Notre premier
devoir, vis-à-vis de nous-mêmes et eu égard à ce que nous avons reçu de tant de
siècles et de tant de nobles devanciers, est évidemment de nous gouverner
correctement, ce qui nous amènera à réapprendre le débat et le respect mutuel.
Manifestement, nous ne savons plus nous gouverner, ce qui – pris au sens
littéral – explique bien que nous ne puissions aujourd’hui nous orienter
vraiment.
L’Allemagne
d’aujourd’hui qui pleure Walter Scheel – chef d’orchestre et ministre des
Affaires étrangères de Willy Brandt, avant d’être élu au scrutin parlementaire
président de la République fédérale – sait se gouverner. Son président sortant,
rééligible selon la Loi fondamentale, ne se représente pas, alors qu’il est
plébiscité. Nos présidents sortants, celui de 2012, et celui de 2017, sont
honnis mais ils se représentent. Nous ne savons pas débattre. Une loi d’origine
inconnue, de rédaction initiale qui ne fut pas de la ministre signataire, est
quasiment interdite de débat par la mise en œuvre de l’article 49-3 de notre
Constitution dès la seconde séance d’examen et imposée à chacune des chambres
de notre Parlement, à l’ensemble des partis politiques, qui réclament ou plus
ou moins, et à la rue qui s’établit place de la République à Paris. Ce n’est
qu’un exemple. Une refonte de l’assemblage des départements en régions se
décide à trois ou quatre, un lundi soir, dans le bureau présidentiel et ne
donne lieu à aucune consultation directe ni des populations ni des élus locaux.
Les promesses ou ce qu’il y a d’implicitement cru d’un candidat pour qu’il soit
élu, ne sont pas tenues : le pacte budgétaire ne devait pas être ratifié
sans complète re-négociation et le soir-même de sa prise de fonction l’élu de
2012 est à Berlin pour l’accepter tel que et donc encadrer ne varietur toute la
dépense publique pendant des années, au moins la durée de son mandat tandis que
la censure votée par le nouveau président car il représentait l’opposition à
notre réintégration dans l’organisation intégrée de l’Alliance atlantique, fait
de son prédécesseur et salué par aucun de nos partenaires, n’a pas inspiré ou
un nouveau retrait ou des propositions de complète refonte de l’O.T.A.N..
Surtout, nos
partis politiques ne savent pas s’accorder ; la coalition gouvernementale,
l’union nationale nous sont inconnues depuis des décennies et elles ne
sauraient être le débauchage de quelques notoriétés du camp d’en-face.
L’Allemagne au contraire connaît la formule en cas de perplexité nationale ou
d’une composition du Bundestag telle qu’il faudrait pour y tenir tous moyens de
notre propre Constitution. Pour renverser Ludwig Erhard, populaire tant qu’il
ne fut pas chancelier et inquiétant par son dédain de l’entente avec la France
nouée par le fondateur du pays après la capitulation nazie, la « grande
coalition » se constitua en Décembre 1966 et valut jusqu’en Octobre 1969.
Elle fait actuellement fonctionner le pays, elle a pour conséquence que le
gouvernement fédéral délibère sincèrement, et que le Chancelier ou la
Chancelière n’engage le pays qu’après consultation de son collège, celui de ses
ministres issus des deux principaux partis et ceux-ci se sont d’abord accordés
sur un programme, dont la négociation a pu requérir plusieurs jours ou
semaines, au lieu que chez nous, le gouvernement dans les vingt-quatre heures
de l’inauguration du nouveau mandat est formé « au doigt mouillé » et
au point que parfois, quoiqu’il y ait pléthore de portefeuilles, presque
davantage que d’administrations dites centrales à Paris, certains domaines sont
oubliés. Ainsi, la santé en Mars 1986 quand Jacques Chirac répond, penaud, à la
profession en nommant sa neuro-psychiâtre. L’Allemagne a pour régime une
République fédérale dans laquelle la seconde chambre représente les Länder et
ceux-ci jouissent d’une complète indépendance de gestion. Nous ne sommes pas
ainsi car ce n’est pas l’addition de nos provinces qui a fait la France et son
Etat, mais l’Etat voulu et organisé par nos rois qui a constitué notre nation.
A défaut de
ceux-ci, nous avons spontanément chargé des affaires publiques nationales une
commission parlementaire, ce furent le Comité de salut public, au renversement
de notre millénaire monarchie capétienne, issu de la majorité à la Convention,
puis les gouvernements des Troisième et Quatrième Républiques formés au sein de
la Chambre des Députés et du Sénat : c’est la pratique du gouvernement
représentatif qui peut être heureuse. Il a répondu de la paix civile malgré
tous les présages d’une restauration monarchique, malgré l’affaire Dreyfus,
malgré la séparation de l’Eglise et de l’Etat, puis dirigé le pays vers une
victoire, la plus belle que la « revanche ». Ensuite, impuissant
quoique de très bonne volonté jusqu’au désastre de 1940 et à la révolte de
l’outre-mer en 1958. Notre régime a été voulu comme une démocratie directe. Le
président de la République a tous les moyens pour arbitrer entre les pouvoirs
publics, maintenir ou renvoyer le gouvernement, obliger le Parlement à
respecter des ministres qui ne dépendent plus de lui et peuvent être recrutés
en dehors de lui. L’invention référendaire – après les tâtonnements de la
Convention et la ratification des faits accomplis par les Bonaparte – avait été
pourtant celle de Napoléon III : la Constitution du 21 Mai 1870 disposait
que l’Empereur peut toujours faire appel au peuple et que s’il n’a pas de
descendance mâle, ce sera ce peuple qui élira le successeur, le nouvel
Empereur. Les referendums de 1958, de 1961 et de 1962, la pratique surtout du
général de Gaulle mettant en jeu son mandat à chaque élection de l’Assemblée
nationale auraient dû établir définitivement chez nous cette forme de la
démocratie. Plus de quatre-vingt-ans de régime d’assemblée ne nous y avaient
pas habitués et le débat au début de notre Cinquième République ne fut pas du
tout entre une droite et une gauche, que dans sa personne et selon son action
tant pendant la guerre que dès son retour au pouvoir, l’homme du 18-Juin
fusionnait. Il fut pour ou contre le nouveau régime, alors même que celui-ci
combinait une monarchie élective selon les services rendus par le candidat avec
toutes les procédures de responsabilités gouvernementales devant l’Assemblée
nationale, à telle enseigne qu’était empêchée, sauf consentement des députés,
les anciennes pratiques du décret-loi substituant les ministres aux élus.
L’évolution fut d’abord heureuse par une entente – non dite ni négociée – entre
des personnalités plus que des partis. Le général de Gaulle accepta d’être
« Monsieur X » jusqu’à un mois du premier tour de Décembre 1965,
laissant d’ailleurs planer deux successions très différentes, celle
qu’assumerait le Premier ministre en place (Georges Pompidou, tenu dans la même
ignorance que tous les Français, des intentions et de la délibération du
Général), ou celle ouvrant tant de voies que représenterait le chef de la
Maison de France, le comte de Paris… et dans la semaine où il définissait comme
jamais la fonction présidentielle, absolument royale, Gaston Defferre relevait
le gant, se portait candidat selon la nouvelle procédure de l’élection directe
abhorrée par les partis de la République précédente. Une partie de l’opposition
au régime avait rendu les armes. Il y eut mieux, cette élection de 1965, au
cours de laquelle l’homme du 18-Juin subit sa première mise en minorité dans le
pays (le ballottage au premier tour) et fut certainement diminué, désacralisé
dans l’esprit de bien des Français apprenant par lui, mais à ses seuls dépens,
ce qu’est la démocratie, conféra à l’inverse une légitimité au principal de ses
adversaires : François Mitterrand, telle que celui-ci, malgré ses erreurs
d’appréciation en Mai 1968, s’imposa non seulement pour construire une gauche
moderne et pourtant très fidèle à des racines plus que séculaires, mais surtout
maintenir la distinction, la majesté et la puissance arbitrale de la fonction
présidentielle. Les deux fondations de notre République, après celle de son
écriture constitutionnelle en 1958, sont la démission du président sans aller
au terme régulier de son mandat parce que le referendum proposé fut négatif,
celui d’Avril 1969, et l’alternance au pouvoir établie par la victoire de la
gauche en Mai 1981.
Pendant plus
de quarante ans, l’évolution de nos institutions fut donc respectueuse de la
fondation et en tira même le parti d’un nouvel agencement des familles
politiques françaises (un clivage droite/gauche inconnu sous de Gaulle détesté
à droite et si souvent compris à mi-mots
à gauche). Les successeurs du général de Gaulle, placés par les chroniqueurs
plus nettement que par les Français devant le dilemme : que faire si une
Assemblée nationale nouvellement élue, leur était hostile en majorité ?
avaient répondu dans l’embarras : Georges Pompidou, qu’on ne compte pas
sur lui pour renier ce à quoi il avait toujours cru, et Valéry Giscard
d’Estaing par un aveu d’impuissance et un projet de se retirer à Rambouillet,
propriété présidentielle. François Mitterrand sans forcer aucune des
dispositions de la Constitution, répondit en restant en fonctions, en exerçant
strictement et souverainement chacune des prérogatives présidentielles qui ne
dépendent pas d’un vote parlementaire et en remportant l’élection suivante. La
jurisprudence fut reconnue et appliquée par celui qui en avait d’abord connu
les frais, et devint par la suite, lui aussi, président de la République :
Jacques Chirac. Mais celui-ci, comme Georges Pompidou en 1973, crut sa propre
réélection plus aisée si le mandat à renouveler serait plus bref : le
quinquennat, surtout assorti d’une « inversion » des calendriers en
2002, les législatives succédant à la consultation présidentielle, au lieu de
la précéder comme cela devait être en comptant strictement mes années et mois
du mandat de l’Assemblée élue en 1997, a complètement dénaturé nos institutions.
Elles sont désormais figées, et notre vie nationale en même temps quelles et
dans la même proportion. Les parlementaires n’ont plus prise sur le
gouvernement parce qu’ils sont de même mouvance et parti. Si le président de la
République a droit à l’infidélité sans risque que de n’être pas réélu, les
députés en revanche n’ont pas droit à la révolte ni même au rappel du pacte
initial. Jacques Chirac fit pire que Georges Pompidou empêché de réaliser son
intention : il se maintint alors qu’ayant, de sa seule initiative, sous
une seule signature, la sienne, dissout l’Assemblée nationale en 1997 et mis au
referendum en 2005 le projet de Constitution pour l’Europe, il était désavoué
par le peuple et mis en minorité. La jurisprudence fondatrice de la
responsabilité populaire du président de la République, seule de nature à
légitimer de si importantes prérogatives, a été oubliée, méprisée par le même
personnage public. C’est impardonnable. Il en est logiqement résulté la
désaffection de nos institutions dans l’opinion publique nationale, et des
institutions rigides, pratiquées sans démocratie, sont inefficaces. Même si
l’Etat n’était pas depuis deux décennies progressivement dépouillé de ses
fonctions souveraines ou patrimoniales, le mandat électif de le conduire perd
presque tous ses moyens et son sens. C’est ce qui enferme aujourd’hui la
« course à l’Elysée » dans une petite corporation d’acteurs
professionnels, pas très bien formés au discours ni au geste publics, donc très
loin du parterre et du peuple. La démocratie est devenue artificielle, les
rites et commémorations de nos grands anniversaires nationaux et du scrutin le
plus important n’attirent et ne convainquent plus personne que les candidats,
chacun pour son compte. Et l’exemple français, si je puis écrire ainsi,
détermine une rigidité du même genre dans le fonctionnement des institutions européennes,
aussi éloignées de leurs ressortissants, les citoyens du Vieux Monde.
Qu’en
pensez-vous ?
D’autant que
c’est la démocratie qui garantit la sincérité et la pérennité de la République.
Et sans la culture, l’esprit approfondi, propres à chacun de nous, du bien
commun, qu’est donc notre nation ? puisqu’elle est substantiellement,
ethniquement composite depuis toujours : au moins depuis la reddition
d’Alesia par Vercingétorix jusqu’aux conséquences spirituelles, démographiques,
migratoires de nos victoires ou conquêtes en Europe puis d’une colonisation se
justifiant par l’intrusion de valeurs humanistes. Or, nous doutons de la
République, et nous doutons de notre consistance populaire. De quoi ne
doutons-nous pas dans notre vie ensemble et parce qu’ensemble ?
Vos réponses
sont audibles, visibles et mesurables. Après avoir félicité certains de nos
dirigeants politiques et mis en évidence la responsabilité de quelques autres
dans nos dévoiements actuels, examinons ces réponses. Aucune n’a été contrainte
depuis les mûtineries de la Grande Guerre. Réduire celles-ci par la
considération de ce que souffraient nos ascendants dans un conflit dont la fin
ne se discernait plus a, plus que la victoire de Verdun, l’emprise longtemps de
Philippe Pétain sur l’esprit national. Grèves, contestations, émergences de
nouveaux mouvements organisés en dehors des partis ont été les manifestations
suscitée par des temps d’une paix qui n’était pas sociale. Aucune n’a été
inutile. Et je les crois toutes non seulement compréhensibles, mais légitimes.
samedi 27 Août 2016 . Reniac à ma table de
travail,
de 13 heures 41 … 14 heures 38 à 16 heures 12
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire