrative, du commandement de l'amour chrétien. Que cela n'ait pas été fait nous frappe aujourd'hui, où nous considérons l'engagement pour les droits élémentaires de tous les hommes comme un devoir qui englobe les confessions, les classes et les races?"
13. La responsabilité des catholiques dans la persécution contre les juifs. Déclaration des évêques des Pays-Bas (1996) 18:
"À l'occasion du 30ème anniversaire de la Déclaration conciliaire 'Nostra Aetate'; les évêques des Pays-Bas ont rendu publique une réflexion dans laquelle ils affirment que, par son antijudaïsme, l'Église néerlandaise a contribué au climat qui a rendu possible le génocide des juifs pendant la dernière guerre. Ils écrivent notamment : '?nous sommes remplis de honte et d'effroi quand nous repensons à la Shoah?'. Évoquant l'attitude des catholiques néerlandais durant la guerre, les évêques saluent 'l'intervention courageuse de l'épiscopat sous la conduite de l'évêque De Jong'. Ils ajoutent : 'Mais les catholiques néerlandais ne pouvaient-ils faire mieux? Il est certain que les instances de l'Église ont, elles aussi, commis des fautes? Une tradition théologique et ecclésiale d'antijudaïsme a contribué à la naissance d'un climat dans lequel la Shoah avait sa place? Des préjugés et des formes d'antisémitisme resurgissent régulièrement dans notre société. cela requiert de la vigilance et de la fermeté'."
14. Déclaration de repentance de dix-huit évêques de France (30 septembre 1997) 19:
"A un moment où, dans un pays partiellement occupé, abattu et prostré, la hiérarchie considérait comme son premier devoir de protéger ses fidèles, d'assurer au mieux la vie de ses institutions, la priorité absolue assignée à ces objectifs, en eux-mêmes légitimes, a eu malheureusement pour effet d'occulter l'exigence biblique de respect envers tout être humain créé à l'image de Dieu. À ce repli sur une vision étroite de la mission de l'Église s'est ajouté, de la part de la hiérarchie, un manque de compréhension de l'immense drame planétaire en train de se jouer, qui menaçait l'avenir même du christianisme. Pourtant, parmi les fidèles et chez beaucoup de non-catholiques, l'attente était considérable de paroles d'Église rappelant, au milieu de la confusion des esprits, le message de Jésus-Christ.
Dans leur majorité, les autorités spirituelles, empêtrées dans un loyalisme et une docilité allant bien au-delà de l'obéissance traditionnelle au pouvoir établi, sont restées cantonnées dans une attitude de conformisme, de prudence et d'abstention, dictée, pour une part, par la crainte de représailles contre les oeuvres et les mouvements de jeunesses catholiques. Elles n'ont pas pris conscience du fait que l'Église, alors appelée à jouer un rôle de suppléance dans un corps social disloqué, détenait en fait un pouvoir et une influence considérables et que, dans le silence des autres institutions, sa parole pouvait, par son retentissement, faire barrage à l'irréparable (?)
Ainsi, face à la législation antisémite édictée par le gouvernement français - à commencer par le statut des juifs d'octobre 1940 et celui de juin 1941, qui ôtaient à une catégorie de Français leurs droits de citoyens, qui les fichaient et qui faisaient d'eux des êtres inférieurs au sein de la nation -, face aux décisions d'internement dans des camps de juifs étrangers qui avaient cru pouvoir compter sur le droit d'asile et sur l'hospitalité de la France, force est de constater que les évêques de France ne se sont pas exprimés publiquement, acquiesçant par leur silence à ces violations flagrantes des droits de l'homme et laissant le champ libre à un engrenage mortifère.
Nous ne jugeons ni les consciences ni les personnes de cette époque, nous ne sommes pas nous-mêmes coupables de ce qui s'est passé hier, mais nous devons apprécier les comportements et les actes. C'est notre Église et nous sommes obligés de constater aujourd'hui objectivement que des intérêts ecclésiaux entendus d'une manière excessivement restrictive l'ont emporté sur les commandements de la conscience, et nous devons nous demander pourquoi. Au-delà des circonstances historiques que nous venons de rappeler, nous avons en particulier à nous interroger sur les origines religieuses de cet aveuglement. Quelle fut l'influence de l'antijudaïsme séculaire? Pourquoi, dans le débat, dont nous savons qu'il a existé, l'Église n'a-t-elle pas écouté la voix des meilleurs des siens? (?) Mais de quel poids (?) pouvait peser la pensée des quelques théologiens évoqués plus haut, par rapport aux stéréotypes antijuifs constamment répétés, dont nous retrouvons la trace, même après 1942, dans des déclarations qui, par ailleurs, ne manquaient pas de courage. Force est d'admettre, en premier lieu, le rôle, sinon direct du moins indirect, joué par des lieux communs antijuifs, coupablement entretenus dans le peuple chrétien, dans le processus historique qui a conduit à la Shoah (?)
Au jugement des historiens, c'est un fait bien attesté que, pendant des siècles, a prévalu, dans le peuple chrétien, jusqu'au Concile Vatican II, une tradition d'antijudaïsme marquant à des niveaux divers la doctrine et l'enseignement chrétiens, la théologie et l'apologétique, la prédication et la liturgie. Sur ce terreau a fleuri la plante vénéneuse de la haine des juifs. De là un lourd héritage aux conséquences difficiles à effacer, jusqu'en notre siècle. Delà des plaies toujours vives. Dans la mesure où les pasteurs et les responsables de l'Église ont si longtemps laissé se développer l'enseignement du mépris et entretenu dans les communautés chrétiennes un fonds commun de culture religieuse, qui a marqué durablement les mentalités en les déformant, ils portent une grave responsabilité. Même quand ils ont condamné les théories antisémites dans leur origine païenne, on peut estimer qu'ils n'ont pas éclairé les esprits comme ils l'auraient dû, parce qu'ils n'avaient pas remis en cause ces pensées et ces attitudes séculaires. Dès lors, les consciences se trouvaient souvent endormies et leur capacité de résistance amoindrie quand a surgi, avec toute sa violence criminelle, l'antisémitisme national-socialiste, forme diabolique et paroxysmale de haine des juifs, fondée sur les catégories de la race et du sang et visant ouvertement l'élimination physique du peuple juif (?)
Il n'en reste pas moins que, si parmi les chrétiens, clercs, religieux ou laïcs, les actes de courage n'ont pas manqué pour la défense des personnes, nous devons reconnaître que l'indifférence l'a largement emporté sur l'indignation et que, devant la persécution des juifs, en particulier devant les mesures antisémites multiformes édictées par les autorités de Vichy, le silence a été la règle et les paroles en faveur des victimes, l'exception. Pourtant, comme l'a écrit François Mauriac, "un crime de cette envergure retombe, pour une part non médiocre, sur tous les témoins qui n'ont pas crié, et quelles qu'aient été les raisons de leur silence" 20. Le résultat, c'est que la tentative d'extermination du peuple juif, au lieu d'apparaître comme une question centrale sur le plan humain et sur le plan spirituel, est restée à l'état d'enjeu secondaire.
Devant l'ampleur du drame et le caractère inouï du crime, trop de pasteurs de l'Église ont, par leur silence, offensé l'Église elle-même et sa mission. Aujourd'hui, nous confessons que ce silence fut une faute. Nous reconnaissons aussi que l'Église en France a alors failli à sa mission d'éducatrice des consciences et qu'ainsi elle porte avec le peuple chrétien la responsabilité de n'avoir pas porté secours, dès les premiers instants, quand la protestation et la protection étaient possibles et nécessaires même si, par la suite, il y eut d'innombrables actes de courage. C'est là un fait que nous reconnaissons aujourd'hui. Car cette défaillance de l'Église de France et sa responsabilité envers le peuple juif font partie de son histoire. Nous confessons cette faute. Nous implorons le pardon de Dieu et demandons au peuple juif d'entendre cette parole de repentance."
15. "Des racines de l'antijudaïsme en milieu chrétien" (Rome, 30 septembre 1997) 21:
"?dans le monde chrétien - je ne dis pas de la part de l'Église en tant que telle -, des interprétations erronées et injustes du Nouveau Testament relatives au peuple juif et à sa prétendue culpabilité ont trop longtemps circulé, engendrant des sentiments d'hostilité à l'égard de ce peuple. Ils ont contribué à assoupir bien des consciences, de sorte que, quand a déferlé sur l'Europe la vague de persécutions inspirées par un antisémitisme païen qui, dans son essence, était également antichristianisme, à côté de chrétiens qui ont tout fait pour sauver les persécutés jusqu'au péril de leur vie, la résistance spirituelle de beaucoup n'a pas été celle que l'humanité était en droit d'attendre de la part de disciples du Christ?"
Quiconque aura lu ces textes sans idée préconçue le reconnaîtra : contrairement à certains passages du récent document romain sur la Shoah, que nous allons examiner maintenant, ils affirment presque unanimement le lien, au moins indirect, entre l'antisémitisme dit païen et l'antijudaïsme chrétien, et reconnaissent la culpabilité de l'Église, ou au moins sa co-responsabilité, dans le traitement inhumain dont les juifs ont été victimes lors de la barbarie nazie. Certaines déclarations confessent même ouvertement la lâcheté et l'égoïsme des instances hiérarchiques de l'Église. C'est le cas, en particulier, de la Déclaration des évêques de France (n° 14, ci-dessus).
III. Les autojustifications du Document romain 22
L'honnêteté oblige à reconnaître que les chapitres I à II et les deux premiers tiers du chapitre III du document, contiennent des aveux de culpabilité, qui représentent un progrès considérable si on les compare aux farouches dé-négations antérieures à ce propos. Toutefois, ces considérations sont trop générales et ont surtout le grave inconvé-nient d'éluder la responsabilité de l'Église dans les spoliations, les expulsions et les massacres de juifs par des chré-tiens, au cours des siècles. Quant à la suite du texte, c'est un mélange disparate d'affirmations et d'interprétations, dont certaines sont de nature fortement apologétique. Sans respect de la chronologie, ni remise en situation historique sérieuse, on y bat le rappel des témoignages susceptibles de disculper l'Église et la hiérar-chie de l'époque, allant même jusqu'à décerner à Pie XII un brevet de sauvetage de masse, à titre posthume. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de ce que plusieurs affirmations de ce document soient entachées d'erreurs historiques ou d'exagérations. J'en ai re-tenu quatre, dont on trouvera, ci-après, une analyse qui replace dans leur contexte historique les faits et les dires allégués, et tente de les interpréter, à la lumière des nombreux documents aujourd'hui accessibles aux histo-riens.
1. "Les sermons bien connus du cardinal Faulhaber, en 1933, ? exprimèrent clairement le rejet exprès de la propagande antisémite nazie." 23
La Déclaration vaticane reprend ici, sans recul critique, une affirmation controuvée, à laquelle plusieurs historiens ont, depuis longtemps, fait un sort. C'est le cas, en particulier de Guenter Lewy, qui écrit, à ce propos 24:
"Les sermons prononcés durant l'Avent 1933 par le Cardinal Faulhaber connurent la célébrité justement parce qu'ils faisaient l'apologie du caractère sacré de l'Ancien Testament. Cependant, il faut remarquer que Mgr Faulhaber prit la peine de bien préciser qu'en défendant les livres saints, il n'entendait pas assurer la défense de ses contemporains juifs. Nous devons distinguer, dit-il aux fidèles, entre le peuple juif tel qu'il était avant la mort de Jésus, véhicule de la révélation divine, et le peuple juif tel qu'il est devenu après la mort du Christ, éternel errant sur la terre. Mais même le peuple juif de l'Ancien Testament ne pouvait s'attribuer à bon droit le mérite de la sagesse de l'Ancien Testament. Les lois bibliques étaient si extraordinaires qu'on ne pouvait que dire : 'Peuple d'Israël, cela n'a pas poussé dans ton jardin et tu ne l'y as point planté. Cette condamnation de l'usure qui amène à la spoliation de la terre, cette guerre à l'endettement qui est l'oppresseur du cultivateur, cela n'est pas le produit de ton esprit.' " 25
Et Lewy a raison d'ajouter 26:
"On n'est donc pas loin de la falsification historique lorsqu'on voit saluer les sermons de Mgr Faulhaber, ainsi que l'a fait récemment un auteur catholique 27, comme une 'condamnation des persécutions contre les Juifs' ".
Mais la preuve irréfutable de ce que les sermons du cardinal Faulhaber ne constituaient en rien une défense des juifs persécutés nous est fournie par l'illustre prélat lui-même. Suivons encore Lewy 28:
"D'ailleurs, Mgr Faulhaber se chargea très vite de dissiper toute ambiguïté au sujet de ses déclarations. Au cours de l'été 1934, un journal social-démocrate de Prague publia le texte d'un sermon contre la haine raciale, attribué à Mgr Faulhaber. Le National-Zeitung, de Bâle, reproduisit des extraits de ce sermon et le Congrès Juif Mondial réuni à Genève loua la position courageuse prise par le Cardinal. Mais il se révéla que ce sermon était une invention. Mgr Faulhaber fit écrire par son secrétaire à l'organisation juive une lettre autour de laquelle on fit grand bruit, et qui protestait contre 'l'utilisation du nom (du Cardinal) par un groupement qui préconisait le boycott de l'Allemagne, c'est-à-dire la guerre économique'. 'Dans ses sermons, prononcés l'année passée, à l'occasion de l'Avent, le Cardinal avait défendu l'Ancien Testament des Enfants d'Israël, mais n'avait pas pris position en ce qui concernait l'actuelle question juive.' " 29
Le malentendu trouve probablement son origine dans une lecture superficielle de passages des sermons du Cardinal de Munich, tels que ceux-ci 30 :
"Quand la recherche raciale (Rassen forschung) qui n'est pas, en soi, un sujet religieux, entre en guerre avec la religion et attaque les fondements du christianisme; quand l'antagonisme envers les juifs de notre temps est étendu aux livres sacrés de l'Ancien Testament et que le christianisme est condamné parce qu'il a des relations d'origine avec le judaïsme pré-chrétien? alors l'évêque ne peut rester silencieux."
"En acceptant ces livres (ceux de l'AT), la chrétienté ne devient pas une religion juive. Ces livres n'ont pas été composés par des juifs; ils sont inspirés par l'Esprit Saint et sont donc l'oeuvre de Dieu, ce sont les livres de Dieu? L'antagonisme envers les juifs d'aujourd'hui ne peut être étendu aux livres du judaïsme pré-chrétien."
En fait, il ressort de ces textes que ce n'est pas le sort des juifs, racialement discriminés, qui préoccupe Faulhaber, mais l'assimilation du christianisme au judaïsme. La doctrine raciale l'inquiète si peu que, dans son dernier sermon d'Avent, il n'hésite pas à dire 31:
"L'Église ne voit pas d'objection à la 'recherche raciale' (Rassenforschung) ni au 'bien-être racial' (Rassenpflege)? ni aux efforts pour conserver l'individualité d'un peuple aussi pure que possible et, par référence à la communauté de sang, pour approfondir le sentiment de la communauté nationale." 32
Concluons qu'il ne reste rien du mythe d'un cardinal Faulhaber dénonciateur de la persécution des juifs, si s'avére crédible la réponse, citée par Friedländer, qu'aurait adressée le cardinal Faulhaber à un ecclésiastique "qui s'étonnait de ne pas entendre l'Église déclarer publiquement que nul ne saurait être persécuté du fait de sa race" 33 :
"Pour le haut clergé, il existe des problèmes immédiats infiniment plus essentiels : les écoles, le maintien des associations catholiques, la stérilisation ont plus d'importance pour le christianisme dans notre patrie. On doit partir du principe que les juifs sont capables de se tirer d'affaire sans l'aide de personne."
C'est peu dire que l'histoire n'a pas confirmé le pronostic optimiste du Cardinal.
2. "Nous ne pouvons donc ignorer la différence qui existe entre l'antisémitisme, qui repose sur des théories contraires à l'enseignement constant de l'Église? et les sentiments de méfiance et d'hostilité que nous appelons antijudaïsme, qui ont perduré pendant des siècles, dont, malheureusement, les chrétiens eux aussi ont été coupables." 34
Cette distinction, qui fait figure de vérité première et que l'on retrouve à satiété dans maints textes, ne semble pas fondée. Malheureusement, pour en démontrer l'inanité, il faudrait disposer d'une étude sérieuse de l'acception des termes 'antisémitisme' et 'antisémite' dans la littérature chrétienne des XIXe et XXe siècles. À défaut, j'évoquerai deux témoins très repré- sentatifs à cet égard : la Civiltà Cattolica, revue des jésuites de Rome, et un écrit du philosophe catholique Jacques Maritain. Pour la Civiltà, je cite à nouveau ici l'historien G. Lewy 35:
"En 1934, l'influente revue Civiltà Cattolica, publiée à Rome et traditionnellement proche de la pensée du Vatican, nota avec regret que l'antisémitisme des nazis 'ne prenait sa source ni dans les convictions religieuses, ni dans la conscience chrétienne? mais dans le désir de bouleverser l'ordre de la religion et de la société'. Et la Civiltà Cattolica ajoutait : 'Nous pourrions les comprendre ou même les louer, si leur politique se limitait à prendre des mesures de défense acceptables contre les organisations et les institutions juives'?"
"En 1936, dans la même publication, autre article sur le même sujet. L'opposition au racisme nazi ne devait pas être interprétée comme un rejet de tout antisémitisme, insistait la revue; et elle affirmait - ainsi qu'elle le faisait depuis 1890 - que le monde chrétien devait se défendre (tout en se gardant de la haine) contre la menace juive, en suspendant les droits civiques des Juifs et en les renvoyant dans les ghettos."
À la lumière de ces textes - qui sont loin d'être uniques en leur genre -, on comprendra que toute confusion entre cet antisémitisme-là et ce que nous entendons aujourd'hui par ce terme, dont la connotation est devenue péjorative, relève de l'anachronisme. Quiconque est familier de la littérature antijuive qui fit florès de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu'aux années 30, et a connu son apothéose dans le délire antisémite racial des nazis, sait qu'à l'origine, ce terme connotait une idéologie vouée à ce que ses tenants considéraient comme une oeuvre de salut public : défendre la civilisation contre l'influence, jugée délétère, des juifs, et lutter contre leur prétendue aspiration à la domination universelle36. Ces conceptions, qui nous apparaissent aujourd'hui comme relevant du fantasme ou de la paranoïa, étaient alors répandues et prises très au sérieux. Elles semblaient d'autant plus crédibles, qu'elles trouvaient leur justification théologique dans un enseignement chrétien multiséculaire, entaché de stéréotypes antijudaïques, et que certains événements, où des juifs étaient impliqués (ou censés l'être), semblaient corroborer les préjugés invétérés à l'égard d'un peuple perçu comme inassimilable, étrange et inquiétant, voire menaçant.
Si ce qui précède fait l'objet d'un large consensus de la recherche, il n'en est pas de même s'agissant de l'affirma-tion de ceux qui pensent qu'il a existé, durant la période de référence évoquée ci-dessus, un antisémitisme spécifiquement chrétien. J'en veux pour preuve un texte, réputé insolite, du philosophe catholique Jacques Maritain. Il est extrait d'une communication intitulée À propos de la question juive, présentée le 21 mai 1921 à la première Semaine des écrivains catholiques, et que sous-tend, comme le remarque avec justesse P. Vidal-Naquet - à qui nous devons la réédition de ce texte - "l'antisémitisme chrétien le plus tradition-nel" 37:
"Sans doute bien des Juifs, ils l'ont montré au prix de leur sang pendant la guerre, sont vraiment assimilés à la patrie de leur choix; la masse du peuple juif reste néanmoins séparée, réservée, en vertu même de ce décret providentiel qui fait de lui, tout au long de l'histoire, le témoin du Golgotha. Dans la mesure où il en est ainsi, on doit attendre des Juifs tout autre chose qu'un attachement réel au bien commun de la civilisation occidentale et chrétienne. Il faut ajouter qu'un peuple essentiellement messianique comme le peuple juif, dès l'instant qu'il refuse le vrai Messie, jouera fatalement dans le monde un rôle de subversion [?] De là, la nécessité évidente d'une lutte de salut public contre les sociétés secrètes judéo-maçonniques et contre la finance cosmopolite, de là même la nécessité d'un certain nombre de mesures générales de préservation, qui étaient, à vrai dire, plus aisées à déterminer au temps où la civilisation était officiellement chrétienne [?] Si antisémite qu'il puisse être à d'autres points de vue, un écrivain catholique? doit à sa foi de se garder de toute haine? Si dégénérés que soient les Juifs charnels, la race des prophètes de la Vierge et des apôtres, la race de Jésus, est le tronc sur lequel nous sommes entés [?] C'est ainsi que l'Église, pressée par sa charité, et malgré cette sorte d'horreur sacrée qu'elle garde pour la perfidie de la Synagogue, et qui l'empêche de plier les genoux lorsqu'elle prie pour les Juifs le Vendredi saint, c'est ainsi que l'Église continue et répète parmi nous la grande clameur : Pater, dimitte illis de Jésus crucifié? Autant [les écrivains catholiques] doivent dénoncer et combattre les Juifs dépravés qui mènent, avec des chrétiens apostats, la Révolution antichrétienne, autant ils doivent se garder de fermer la porte du royaume des cieux devant les âmes de bonne volonté?" 38.
On trouve, dans ce texte, la quintessence des préjugés antisémites entretenus à l'égard des juifs et largement partagés par les catholiques d'alors. Il est étonnant que les spécialistes qui ont examiné ce texte n'aient pas buté sur l'incongruité de l'emploi du terme 'antisémite' - au sens négatif où nous l'entendons aujourd'hui - par un Jacques Maritain, époux, depuis dix-sept ans, de Raïssa Oumançoff, juive russe qui, bien que non pratiquante et mal instruite de la foi de ses pères, n'en avait pas moins conscience d'appartenir à un peuple victime d'une haine séculaire, dont pâtissaient encore ses compatriotes dans une Russie ensanglantée par les pogromes.
Il est dommage que, sur la base de textes de cette nature (qui sont nombreux) les rédacteurs de la Déclaration "Nous nous souvenons" n'aient pas prêté davantage d'attention à la confluence, chez les auteurs catholiques de l'époque de la Shoah, de motifs antisémites religieux et socio-économiques. Une telle constatation les eût certainement convaincus du caractère artificiel de la distinction entre antisémitisme et antijudaïsme 39, au moins en ce qui con- cerne les acteurs, les témoins et, en général, les contemporains des événements tragiques de la Shoah.
3. "Pendant et après la guerre, des communautés et des responsables juifs ont exprimé leurs remerciements pour tout ce qui a été fait pour eux, y compris pour ce que le Pape Pie XII fit personnellement ou par l'intermédiaire de ses représentants pour sauver des centaines de milliers de vies juives" 40
Les juifs ne nourrissaient guère d'illusions sur la possibilité que l'Église désavoue le silence de Pie XII durant la Shoah. À vrai dire, ils ne le demandaient même pas. Mais ils étaient à cent lieues d'imaginer que ce document, qui se présente comme une "déclaration de repentance", comporterait un éloge papal aussi appuyé. Encore moins s'attendaient-ils à voir Pie XII crédité soudain du sauvetage de "centaines de milliers de vies juives".
Précisons que cette évaluation optimiste s'appuie sur l'affirmation suivante de l'historien israélien P. Lapide 41:
"?sous le pontificat de Pie XII, l'Église catholique fut l'instrument par lequel furent sauvés au moins 700.000, voire 860.000 Juifs, d'une mort certaine par les mains des nazis."
Il vaut la peine de citer le texte de la note par laquelle l'auteur justifie ses 'statistiques' optimistes 42:
"Le nombre total de Juifs survivant à Hitler dans la partie de l'Europe occupée - Russie non comprise - grâce en partie à l'aide chrétienne s'élève à 945.000 environ. À ceux-là on doit ajouter les quelque 85.000 que les Chrétiens aidèrent à s'échapper en Turquie, en Espagne, au Portugal, en Andorre, et en Amérique latine. De ce résultat, qui dépasse un million de survivants, j'ai déduit toutes les revendications de l'Église protestante (surtout en France, en Italie, en Hongrie, en Finlande, au Danemark et en Norvège); des Églises orientales (en Roumanie, Bulgarie et Grèce). Il faut encore retrancher tous ceux qui doivent leur vie sauve à des communistes, des agnostiques ou autres Gentils non chrétiens. Le nombre total de vies juives sauvées par l'intermédiaire de l'Église catholique atteint ainsi au moins 700.000 âmes, mais se trouve vraisemblablement plus proche de 860.000." 43
J'ai souligné les mots et les phrases générateurs d'étonnement, voire d'exaspération? A ce compte - sur la base même de cette curieuse arithmétique du sauvetage, où 'survivant' = 'sauvé' -, pourquoi ne pas créditer Churchill, Roosevelt, Staline et leurs armées, du 'sauvetage' des millions de juifs 'survivant à Hitler' que l'on pouvait dénombrer dans les régions susnommées, au moment de la victoire des troupes alliées?
4. "Des Organisations et des personnalités juives représentatives ont reconnu officielle-ment, à diverses reprises, la sagesse de la diplomatie du Pape Pie XII" 44
Même s'il ne fait pas, à proprement parler, partie de la Déclaration, c'est, à n'en pas douter, le contenu de la longue note 16 de cette dernière, conjugué au prétendu sauvetage de masse papal évoqué ci-dessus, qui a le plus irrité les instances représentatives juives. On y lit quatre témoignages de reconnaissance, dont on se demande en fonction de quels critères ils ont été retenus pour figurer dans cet important document. En effet, ils ne sont sûrement pas les seuls de leur espèce. Alors pourquoi avoir choisi ceux-là de préférence à d'autres?
En tout état de cause, il semble que le but tacite de ce satisfecit posthume exaltant l'action de Pie XII soit de ré-pondre indirectement au reproche de silence. Et de fait, ce dernier, outre qu'il entache la mémoire de ce pape depuis des lustres et que toute insistance déplacée le concernant peut donner lieu à des empoignades épiques 45, demeure encore, pour maints juifs, un obstacle ou un frein sur la voie du dialogue que l'Église tente d'établir avec eux, depuis le changement radical de l'attitude de cette institution à leur égard, à la suite du concile Vatican II.
Si tel est bien le cas, les témoignages de reconnaissance évoqués dans cette note ont manqué leur but. En effet, sur les quatre citations, seule la dernière - attribuée à Madame Golda Meïr, et sur laquelle je reviendrai ci-après -, fait explicitement allusion à une intervention orale de Pie XII en faveur des juifs. Les trois autres textes remercient pour les actes d'aide et de secours, mais ne soufflent mot d'une quelconque prise de position publique du pape en faveur des israélites persécutés par les Nazis.
Attardons-nous un instant sur la déclaration de Madame Golda Meïr, à l'occasion de la mort de Pie XII, telle qu'elle est rapportée par le document romain 46:
"Nous partageons la douleur de l'humanité? Quand le terrible martyre s'abattit sur notre peuple, la voix du Pape s'éleva en faveur des victimes. La vie de notre temps fut enrichie d'une voix qui parla clairement des grandes vérité morales au-dessus du tumulte du conflit quotidien."
On remarque d'emblée que c'est le seul texte pour lequel il n'est pas fourni de référence.
Voici maintenant la version, plus complète, rapportée par P. Lapide, déjà cité 47:
"Nous partageons la peine de l'humanité en apprenant le décès de Sa Sainteté le pape Pie XII. À une époque troublée par les guerres et les discordes, il a maintenu les idéaux les plus élevés de paix et de compassion. Lorsque le martyre le plus effrayant a frappé notre peuple, durant les dix ans de terreur nazie, la voix du Pape s'éleva en faveur des victimes. La vie de notre époque fut enrichie par une voix qui proclamait, au-dessus du tumulte du conflit quotidien, les vérités fondamentales. Nous pleurons un grand serviteur de la paix."
Plus récemment, dans un article au titre et au contenu combatifs : "La légende à l'épreuve des archives. Les accusations récurrentes contre Pie XII", paru dans la Civiltà Cattolica, le P. Blet, déjà évoqué, fait mention du message de Golda Meïr, mais, assez curieusement, il n'en cite que la dernière phrase. 48
Il y a lieu de s'étonner de l'omission, par le P. Blet, de la phrase-clé, mise en exergue par Lapide (voir ci-dessus) : "la voix du Pape s'éleva en faveur des victimes" 49. En effet, comme l'indique son titre, l'article de ce jésuite a pour but de démontrer l'inanité des reproches adressés à Pie XII, et particulièrement celui de s'être tu face au génocide. Or, le système de défense adopté par le religieux - et dont il n'a pas, tant s'en faut, l'apanage - consiste à opposer aux critiques des détracteurs les bons témoignages rendus à ce pape par des personnalités juives 50, en privilégiant, comme il se doit, les déclarations des survivants ou des contemporains de la Shoah. Dans ces conditions, on se demande comment cet apologète zélé de la mémoire de Pie XII a pu négliger, dans son plaidoyer, la phrase capitale citée par d'autres, et ce d'autant qu'il a vraisemblablement consulté L'Osservatore Romano, où a été publié le message de G. Meïr, et dont il est d'ailleurs le seul à donner la référence exacte 51.
Quoi qu'il en soit de ces problèmes de citations, on retiendra comme significative de la mentalité foncière du pape la phrase (citée plus haut) qui ouvre la note apologétique n°16 du Document sur la Shoah : "Des Organisations et des personnalités juives représentatives ont reconnu officielle-ment, à diverses reprises, la sagesse de la diplomatie du Pape Pie XII". Or, ce n'est pas d'un diplomate qu'avaient besoin les victimes de la barbarie nazie, mais d'un prophète. Malheureusement pour elles, Pie XII n'en avait pas l'étoffe, ce qui lui a valu ce jugement sévère 52:
"?les âmes pieuses ont beau fouiller, dans les encycliques, les discours, les allocutions du pape défunt, il n'y a nulle part une trace de condamnation de la 'religion du sang' instituée par Hitler, cet Antichrist. Quelques sévérités après la défaite allemande, c'est tout? Vous ne trouverez pas ce que vous cherchez : le fer rouge. La condamnation de l'injure notoire à la lettre et à l'esprit du dogme, qu'a représenté le racisme, vous ne la trouverez pas."
Conclusion (provisoire)
"Comment pouvez-vous dire que vous
m'aimez si vous ignorez ce qui me peine."
(D'après un conte hassidique) 53
Il paraît que certains membres des instances vaticanes sont mécontents des critiques juives faites au Document sur la Shoah. Sans doute doivent-ils se dire : "Les juifs ne sont jamais contents". Pour ne pas allonger davantage cet article, je remets à plus tard ma réaction à certaines répliques catholiques particulièrement 'musclées', telles celles du P. Blet et du rédacteur de l'éditorial de la Civiltà Cattolica d'avril 1998, déjà évoquées ici. Je me limiterai donc à citer la réaction d'une personnalité vaticane, le P. Cottier, telle que la rapporte un communiqué de presse 54:
"Je suis vraiment amer. Réduire le document à la question de Pie XII occulte ce qui en est le centre : la ferme condamnation de l'Holocauste."
Je connais le P. Cottier et j'apprécie son respect pour le judaïsme et sa dédication sincère au rapprochement entre chrétiens et juifs; qu'il me permette donc de l'éclairer amicalement sur ce qui m'apparaît comme un malentendu. La longue note 16 du Document était une maladresse. C'est elle qui a déchaîné la tempête. Je le répète, une fois de plus : les juifs ne s'attendaient certes pas à un désaveu ecclésial du silence de Pie XII, mais ils n'avaient pas imaginé qu'on profiterait d'une "déclaration de repentance" pour y insérer, fût-ce en note, une apologie, que certains ont perçue comme une provocation. Ceux qui ont rédigé le document sur la Shoah auraient dû tenir compte de mises en garde comme celle du Dr Gerhardt Riegnert, vice-président honoraire du Congrès Juif Mondial 55:
" (J'avais maintes fois averti que) 'si un texte d'une telle portée devait disculper Pie XII, il serait rejeté par la communauté juive.' Il n'y avait pas lieu de citer telle ou telle personnalité, dit-il, regrettant de n'avoir pas été entendu. D'autant plus que l'argumentation utilisée par le document est 'inexacte' ".
Pour comprendre le choc causé à l'âme juive par cette apologie inopportune, il faut relire l'adieu désespéré qu'adressaient aux juifs de Palestine les représentants du judaïsme polonais, alors agonisant 56:
"À la dernière minute avant leur anéantissement total, les derniers survivants du peuple juif en Pologne ont lancé un appel au secours au monde entier. Il n'a pas été entendu. Nous savons que vous, Juifs de Palestine, vous souffrez cruellement de notre martyre incroyable. Mais que ceux qui avaient les moyens de nous aider et ne l'ont pas fait sachent ce que nous pensons d'eux. Le sang de trois millions de Juifs hurle vengeance, et il sera vengé! Et ce châtiment ne frappera pas seulement les cannibales nazis, mais tous ceux qui ne firent rien pour sauver un peuple condamné? Que cette dernière voix, sortant de l'abîme, parvienne aux oreilles de l'humanité toute entière."
Il n'était pas - et il n'est toujours pas - dans les intentions des juifs de "réduire le document à la question de Pie XII", comme le pense le P. Cottier. Nous n'avons fait que réagir, à vif, à "la question de Pie XII", remise en course par la Déclaration, de manière aussi inopportune que triomphaliste. En mettant le fer de l'apologie dans la plaie, encore béante, causée à notre peuple par le si-lence total du pasteur de l'Église 57, aux jours de notre déréliction, et en y versant, de surcroît, le sel insupportable de la renommée imaginaire d'un pape censé avoir sauvé des "cen-taines de milliers de vies juives", les rédacteurs de ces considérations et ceux qui les approuvent témoignent, par leur in-com-préhension de la souffrance qu'ils nous causent, de la justesse de la citation mise en tête de cette Conclusion : "Comment pouvez-vous dire que vous m'aimez, si vous ignorez ce qui me peine!"
NOTES
1 L'essentiel de ce qui suit s'inspire d'un rapport du professeur Hans Hermann Henrix, rendu public le 24 mai 1994. Traduction française intégrale de ce document (originellement rédigé en allemand), dans SIDIC (Service International de Documentation Judéo-Chrétienne), vol. XXVII, 3, 1994, Rome, pp. 20-23.
2 Voir le tableau synoptique des trois versions successives de ce texte, dans Les Églises devant le Judaïsme. Documents officiels 1948-1978. Textes rassemblés, traduits et annotés par Marie-Thérèse Hoch et Bernard Dupuy, Cerf, Paris, 1980, pp. 321-334. Cité, ci-après : EDJ.
3 "Une question pour toutes les cons-ciences", La Croix, jeudi 26 mars 1998, p. 12.
4 En témoigne ce passage de l'Évangile (Lc 20, 11-12) : "Après que lui-même et ses gardes l'eussent traité avec mépris et bafoué (Jésus), Hérode le revêtit d'un vêtement de dérision et le renvoya à Pilate. Et, ce même jour, Hérode et Pilate devinrent amis, d'ennemis qu'ils étaient auparavant".
5 Dans son article, "L'Église : la rigueur de l'aveu", paru dans Le Monde, du 21 mars 1996, le Père Bernard Dupuy, ancien secrétaire du Comité épiscopal (français) pour les relations avec le judaïsme, et expert de la Commission vaticane du même nom, est plus réservé. Il écrit, en effet: "Face à ces exigences (les attentes des juifs meurtris par la Shoah), le caractère descriptif adopté par le document pour traiter de la Shoah en accuse la faiblesse. On attendait une analyse rigoureuse et une critique - toujours à venir- des silences ou des insuffisances des chrétiens, de la hiérarchie de l'Église, voire de l'histoire du christianisme lui-même. Faute de quoi on a un résumé, quelque peu scolaire, de faits assez bien connus, ou discutés plus amplement ailleurs. La présentation du Moyen Âge et des relations entre juifs et chrétiens, dans une Europe que se partagèrent les Églises, et où les juifs connurent les errances et les expulsions, est hâtive. Il est permis de douter qu'elle ait la portée que les auteurs du document ont voulu lui donner." Le religieux déplore encore que, malgré la condamnation explicite de l'antisémitisme et la reconnaissance que l'attitude de l'Église à l'égard des juifs, au fil des siècles, ne fut jamais ce qu'elle aurait dû être, "les responsabilités chrétiennes dans le paroxysme qu'il connut depuis la fin du XIXe siècle sont rappelées de manière par trop générale."
6 EDJ, p. 80. Texte cité dans le document "L'Église catholique et le National-Socialisme", du 31 janvier 1979.
7 EDJ, p. 33, note 5.
8 EDJ, pp. 31-32.
9 EDJ, pp. 35-36.
10 EDJ, pp. 72-73.
11 EDJ, p. 82, note 20.
12 EDJ, pp. 80-81.
13 More Stepping Stones to Jewish-Christian Relations. An Unabridged Collection of Christian Documents 1975-1983, Compiled by Helga Croner, Paulist Press, Mahwah, New York, 1985, p. 177. Cité ci-après : More Stepping Stones.
14 More Stepping Stones, pp. 207-208.
15 More Stepping Stones, p. 173.
16 More Stepping Stones, pp. 218-219.
17 Documentation Catholique, n° 1975, du 1er janvier 1989, pp. 39-44.
18 Documentation Catholique, n° 2129, du 7 janvier 1996, p. 45.
19 Texte cité d'après La Croix, du mercredi 1er octobre 1997. Voir aussi Los Muestros, décembre 1997, pp. 24-26.
20 Préface de Fr. Mauriac à l'ouvrage de Léon Poliakov, Bréviaire de la haine, Paris, 1951, p. 3 (ci après : Poliakov, Bréviaire).
21 Discours de Jean-Paul II aux participants à un Colloque sur les "racines de l'antijudaïsme en milieu chrétien", (Rome, 30 octobre - 1er novembre 1997). Texte dans Documentation Catholique, 7 décembre 1997, pp. 1003-1004.
22 Toutes les citations qui suivent sont extraites de la traduction française du document romain, parue sous le titre "Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah", dans la Documentation Catholique n° 2179, du 5 avril 1998. Pour chaque citation, il est fait mention du chapitre, de la page et de la colonne de la Documentation Catholique (= Shoah-DC), afférents au texte mentionné (exemple, pour la lettre de Jean-Paul II, qui figure en tête du document : Shoah-DC, I, p. 336, col. 1).
23 Shoah-DC, III, p. 338, col. 1. C'est moi qui souligne.
24 G. Lewy, L'Église catholique et l'Allemagne nazie, Stock, Paris, 1964, pp. 239-240. Cité, ci-après Lewy, Église. C'est moi qui souligne.
25 C'est moi qui souligne. On peut ajouter cette autre amabilité: "Les filles de Sion ont reçu leur acte de divorce, et depuis cette époque, Assuérus [nom mythique médiéval du juif errant] erre sur la face de la terre sans trouver le repos". Inutile d'insister sur le caractère antisémite de ces apostrophes, rhétoriquement adressées aux juifs du passé, mais qui n'en visent pas moins subtilement ceux du présent. Pour les amateurs de textes originaux, et faute d'avoir pu accéder à l'édition allemande de ces sermons, je crois utile de citer ici quelques extraits de la traduction anglaise des passages évoqués, d'après Judaism, Christianity and Germany. Advent Sermons preached in St. Michael's, Munich, in 1933, by His Eminence Cardinal Faulhaber, archbishop of Munich, London, 1934, pp. 4-5 (Ci-après : Faulhaber, Sermons) : "So that I may be perfectly clear and preclude any possible misunderstanding, let me begin by making three distinctions. We must first distinguish between the people of Israel before and after the death of Christ? It is only with this Israel of the early biblical period that I shall deal in my Advent sermons. After the death of Christ Israel was dismissed from the service of Revelation? The daughters of Sion received the bill of divorce, and from that time forth Assuerus wanders, for ever restless, over the face of the earth? I repeat - in these Advent sermons I am speaking only of pre-Christian Judaism." On ne peut être plus clair, en effet.
26 Lewy, Église, p. 240.
27 Il s'agit de Y. Congar, L'Église catholique devant la question raciale, publication de l'Unesco, Paris, 1953, p. 52. La phrase concernant Faulhaber est la suivante : "Décembre 1933 : sermons du cardinal Faulhaber stigmatisant la persécution contre les juifs". Elle figure dans un alinéa intitulé "L'Église face au racisme nazi et à l'antisémitisme moderne" (Ibid., p. 51). Dans le même ouvrage, Congar commet une autre erreur d'appréciation en décrivant (p. 54) le discours prononcé le 6 janvier 1939 par le cardinal Piazza, patriarche de Venise, comme "condamnant l'antisémitisme racial et justifiant l'Église dans son attitude envers les Juifs (Osservatore Romano du 19 janvier)". L'extrait de ce discours cité dans l'ouvrage de G. Passelecq et B. Suchecky, L'encyclique cachée de Pie XII. Une occasion manquée de l'Église face à l'antisémitisme, La Découverte, Paris, 1995, dément cruellement cette appréciation optimiste. Tout d'abord, s'il s'agit bien d'une réaction du cardinal aux lois antisémites et raciales promulguées en Italie entre l'automne et l'hiver 1938, ce n'est pas sur le sort des juifs que s'apitoie le patriarche, mais sur l'atteinte au Concordat entre le Saint-Siège et le gouvernement italien, que constitue la violation des dispositions canoniques concernant le mariage entre fidèles de religions différentes, découlant de l'obligation de divorcer, faite au catholique marié à un conjoint juif. De plus, après avoir évoqué expressément le "déicide", le cardinal répond, en termes extrêmement antijudaïques, aux catholiques qui reprochent à l'Église ce qu'ils considèrent comme l'abandon de son attitude traditionnelle de ségrégation sociale et religieuse concernant les juifs. Qu'on en juge (c'est moi qui souligne) : "Dire simplement que l'Église protège les juifs, c'est affirmer une chose qui n'est pas vraie; car l'Église, à proprement parler, ne protège, par mandat divin, que la liberté de sa mission universelle, qui est de communiquer à quiconque ses biens surnaturels? Il est bien vrai que (l'Église) dut, et non rarement, avec les moyens qu'elle avait à sa disposition, se défendre elle-même, ainsi que ses fidèles, contre de dangereux contacts et l'envahissement des Juifs, qui semble être, en vérité, la note héréditaire de ce peuple. Mais on doit aussi reconnaître, si l'on ne veut pas mentir, que dans les réactions provoquées trop souvent par l'arrogance juive, on peut avoir, de la part de l'Église, des suggestions et des exemples d'équilibre, de modération et de charité chrétienne." ? Notons qu'à l'époque, il y eut pire en matière de dérapages antisémites verbaux, de la part d'ecclésiastiques en vue. Témoin cette honteuse philippique du Père Gemelli - qui fut recteur de l'Université Catholique de Milan, de 1921 à 1959 -, citée par H. Fabre, L'Église catholique face au fascisme et au nazisme, éditions EPO, Bruxelles, 1994, p. 158 (note*) : "Un juif, professeur d'enseignement secondaire, grand philosophe, grand socialiste, Felice Momigliano, s'est suicidé. Les journalistes sans épine dorsale ont écrit des articles nécrologiques pleurnichards? Mais si avec le Positivisme, le Socialisme, la Libre Pensée et avec Momigliano pouvaient mourir tous les Juifs qui poursuivent l'oeuvre des Juifs qui ont crucifié Notre Seigneur, n'est-il pas vrai que le monde s'en trouverait mieux? Ce serait une libération encore plus complète si, avant de mourir, repentis, ils demandaient l'eau du Baptême." (C'est moi qui souligne).
28 Lewy, Église, p. 24, qui cite le Supplément du Amtsblatt (journal officiel diocésain) de Munich, du 15 novembre 1934. C'est moi qui souligne. Sur cet incident, voir également l'ouvrage récent de S. Friedländer, L'Allemagne nazie et les juifs. 1. Les années de persécution (1933-1939), Seuil, Paris, 1997, pp. 59-60 (ci-après : Friedländer, L'Allemagne).
29 J'émets ici le voeu que le Congrès Juif Mondial retrouve et rende public cet échange de correspondance, dont il doit bien exister une trace dans ses archives de l'époque. De tels documents présentent, en effet, un grand intérêt pour les historiens.
30 Faulhaber, Sermons, pp. 3-4 et 14. C'est moi qui souligne.
31 Cf. Id., Ibid., p. 107. C'est moi qui souligne. Je cite d'après la traduction, plus précise que celle de l'ouvrage de Lewy, de Ian Kershaw, L'opinion allemande sous le nazisme. Bavière 1933-1945, CNRS Éditions, Paris, 1995, p. 227.
32 Notons cependant que, dans le même passage de son sermon, le cardinal tempère cette concession de restrictions qui assignent des limites morales à la doctrine raciale, et entre autres, celles-ci : "? l'amour de notre propre race ne doit pas mener à la haine des autres nations? la culture de race ne doit pas adopter une attitude hostile au christianisme." Il récidive, dans un sermon prononcé le 31 décembre 1936 : "Le sang et la race? ont contribué à façonner l'histoire allemande" (cité par Lewy, L'Église, p. 147). Même idéologie, en termes plus forts, sous la plume de Mgr Gröber, archevêque de Fribourg : "Chaque peuple est en lui-même responsable de la réussite de son existence, et l'apport d'un sang totalement étranger représentera toujours un risque pour une nation qui a prouvé sa valeur historique. C'est pourquoi on ne peut refuser à aucun peuple le droit de maintenir impolluée (sic) son origine raciale, et de prendre des garanties dans ce but. La religion chrétienne demande simplement que les moyens utilisés ne pèchent pas contre la loi morale et la justice naturelle", article "Rasse", dans Gröber, Handbuch der religiösen Gegenwartsfragen (manuel d'instruction religieuse), p. 536, cité par Lewy, L'Église, p. 239.
33 Friedländer, L'Allemagne, p. 55, qui cite E. Klee, "Die SA Jesu Christi" : die Kirche in Banne Hitlers, Francfort, 1989, p. 30. C'est moi qui souligne.
34 Shoah-DC, IV, p. 338, col. 1-2.
35 Cf. Lewy, L'Église, p. 256. C'est moi qui souligne.
36 Et s'il subsiste encore un doute concernant le statut 'orthodoxe' dont jouissait ce qualificatif, dans la chrétienté d'alors, le texte suivant, qui figurait dans "La gazette du jour" du journal La Croix, du 29 août 1895, mettra les choses au point : "On devrait prier pour la conversion des juifs; voilà l'oeuvre antisémitique par excellence". Cité par P. Sorlin, "La Croix" et les Juifs (1880-1899), pp. 147-148. C'est à la lumière de textes comme celui-là qu'il faut comprendre la définition que donnait de lui-même ce quotidien catholique, à l'époque : "le journal le plus antijuif de France, celui qui porte le Christ, signe d'horreur aux Juifs", article "La Croix et les Juifs", La Croix, du 30 septembre 1890, cité Ibid., p. 95. C'est moi qui souligne. Signalons au passage la belle "déclaration de repentance" pour la ligne violemment antisémitique qui fut celle de ce journal, durant des décennies, au tournant du siècle, que constitue l'émouvant éditorial de son rédacteur en chef, le P. Michel Kubler, sous le titre "Nos Frères aînés", La Croix, 11-12 janvier 1998
37 Jacques Maritain, L'impossible antisémitisme. Précédé de Jacques Maritain et les Juifs, par Pierre Vidal-Naquet, Desclée de Brouwer, Paris, 1994, pp. 61 ss.
38 Aujourd'hui encore, ce texte est considéré comme exceptionnel dans l'?uvre de Maritain. L'explication généralement donnée pour en expliquer la violence antijuive, c'est que, tant sa forme que son fond sont ceux du Maritain "maurrassien", sympathisant de l'Action Française néo-monarchique et adversaire de la République laïque et anticléricale. Je pense, pour ma part, que ce qui est exceptionnel, c'est le fait que, par la suite, non seulement Maritain n'utilisera plus une telle phraséologie antisémite, mais il deviendra au contraire un ardent défenseur des juifs et l'un des principaux pionniers modernes de la redécouverte chrétienne du mystère d'Israël et de ses implications théologiques. L'illustre philosophe thomiste allait ainsi à contre-courant de l'intelligentsia catholique de son temps. En fait, les conceptions fortement dépréciatrices à l'égard des juifs, qui étaient encore les siennes en 1921, s'enracinaient dans une longue tradition d'antisémitisme chrétien et clérical, dont on trouve maintes traces ailleurs et qui remonte à Drumont, à ses précurseurs et à ses épigones. Drumont, surnommé "le pape de l'antisémitisme", est l'auteur, entre autres ouvrages, d'une pompeuse compilation de stéréotypes antisémites, érigée en Somme scientifique : La France juive. Publiée en 1886, cette oeuvre connut, durant plusieurs décennies, un immense succès populaire (plus de deux cents éditions), avant de tomber dans l'oubli. Voir : Michel Winock, Édouard Drumont et Cie. Antisémitisme et fascisme en France, Seuil, Paris, 1982. Sur les précurseurs catholiques de Drumont et sur l'impact des ouvrages de ce dernier sur les chrétiens, voir Pierre Pierrard, Juifs et catholiques français. D'Édouard Drumont à Jacob Kaplan : 1886-1994, Cerf, 19972, pp. 27 ss.
39 Par contre, il est légitime d'affirmer que l'antisémitisme (ou l'antijudaïsme) socio-culturel et religieux n'a rien à voir avec l'antisémitisme racial, et encore moins avec l'antisémitisme d'État des Nazis.
40 Shoah-DC, IV, p. 338, col. 1-2.
41 P.E. Lapide, Rome et les Juifs, Seuil, Paris, 1967, p. 270 (ci-après : Lapide, Rome).
42 Id., Ibid., note 1.
43 Curieusement, quelques années avant la parution de son ouvrage cité, le même Lapide était à la fois plus modeste dans son évaluation et moins exclusif dans son attribution de la paternité des sauvetages. Interviewé par Le Monde, du 13 décembre 1963, il déclarait, en effet : "Je peux affirmer que le pape personnellement, le Saint-Siège, les nonces et toute l'Église catholique ont sauvé de 150.000 à 400.000 Juifs d'une mort certaine." (cité par A. Curvers, Pie XII, le pape outragé, D.M.M., 1988, p. 44, c'est moi qui souligne). S'il faut en croire le député Maurice Edelman, qui rapporte ses propos, le pape lui-même était beaucoup plus modeste sur le nombre des sauvetages qu'il attribuait à son intervention personnelle, en confiant à son interlocuteur que "pendant la guerre, il avait secrètement donné au clergé catholique l'ordre de recueillir et de protéger les Juifs. Grâce à cette intervention - précisait Edelman -, des dizaines de milliers de Juifs ont été sauvés." (Gazette de Liège, du 23 janvier 1964, citée par le même Curvers, op. cit., p. 85). Admirons, au passage, 'l'élasticité' des chiffres : les "150.000 à 400.000" du Lapide du Monde de décembre 1963, devenus, on ne sait comment, "860.000" chez le Lapide de Rome et les Juifs de 1967, chutent soudain à quelques "dizaines de milliers" chez le Edelman de la Gazette de Liège de janvier 1964, pour remonter en flèche, jusqu'aux 850.000 du Pie XII du P. Blet de 1997 (voir ci-après)? Cette dernière 'statistique' fantaisiste et la floraison de louanges et de justifications de Pie XII, dans laquelle elle est comme enchâssée, sont devenues la 'Vulgate' de toute relecture apologétique des Actes de ce pape en faveur des juifs, durant la Seconde Guerre mondiale. Et de fait, outre l'évocation explicite qui en est faite, dans le récent document vatican, sous la forme d'une attribution à ce pape du sauvetage de "centaines de milliers de vies juives", on la retrouve dans le livre de vulgarisation que vient de publier l'unique survivant des quatre compilateurs des douze volumes d'archives vaticanes ayant trait à l'attitude du Saint -Siège durant la guerre: P. Blet, Pie XII et la Seconde Guerre mondiale d'après les archives du Vatican, Perrin, Paris, 1998, pp. 322-323. Voici en quels termes ce religieux contribue, plus encore que les auteurs qui l'ont précédé, à accréditer et à faire connaître urbi et orbi la 'statistique' maximalisante de Lapide, non sans en laisser habilement l'entière responsabilité à "l'historien israélien" : "Tandis que le pape donnait en public l'apparence du silence, sa Secrétairerie d'État harcelait nonces et délégués apostoliques en Slovaquie, en Croatie, en Roumanie, en Hongrie, leur prescrivant d'intervenir près des gouvernants et près des épiscopats afin de susciter une action de secours dont l'efficacité fut reconnue, à l'époque, par les remerciements réitérés des organisations juives et dont un historien israélien, Pinchas Lapide, n'a pas craint d'évaluer le nombre à 850.000 personnes sauvées." (C'est moi qui souligne). Tout le monde peut se tromper, bien sûr. Mais ce qui ne trompe pas, par contre, c'est le caractère navrant de cette algèbre de l'apologie rétrospective, qui s'efforce, par tous les moyens, d'étendre le manteau de Noé sur un silence papal face à l'horreur de la Shoah, considéré depuis comme indécent par des millions de personnes et des dizaines d'historiens. Et s'il n'est pas question de juger, et encore moins de condamner, à près de soixante années de distance, les motifs profonds - dont d'ailleurs nous ignorons tout - du choix de se taire qu'a cru devoir faire Pie XII, en son âme et conscience, il n'est pas davantage question de passer sous silence l'ncroyable 'révision' de l'Histoire, que constitue l'attribution à Pie XII du sauvetage de "centaines de milliers de vies juives" - qui, en définitive, n'ont dû leur survie qu'à la cessation des hostilités -, pour en créditer Pie XII, au motif que, dans le courant de l'année 1944, "sa Secrétairerie d'État harcelait nonces et délégués apostoliques" des pays en conflit, "afin de susciter une action de secours" (cf. Blet, cité plus haut). Un tel procédé, on en conviendra, relève davantage de la légende dorée ou des Fioretti que de l'Histoire. À ce titre, il n'aurait pas dû trouver place dans un document censé exprimer une démarche de pardon et de conversion (teshuvah), et destiné à être lu par les chrétiens du monde entier.
44 Shoah-DC, note 16, p. 340, col. 2.
45 Je fais allusion à la pièce de théâtre mettant en scène l'oeuvre de Rolf Hochhuth, Le Vicaire, qui déclencha de véritables émeutes dans certains milieux catholiques. Il existe des dizaines d'ouvrages traitant des thèses de l'écrivain allemand. État de la question dans J. Nobecourt, Le Vicaire et l'Histoire, Seuil, Paris, 1973.
46 Shoah-DC, note 16, p. 340, col. 2. J'ai souligné la phrase-clé, dont il sera question plus loin.
47 Lapide, Rome, pp. 285-286. Le soulignement est de Lapide lui-même.
48 P. Blet, "La leggenda alla prova degli archivi. Le ricorrenti accuse contro Pio XII" (la légende à l'épreuve des archives. Les accusations récurrentes contre Pie XII), Civiltà Cattolica, I, 1998, pp. 531, qui cite la fin du message télégraphié par Golda Meïr, qui était alors Ministre des Affaires étrangères de l'État d'Israël, reproduit dans L'Osservatore Romano, du 9 octobre 1958 : "La vita del nostro tempo è stata arrichita da una voce che esprimeva le grandi verità morali al di sopra del tumulto dei conflitti quotidiani. Noi piangiamo un grande servitore."
49 À l'inverse, l'éditorial de la Civiltà Cattolica II 1998, p. 9 (anonyme comme c'est l'usage de cette revue, censée refléter les vues de la puissante Secrétairerie d'État du Vatican), ne cite, lui, que cette phrase, en ces termes : "Ricorda anche che, nel 1958, alla morte di Pio XII, Golda Meir affermò, in un messagio, che quando 'il terribile martirio si abbaté sul nostro popolo, la voce del Papa si elevò per le sue vittime'". C'est moi qui souligne.
50 Procédé qui rappelle, en sens inverse, celui des détracteurs des juifs, qui reprennent à notre encontre, avec une délectation évidente, toute médisance ou calomnie, considérées par eux comme irréfutables dès là qu'elles ont été émises par un de nos coreligionnaires, sans se préoccuper de connaître la conception du monde de ce juif-là, ni les motivations idéologiques, sociologiques, politiques, psychologiques (si ce n'est psychotiques) plus ou moins conscientes, qui dictent son entreprise de dénigrement de ceux de sa race. Parmi les meilleurs pourvoyeurs juifs de munitions antisémites, on peut citer Marx et Bernard Lazare. Concernant ce dernier, voir, entre autres : B. Lazare, L'antisémitisme, son histoire et ses causes, réédition 1969, dans Documents et Témoignages; et Jean-Denis Bredin, Bernard Lazare. De l'anarchiste au prophète, De Fallois, Paris, 1992. Pour en revenir à l'utilisation, par les apologètes de l'Église et du christianisme, de tout témoignage juif de nature à conforter 'l'Histoire Sainte' qu'ils passent leur vie à documenter, je conseillerais aux jeunes doctorands en mal de thèse d'histoire contemporaine de l'Église, de s'intéresser tout particulièrement au cas de Pinhas E. Lapide, habituellement présenté - on l'a vu -comme "historien israélien". En effet, son livre le plus connu, Rome et les Juifs (original anglais : The last three Popes and the Jews), constitue, à ma connaissance, un cas aigu et probablement unique en son genre, de parti pris juif inconditionnel en faveur de Pie XII. Pour illustrer ce jugement, je me limiterai à un seul exemple. Après un très long chapitre, intitulé "Ce que Pie XII a fait pour les Juifs" (pp. 171-287), suit un autre, de dimensions beaucoup plus modestes (pp. 287-307), intitulé "Ce que Pie XII n'a pas fait". Sur la foi de ce titre, et malgré les quelques cent vingt pages d'apologie papale qui précèdent, on se fût attendu à lire au moins une ou deux critiques mesurées, ou quelque aveu - même mitigé de réticences - selon lequel, bien qu'il n'y ait pas de raison de douter que Pie XII a agi en toute bonne foi, son silence, à tout le moins, pouvait prêter le flanc à la critique. Mais on ne trouve rien de tel. Si ces vingt pages évoquent bien le "silence" du pape d'alors, c'est pour l'en laver aussitôt sous un déluge de justifications recueillies de la bouche ou dans les témoignages écrits des seuls témoins de la défense de la mémoire pontificale. Quant aux rares témoins à charge cités à comparaître, c'est tout juste s'ils ont droit à quelques mots. À peine monté en ligne, leur témoignage est pris sous le feu roulant de pièces d'une artillerie lourde, servie par de prestigieux canonniers et abondamment fournie en munitions apologétiques de gros calibre. De ce procès gagné d'avance, la mémoire du pontife romain sort, non seulement lavée, mais grandie, canonisée en quelque sorte. Quant aux détracteurs, il ne leur reste qu'à retourner à leur amertume de Galilée de l'historiographie contemporaine, en murmurant leur "Eppure, se muove!" impuissant. C'est ainsi que certains réécrivent l'Histoire pour la rendre conforme à l'image idéalisée qu'ils s'en sont faite, comme l'orphelin, l'abandonné, ou le mal aimé se racontent l'amour d'un père imaginaire, pour ne pas pleurer de désespoir face au silence de l'absent.
51 Une vérification que j'ai pu effectuer sur L'Osservatore Romano du 9 octobre 1958 confirme l'exactitude du texte du télégramme de Madame Goldda Meïr tel qu'il est rapporté par E. LAPIDE (voit ci-dessus, p. 21, 3ème colonne et n.47). Ceci étant, il ne faudrait pas majorer l'importance des propos de l'ex-ministre des Affaires étrangères d'Israël. Elle ne faisait que reprendre à son compte sans l'avoir vérifiée auprès d'historiens spécialisés de cette période par d'autres personnalités juives, tel P.E. Lapide, par exemple. Et il va de soit qu'une telle affirmation n'a aucune valeur probante , au plan historique, mais ressortit au vaste domaine de l'opinion.
52 Jean d'Hospital, Rome en confidence, Grasset, Paris, 1962, pp. 91-92.
53 Texte cité par Marc Saperstein, Juifs et chrétiens : moments de crise, Cerf, Paris, 1991, p. 123, note 23.
54 CIP, Agence de Presse catholique, Bruxelles, bulletin du 26 mars 1998, p. 11. Extrait d'une interview du P. Cottier dans L'Avvenire, quotidien catholique italien.
55 Texte cité d'après CIP, du 26 mars 1998, p. 15.
56 Cité par L. Poliakov, Bréviaire de la haine, Paris, 1951, p. 353. C'est moi qui souligne.
57 C'est le lieu de rappeler quelques textes qui sont restés classiques (c'est moi qui souligne) :
- "J'ai longtemps attendu, pendant ces années épouvantables qu'une grande voix s'élevât à Rome. Moi, incroyant? Justement. Car je savais que l'esprit se perdrait s'il ne poussait pas devant la force le cri de la condamnation. Il paraît que la voix s'est élevée. Mais je vous jure que des millions d'hommes avec moi ne l'avons pas entendue et qu'il y avait alors dans tous les coeurs, croyants ou incroyants, une solitude qui n'a pas cessé de s'étendre à mesure que les jours passaient et que les bourreaux se multipliaient." (Albert Camus, cité par H. Fabre, op. cit., p. 430).
- "Mais ce bréviaire (il s'agit du Bréviaire de la haine, de Poliakov) a été écrit pour nous aussi Français, dont l'antisémitisme traditionnel a survécu à ces excès d'horreur dans lesquels Vichy a eu sa timide et ignoble part - pour nous surtout, catholiques français, qui devons certes à l'héroïsme et à la charité de tant d'évêques, de prêtres et de religieux à l'égard des Juifs traqués, d'avoir sauvé notre honneur, mais qui n'avons pas eu la consolation d'entendre le successeur du Galiléen, Simon-Pierre, condamner clairement, nettement et non par des allusions diplomatiques, la mise en croix de ces innombrables 'frères du Seigneur'. Au vénérable cardinal Suhard qui a d'ailleurs tant fait dans l'ombre pour eux, je demandai un jour, pendant l'occupation : 'Éminence, ordonnez-nous de prier pour les Juifs?', il leva les bras au ciel : nul doute que l'occupant n'ait eu des moyens de pression irrésistibles, et que le silence du pape et de la hiérarchie n'ait été un affreux devoir; il s'agissait d'éviter de pires malheurs. Il reste qu'un crime de cette envergure retombe pour une part non médiocre sur tous les témoins qui n'ont pas crié et quelles qu'aient été les raisons de leur silence." (F. Mauriac, Préface à l'ouvrage de Poliakov, Bréviaire, p. X).
- "Le jugement rétrospectif de l'Histoire autorise parfaitement l'opinion que Pie XII aurait dû protester plus fermement. On n'a cependant pas le droit de mettre en doute l'absolue sincérité de ses motifs, ni l'authenticité de ses raisons profondes." (Cardinal Döpfner, dans un sermon prononcé en 1964, cité par Léon Papeleux, Les silences de Pie XII, éditions Vokaer, Bruxelles, 1980, p. 168).
Menahem R. Macina est titulaire d'une licence et d'un diplôme d'Etudes avancées en Histoire de la Pensée juive, de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Il s'est spécialisé dans l'étude des rapports entre les Chrétiens et les Juifs du 1er au 4ème siècle de notre ère. Il enseigne l'Histoire du Judaïsme à la Faculté Libre d'Histoire de Lille. Il dirige un séminaire annuel d'Histoire des relations entre Juifs et Chrétiens, à l'Université Catholique de Louvain.
Il est l'auteur d'une centaine d'articles, d'une monographie et de deux ouvrages (à paraître en 1998 et 1999). Il achève un doctorat en Histoire des Civilisations médiévales à l'Université Catholique de Louvain.
- Copyright © 1997 Moïse Rahmani <mrahmani.ise@skynet.be> -
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire