samedi 27 août 2016

rédaction suite




Notre premier devoir, vis-à-vis de nous-mêmes et eu égard à ce que nous avons reçu de tant de siècles et de tant de nobles devanciers, est évidemment de nous gouverner correctement, ce qui nous amènera à réapprendre le débat et le respect mutuel. Manifestement, nous ne savons plus nous gouverner, ce qui – pris au sens littéral – explique bien que nous ne puissions aujourd’hui nous orienter vraiment.

L’Allemagne d’aujourd’hui qui pleure Walter Scheel – chef d’orchestre et ministre des Affaires étrangères de Willy Brandt, avant d’être élu au scrutin parlementaire président de la République fédérale – sait se gouverner. Son président sortant, rééligible selon la Loi fondamentale, ne se représente pas, alors qu’il est plébiscité. Nos présidents sortants, celui de 2012, et celui de 2017, sont honnis mais ils se représentent. Nous ne savons pas débattre. Une loi d’origine inconnue, de rédaction initiale qui ne fut pas de la ministre signataire, est quasiment interdite de débat par la mise en œuvre de l’article 49-3 de notre Constitution dès la seconde séance d’examen et imposée à chacune des chambres de notre Parlement, à l’ensemble des partis politiques, qui réclament ou plus ou moins, et à la rue qui s’établit place de la République à Paris. Ce n’est qu’un exemple. Une refonte de l’assemblage des départements en régions se décide à trois ou quatre, un lundi soir, dans le bureau présidentiel et ne donne lieu à aucune consultation directe ni des populations ni des élus locaux. Les promesses ou ce qu’il y a d’implicitement cru d’un candidat pour qu’il soit élu, ne sont pas tenues : le pacte budgétaire ne devait pas être ratifié sans complète re-négociation et le soir-même de sa prise de fonction l’élu de 2012 est à Berlin pour l’accepter tel que et donc encadrer ne varietur toute la dépense publique pendant des années, au moins la durée de son mandat tandis que la censure votée par le nouveau président car il représentait l’opposition à notre réintégration dans l’organisation intégrée de l’Alliance atlantique, fait de son prédécesseur et salué par aucun de nos partenaires, n’a pas inspiré ou un nouveau retrait ou des propositions de complète refonte de l’O.T.A.N..

Surtout, nos partis politiques ne savent pas s’accorder ; la coalition gouvernementale, l’union nationale nous sont inconnues depuis des décennies et elles ne sauraient être le débauchage de quelques notoriétés du camp d’en-face. L’Allemagne au contraire connaît la formule en cas de perplexité nationale ou d’une composition du Bundestag telle qu’il faudrait pour y tenir tous moyens de notre propre Constitution. Pour renverser Ludwig Erhard, populaire tant qu’il ne fut pas chancelier et inquiétant par son dédain de l’entente avec la France nouée par le fondateur du pays après la capitulation nazie, la « grande coalition » se constitua en Décembre 1966 et valut jusqu’en Octobre 1969. Elle fait actuellement fonctionner le pays, elle a pour conséquence que le gouvernement fédéral délibère sincèrement, et que le Chancelier ou la Chancelière n’engage le pays qu’après consultation de son collège, celui de ses ministres issus des deux principaux partis et ceux-ci se sont d’abord accordés sur un programme, dont la négociation a pu requérir plusieurs jours ou semaines, au lieu que chez nous, le gouvernement dans les vingt-quatre heures de l’inauguration du nouveau mandat est formé « au doigt mouillé » et au point que parfois, quoiqu’il y ait pléthore de portefeuilles, presque davantage que d’administrations dites centrales à Paris, certains domaines sont oubliés. Ainsi, la santé en Mars 1986 quand Jacques Chirac répond, penaud, à la profession en nommant sa neuro-psychiâtre. L’Allemagne a pour régime une République fédérale dans laquelle la seconde chambre représente les Länder et ceux-ci jouissent d’une complète indépendance de gestion. Nous ne sommes pas ainsi car ce n’est pas l’addition de nos provinces qui a fait la France et son Etat, mais l’Etat voulu et organisé par nos rois qui a constitué notre nation.
A défaut de ceux-ci, nous avons spontanément chargé des affaires publiques nationales une commission parlementaire, ce furent le Comité de salut public, au renversement de notre millénaire monarchie capétienne, issu de la majorité à la Convention, puis les gouvernements des Troisième et Quatrième Républiques formés au sein de la Chambre des Députés et du Sénat : c’est la pratique du gouvernement représentatif qui peut être heureuse. Il a répondu de la paix civile malgré tous les présages d’une restauration monarchique, malgré l’affaire Dreyfus, malgré la séparation de l’Eglise et de l’Etat, puis dirigé le pays vers une victoire, la plus belle que la « revanche ». Ensuite, impuissant quoique de très bonne volonté jusqu’au désastre de 1940 et à la révolte de l’outre-mer en 1958. Notre régime a été voulu comme une démocratie directe. Le président de la République a tous les moyens pour arbitrer entre les pouvoirs publics, maintenir ou renvoyer le gouvernement, obliger le Parlement à respecter des ministres qui ne dépendent plus de lui et peuvent être recrutés en dehors de lui. L’invention référendaire – après les tâtonnements de la Convention et la ratification des faits accomplis par les Bonaparte – avait été pourtant celle de Napoléon III : la Constitution du 21 Mai 1870 disposait que l’Empereur peut toujours faire appel au peuple et que s’il n’a pas de descendance mâle, ce sera ce peuple qui élira le successeur, le nouvel Empereur. Les referendums de 1958, de 1961 et de 1962, la pratique surtout du général de Gaulle mettant en jeu son mandat à chaque élection de l’Assemblée nationale auraient dû établir définitivement chez nous cette forme de la démocratie. Plus de quatre-vingt-ans de régime d’assemblée ne nous y avaient pas habitués et le débat au début de notre Cinquième République ne fut pas du tout entre une droite et une gauche, que dans sa personne et selon son action tant pendant la guerre que dès son retour au pouvoir, l’homme du 18-Juin fusionnait. Il fut pour ou contre le nouveau régime, alors même que celui-ci combinait une monarchie élective selon les services rendus par le candidat avec toutes les procédures de responsabilités gouvernementales devant l’Assemblée nationale, à telle enseigne qu’était empêchée, sauf consentement des députés, les anciennes pratiques du décret-loi substituant les ministres aux élus. L’évolution fut d’abord heureuse par une entente – non dite ni négociée – entre des personnalités plus que des partis. Le général de Gaulle accepta d’être « Monsieur X » jusqu’à un mois du premier tour de Décembre 1965, laissant d’ailleurs planer deux successions très différentes, celle qu’assumerait le Premier ministre en place (Georges Pompidou, tenu dans la même ignorance que tous les Français, des intentions et de la délibération du Général), ou celle ouvrant tant de voies que représenterait le chef de la Maison de France, le comte de Paris… et dans la semaine où il définissait comme jamais la fonction présidentielle, absolument royale, Gaston Defferre relevait le gant, se portait candidat selon la nouvelle procédure de l’élection directe abhorrée par les partis de la République précédente. Une partie de l’opposition au régime avait rendu les armes. Il y eut mieux, cette élection de 1965, au cours de laquelle l’homme du 18-Juin subit sa première mise en minorité dans le pays (le ballottage au premier tour) et fut certainement diminué, désacralisé dans l’esprit de bien des Français apprenant par lui, mais à ses seuls dépens, ce qu’est la démocratie, conféra à l’inverse une légitimité au principal de ses adversaires : François Mitterrand, telle que celui-ci, malgré ses erreurs d’appréciation en Mai 1968, s’imposa non seulement pour construire une gauche moderne et pourtant très fidèle à des racines plus que séculaires, mais surtout maintenir la distinction, la majesté et la puissance arbitrale de la fonction présidentielle. Les deux fondations de notre République, après celle de son écriture constitutionnelle en 1958, sont la démission du président sans aller au terme régulier de son mandat parce que le referendum proposé fut négatif, celui d’Avril 1969, et l’alternance au pouvoir établie par la victoire de la gauche en Mai 1981.

Pendant plus de quarante ans, l’évolution de nos institutions fut donc respectueuse de la fondation et en tira même le parti d’un nouvel agencement des familles politiques françaises (un clivage droite/gauche inconnu sous de Gaulle détesté à droite  et si souvent compris à mi-mots à gauche). Les successeurs du général de Gaulle, placés par les chroniqueurs plus nettement que par les Français devant le dilemme : que faire si une Assemblée nationale nouvellement élue, leur était hostile en majorité ? avaient répondu dans l’embarras : Georges Pompidou, qu’on ne compte pas sur lui pour renier ce à quoi il avait toujours cru, et Valéry Giscard d’Estaing par un aveu d’impuissance et un projet de se retirer à Rambouillet, propriété présidentielle. François Mitterrand sans forcer aucune des dispositions de la Constitution, répondit en restant en fonctions, en exerçant strictement et souverainement chacune des prérogatives présidentielles qui ne dépendent pas d’un vote parlementaire et en remportant l’élection suivante. La jurisprudence fut reconnue et appliquée par celui qui en avait d’abord connu les frais, et devint par la suite, lui aussi, président de la République : Jacques Chirac. Mais celui-ci, comme Georges Pompidou en 1973, crut sa propre réélection plus aisée si le mandat à renouveler serait plus bref : le quinquennat, surtout assorti d’une « inversion » des calendriers en 2002, les législatives succédant à la consultation présidentielle, au lieu de la précéder comme cela devait être en comptant strictement mes années et mois du mandat de l’Assemblée élue en 1997, a complètement dénaturé nos institutions. Elles sont désormais figées, et notre vie nationale en même temps quelles et dans la même proportion. Les parlementaires n’ont plus prise sur le gouvernement parce qu’ils sont de même mouvance et parti. Si le président de la République a droit à l’infidélité sans risque que de n’être pas réélu, les députés en revanche n’ont pas droit à la révolte ni même au rappel du pacte initial. Jacques Chirac fit pire que Georges Pompidou empêché de réaliser son intention : il se maintint alors qu’ayant, de sa seule initiative, sous une seule signature, la sienne, dissout l’Assemblée nationale en 1997 et mis au referendum en 2005 le projet de Constitution pour l’Europe, il était désavoué par le peuple et mis en minorité. La jurisprudence fondatrice de la responsabilité populaire du président de la République, seule de nature à légitimer de si importantes prérogatives, a été oubliée, méprisée par le même personnage public. C’est impardonnable. Il en est logiqement résulté la désaffection de nos institutions dans l’opinion publique nationale, et des institutions rigides, pratiquées sans démocratie, sont inefficaces. Même si l’Etat n’était pas depuis deux décennies progressivement dépouillé de ses fonctions souveraines ou patrimoniales, le mandat électif de le conduire perd presque tous ses moyens et son sens. C’est ce qui enferme aujourd’hui la « course à l’Elysée » dans une petite corporation d’acteurs professionnels, pas très bien formés au discours ni au geste publics, donc très loin du parterre et du peuple. La démocratie est devenue artificielle, les rites et commémorations de nos grands anniversaires nationaux et du scrutin le plus important n’attirent et ne convainquent plus personne que les candidats, chacun pour son compte. Et l’exemple français, si je puis écrire ainsi, détermine une rigidité du même genre dans le fonctionnement des institutions européennes, aussi éloignées de leurs ressortissants, les citoyens du Vieux Monde.

Qu’en pensez-vous ?

D’autant que c’est la démocratie qui garantit la sincérité et la pérennité de la République. Et sans la culture, l’esprit approfondi, propres à chacun de nous, du bien commun, qu’est donc notre nation ? puisqu’elle est substantiellement, ethniquement composite depuis toujours : au moins depuis la reddition d’Alesia par Vercingétorix jusqu’aux conséquences spirituelles, démographiques, migratoires de nos victoires ou conquêtes en Europe puis d’une colonisation se justifiant par l’intrusion de valeurs humanistes. Or, nous doutons de la République, et nous doutons de notre consistance populaire. De quoi ne doutons-nous pas dans notre vie ensemble et parce qu’ensemble ?

Vos réponses sont audibles, visibles et mesurables. Après avoir félicité certains de nos dirigeants politiques et mis en évidence la responsabilité de quelques autres dans nos dévoiements actuels, examinons ces réponses. Aucune n’a été contrainte depuis les mûtineries de la Grande Guerre. Réduire celles-ci par la considération de ce que souffraient nos ascendants dans un conflit dont la fin ne se discernait plus a, plus que la victoire de Verdun, l’emprise longtemps de Philippe Pétain sur l’esprit national. Grèves, contestations, émergences de nouveaux mouvements organisés en dehors des partis ont été les manifestations suscitée par des temps d’une paix qui n’était pas sociale. Aucune n’a été inutile. Et je les crois toutes non seulement compréhensibles, mais légitimes. 

samedi 27 Août 2016 . Reniac à ma table de travail,
de 13 heures 41 … 14 heures 38  à 16 heures 12

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