jeudi 25 août 2016

rédaction continuée













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Le doute










Jamais, je n’ai cru être beau. Jamais, assurément, je n’ai été sportif. Convenable physiquement, plutôt de face que de silhouette, car je suis voûté et compliqué de dos, comme peut-être ces schémas en spirale pour figurer des chromosomes. Le profil de trois générations de mon père à mon arrière-grand-père, le nez aquilin qu’ils m’ont transmis. Deux médecins, un polytechnicien actuaire. Du ski à force d’en pratiquer, notre fille, ses « patinettes » entre mes planches, et aller vers les filets de sécurité et la neige profonde y basculer ensemble. De la nage, surtout en apnée, de la plongée avec bouteille, de l’endurance sans performance. Un homme de tendresse, de charme, d’analyse économique et politique, boursière aussi (hélas, car il fut joueur, croyant à Pascal et à Descartes qu’il avait beaucoup lus, mais ne jouant que dans des casinos aux taables truquées, ce qui coûta sans doute la vie à Joseph Fontanet, découvrant presque tout au Ruhl, et la confiance mutuelle amoureusement scellée et longtemps sans question :e le couple de mes parents, toutes disponibilités mobilières et immobilières jouées et perdues). Tu es le plus doué de mes enfants. Entendre cela est sans doute rare, surtout si l’on a huit frères et sœurs, dont un aîné, professeur des hôpitaux. De celui-ci, le mot terrible à mon médecin traitant qui commandait l’école d’application du service des armées et tenait le front arrière pour le Dr. Gubler et François Mitterrand : il avait tous les talents. Au passé, la formule signifie et souligne : il a raté sa vie. Et l’échec éloigne tout de vous, n’est-ce pas ? et notamment, l’argent au jour le jour, et les emplois de rattrapage.

De l’aisance en parole et en maintien : vous, en tout cas derrière ! le second en chronologie de mes ambassadeurs – je veux dire, le chef de mission diplomatique, assez loin de qui j’exerce professionnellement au poste d’expansion économique à Lisbonne, pendant que s’achève sans vrai aboutissement « la révolution des œillets » – me remercie ainsi de l’avoir aidé à disposer les chaises dans une des belles salles du palais Abrantès pour un concert de chambre. Vous n’aurez qu’à vous présenter, et ils voteront pour vous. Malicieux, Michel Jobert commente la lettre qu’il me donne à fin de publication dans l’Est Républicain et pour un tract à circuler dans le Haut-Doubs. J’y brigue la succession d’Edgar Faure à l’Assemblée nationale, puisqu’en Novembre 1980 se jouent des élections sénatoriales : les gagner donnera une quasi-invulnérabilité viagère à l’ancien président du Conseil, puis aussi ministre de l’Education nationale après avoir été celui de l’Agriculture pour le général de Gaulle. Intelligence rare, personnalité très complexe que l’argent et la recherche du plaisir, artificiel si nécessaire et donc pas bien beau ont secrètement abîmé. Lucie Faure rachète beaucoup et les marques de considération que je reçois de l’un et de l’autre, me font évidemment plaisir. Je m’illusionne même : revenez me voir, je ferai votre carrière, c’est notre première conversation, appartement à l’angle de l’avenue Foch ou presque et du boulevard Flandrin. Le salon d’attente comble, davantage cour des miracles qu’entrée de parloir. Tandis que je suis assis en face de lui qui est à son bureau, ambiance tamisée, le téléphone : ah oui ! on est mercredi, le conseil… puis un autre appel : entendu Georges. Je partage donc des éléments de conversation avec Olivier Guichard puis avec Georges Pompidou, le président de la République. Un peu plus tard dans le règne de celui-ci, j’assiste dans le bureau du ministre des Affaires sociales, où m’a introduit un huissier qui avait le même office au temps de Pierre Laval, à une nouvelle conversation : Aimé Paquet, président du groupe parlementaire des Républicains Indépendants, apporte les voix qui dépendent de lui à celui qui convoite le « perchoir » contre Jacques Chaban-Delmas, inamovible là-haut tant que de Gaulle fût le président de la République. Les fois suivantes seront plus praatiques et donc décevantes. Pour Pontarlier, le candidat mal assuré à la place de compensation qu’offre le Sénat et qui préside ce qu’il veut absolument garder, la région de Franche-Comté alors qu’il est à Béziers ou au Levant, on ne sait pas… refuse de me parrainer pour le siège qu’il abandonne. Jean-Pierre Chevènement m’a recommandé auprès du tombeur d’Edgar Faure à sa mairie : sur le papier, un soutien socialiste et un désistement des anciens gaullistes, s’il y en a dans ce Jura, devrait me faire élire. Ou la combinaison contraire s’agissant de battre le candidat se réclamant du président régnant, Valéry Giscard d’Estaing. Rien de cela ne se montera. Je serai en tête dans un ou deux villages parce que le hasard ou la Providence m’auront fait déjeuner dans le café du lieu, en voisin de table de la petite municipalité, m’accueillant à poser mon assiette parmi les siennes. J’apprendrai, à ma stupéfaction, que les deux conseillers généraux de la circonscription, désormais rivaux, le chiraquien totalement improvisé mais qui obtiendra le siège pour trente ans, ne sont pas connus, ni l’un ni l’autre en dehors de leur propre canton. On me prend pour l’un d’eux puisqu’il est exclu qu’un autre ose se présenter localement. La conclusion morose d’une autre élue à l’assemblée départementale : vous êtes trop bien pour nous, est en réalité un constat d’expulsion. La réalité est pourtant d’un pays qui me plaît et me correspond par sa sobriété, sa rudesse de climat, sa beauté intense quelles que soient les saisons de l’année et les lumières du jour – combien Pierre Bichet, figure magnifique, virile sait les rendre sur des toiles parfois immenses : il a été le cinéaste d’Haroun Tazieff et chez lui je rencontre un été Hélène Cixous et Jean Grosjean. Je m’incruste donc, m’infiltre dans la liste du maire sortant et siège au conseil tout un mandat, mais dans l’opposition, Denis Blondeau a du talent, de la fidélité et de la curiosité pour moi, mais ses ennemis augmente en nombre et en influence chaque année. Il disparaîtra. C’était entre lui, le giscardien et le chiraquien un combat etre chauffagistes. Activité irremplaçable dans la « petite Sibérie » que dût traverser Bourbaki pour réfugier son armée en Suisse, talonnée par les Prussiens. La circonscription avait eu, sous Jules Ferry, un député musulman, comtois converti dans des circonstances que je n’ai pas apprises et qui priais, tapis déroulé sinon dans l’hémicyle du moins dans les couloirs attenants : cela a du relief et dans le Haut-Jura on aime l’exploit, on tolère la personnalité ce qui en campagne plate ou en bord de l’océan est plus rare. Je faillis être accepté en candidat d’ouverture après la réélection de François Mitterrand, un excellent suppléant, secrétaire de la section socialiste voisine, chaleureux et convaincu au possible. La rue de Solférino malgré un mot – qui me fut promis – du secrétaire général de l’Elysée, ne m’appuya pas, un instituteur, appareillé des deux oreilles, représenta la gauche et le nouveau septennat pour que le siège demeure à droite. En Bretagne où je restaurais deux longères, le long du ria de Penerf, j’aurais plus de chances et serais sinon natif, du moins permanent, sur place, quotidiennement visible, ma mère inhumée : là. J’entrai au conseil « en papillon » quand la liste unique du maire sortant quand j’arrivais d’Asie centrale (à Pontarlier, j’atterrissais de Grèce où roulais depuis l’Adriatique jusqu’à Lausanne et Vallorbe pour le col de Jougne), comportait un nom que les gens de Surzur, ayant pourtant donné une place, celle de la mairie, au père du candidat,  artiste et bretonnant réputé… voulaient éliminer : sa femme refusait que l’on vienne aux champignons dans leur forêt. Je jugeais au panachage que c’était ce nom-là qu’il me fallait rayer. J’avais raison, suspense, a priori pas de second tour, toute la liste élue, et donc moi exclu au prétexte que si j’en avais fait partie, elle aurait eu moins de voix. Et il en manqua une, celle que j’empêchais ; le second tour, imprévu, fut une « élection de maréchal » (celles de nos chefs à la suite de la Grande Guerre) mais la seule de ma carrière politique, si cet adjectif me convient jamais. Car au conseil municipal de Pontarlier, je fus rattrapé par un désistement au bout d’un an. Sept places et initialement j’étais le huitième de la liste écrasée. La mairie ne me fut pas été confiée au renouvellement du mandat pas plus qu’à Pontarlier douze avant (brève brigue qui m’avait fait recevoir par Lionel Jospin, alors premier secrétaire du parti dominant) : interdisant la chasse, chez nous, la trentaine d’hectares boisés ou en pâtures inoccupées, j’ai contracté une inéligibilité à vie : cinq de nos chiens ont été fusillés et deux empoisonnés. La Bretagne des landes et marais, en bord de mer, n’est pas la périphérie de Strasbourg, aux jardins maraîchers où est née ma femme. L’accueil est chaleureux pour holloween, notre fille et de ses camarades d’Alsace font les maisons au feu des torches et je pousse des cris suraigus : nous nous amusons beaucoup à chaque vacances païennes de Toussaint, ma tante par alliance cultivent des citrouilles de concours.

Je ne crois pas souffrir de n’avoir eu aucun mandat, et donc aucune carrière politique. Ma relation à la chose publique a été mes affectations successives dans notre diplomatie économique et commerciale. Représenter, faciliter, arranger, rattraper, rencontrer, être reconnu très typique de notre pays. Célibataire, la facilité par position sociale et par aisance financière – l’indemnité dite de résidence servie à mes époques aux fonctionnaires expatriés – le principal vecteur pour pénétrer le pays partenaire, qui m’est totalement étranger quand j’y atterris, est une jeune fille de l’endroit. Cette grâce sanctifiante et stimulante, très explicative, m’a toujours été accordée. De chacun des pays où j’ai été nommé, j’ai donc reçu la manière et tous les motifs de l’aimer, et – aujourd’hui – de ne pas l’oublier. Le célibat n’est pas un vœu mais une attente et aussi une certaine atrophie, l’incapacité de décider de soi et d’une stabilité à vie. Ayant mal commencé ma vie sentimentale, je n’en tirais pour me consoler que d’écrire ma mise à la porte pour écart de fortune et excès de demande ou d’exclusivité. Le premier de mes romans m’initia à cette magie de l’écriture qui, quand on s’y livre, fait comprendre ce qui n’était pas visible en forme ordinaire de la vie, celle où nous respirons et commentons trop. L’écriture est éloquente par son silence et parce qu’elle est difficile, qu’elle nous oblige à accepter que tout fuit et manque de ce que l’on croyait pouvoir réciter et restituer. Ma mère m’avait appris à lire, former les lettres, puis à entrer et demeurer dans un livre, elle aimait des auteurs et avait alors tous d’eux. Je ne l’ai jamais vue lisant, mais elle lisait beaucoup. Sauf les reliures et skivertex préférés par mes sœurs et frères avec les meubles de palissandre qui les présentaient, j’ai hérité de ma mère sa bibliothèqèe brochée. Toute la littérature française du XXème siècle est là, en première édition. Il y a même un Mauriac, signé en souvenir d’un homme pour son prénom : qui fut-il pour elle ? elle avait seize ans, il n’était pas de notre famille. J’ai aussi reçu, nommément, l’enveloppe contenant quelques lettres d’un officier de Guynemer visitant assidûment ma grand-mère maternelle à Crépy-en-Valois où avait été établi la première escadrille française, pas très loin des fronts les plus avancés de l’Allemagne. Mon grand-père était cheminot, conduisit trois semaines durant le train-état-major de Pétain sous Verdun, il n’était pas souvent au foyer. Le capitaine de Rupière, inopinément, réintégra l’infanterie et s’y fit vite tuer. Son ordonnance apporta la reliques à ma grand-mère. Ma mère admirait intensément la sienne, fort belle il est vrai à ses vingt-cinq ans, et la mode serrant la taille, disant encore mieux le corps parce qu’elle le couvrait totalement – l’érotisme des chevilles me disait mon grand-père approchant ses cent ans et me battant régulièrement et avec le sourire aux échecs. Ma mère d quelqu’un de bien plus âge. Elle épousa un bicorne portant épée et fort bien mais de onze mois seulement son aîné. Elle en resta très amoureuse et même compatissante, quoiqu’elle dû le séparer d’elle pour sauver les meubles, au sens littéral de cette expression. Elle lut tardivement mais comme on prend connaissance d’une enquête très serrée, l’oeubvre de Dostoievski, et quand le joueur fut mis à l’écran ou rediffusé à la télévision, elle s’obsèda durablement de cette image des mains et des jetons, mon père et le tapis vert.

Me voici, dans de mauvaises conditions physiques et à un âge qui, il n’y a pas encore longtemps, était déjà celui des vieillards, à tenter un pari suprême et à projeter l’ordalie de ma vie. Une existence convenable, du papier imprimé, une certaine estime de mes fonctions d’antan, soit. Mais, non par orgueil et quelle ambition serait  loisible quand on part d’où je suis et à l’heure qu’il est à présent, j’essaie de fonder quelque chose, car il me semble qu’elle nous manque. Suis-je joueur ? non, parce que je ressens profondément n’être pas seul. Il y a, il y aura : vous. Il y a notre pays, il y a aussi, sans hiérarchie ni ordre chronologique toutes les circonstances, toutes les rencontres de ma vie, il y a ma foi aussi, il y a ce que j’ai reçu et qui ne se quantifie pas, et ne se date pas vraiment. Donc, ne se périme pas. Mon visage, surtout mon corps, si changé, au matériau, à la chair qui tombent et pâlissent, n’ont plus que rarement – très rarement, accident de l’amour, accident du reflet d’un moment parfait – un peu d’éclat. Mais à mes trente ou quarante ans, publié par le quotidien national du soir faisant le plus autorité, reçu par le président de la République en tête-à-tête tandis qu’attendent, depuis l’heure convenue, le Premier ministre et le ministre de l’Education nationale ou le président luxembourgeois de la Commission européenne, et que François Mitterrand s’essaye à évoquer de Gaulle devant moi qui en aie quelque idée, surtout militante… doté ainsi, favorisé ainsi, silhouette fine, alerte, pas trop narcissique, qu’ai-je donc produit d’utile, de durable ? pour le pays ? et même pour moi ? que de l’attente pour savoir si j’irai plus loin et établirai au moins une position. 


à la pointe de Bill, pendant l’école de voile de Marguerite,
le jeudi 25 août 2016 de 14 heures 30 à 16 heures 17




Notre fille me confie son grand projet. L’idée lui en est venue avec une amie de classe, en permanence, au collège (je disais : en étude, elle dit : en perm. Et n’a jamais entendu autre chose, d’autant que la perm. commence en sixième et qu’elle en sort juste). Elle m’interroge, ce que j’en pense. Je réponds sans hésiter que l’idée est très originale parce que cela vient de deux très jeunes filles, de deux petites Françaises, et que cela n’est certainement pas venu à la pensée de beaucoup, plus encore d’adultes. Elle foisonne d’idées, les propose et celles-ci sont reprises par ses camarades ou amies de classe, la cour de récréation, sans que le droit d’auteur et la reconnaissance de l’emprunt soient respectés. Est-elle, son amie et elle sont-elles originales, ne vont-elles pas être copiées ? Je l’assure que non. Je me propose à lire ce qui les inspire et qu’elles vont donc prolonger et faire aboutir. Elle refuse, c’est son travail, leur travail. Ne m’a-t-elle pas asséné, il y a peu, c’est ma vie, et j’en fais ce que je veux. Elle m’apprend le respect, le respect de son invention, le respect de sa manière de travailler mais elle a besoin de ma caution, de mon évaluation.

Depuis dix ans proches d’être révolus, je ressasse les mêmes thèmes, les mêmes propositions que je crois les réponses justes et dont nous sommes capables nationalement, aux défis, aux circonstances, aux urgences. Il n’y a guère plus d’évolution, malgré tant d’apparences et d’événements, dans le monde de notre époque, qu’il n’y en a chez nous, dans l’ensemble de notre pays, de nos mentalités courantes, tel que c’est déploré par les commentateurs, les pédagogues en tous genres que sont devenus nos gens politiques, l’étranger cité à témoin mais toujours en version sous-titrée. Les réformes. C’est une présidente de notre patronat français qui a observé l’abus du mot réforme. Nous avons eu – pour les centristes pas encore ralliés à la majorité de droite soutenant Georges Pompidou, mais moins son Premier ministre, trop mendésiste, Jacques Chaban-Delmas – le qualificatif de réformateurs. Ce fut un parti, peu d’années, absorbé dans la tentative de faire pièce à l’émergence d’un parti simpliste, mené par le culte, le goût, la passion du chef : ce genre de parti de plus en plus typé mais changeant de plus en plus souvent pour faire croire à des mûes et à sa nouveauté. Et ces thèmes, comme les idées en cour de récération, ou en perm. sont parfois repris. J’ai conscience de n’avoir été qu’en avance de quelques mois ou années – vous trouverez en annexe à ce que j’ai entrepris de vous confier une liste de ces propositions – mais en revanche je déplore que les moyens qui les développaient ne sont toujours pas pris. Nous sserions en mal de démocratie, on propose par à-coups une démocratie « participative », combien le substantif fut rayé quand de Gaulle l’employa, l’explicita et voulut l’appliquer notamment dans l’entreprise, puis à l’échelle politique nationale ; ce fut Michel Rocard qui trouva efficace de réciter pour ridiculiser : je participe, tu participes, il participe, nous participons, vous participez, ils profitent…. un homme devenu âgé et dont on ne pouvait avoir raison qu’en l’affirmant démodé, au moins pour les muséologues prêt à accueillir l’homme du 18-juin.

La démocratie est d’abord l’égalité, elle oblige au respect mutuel, donc à l’écoûte, au partage des échanges des vues et des opinions. Mais elle est coûteuse – pas en frais d’un scrutin référendaire – elle fait parfois tout revoir, tout reprendre. Le plus jeune de mes trois frères lit le cahier d’écolier dans lequel notre mère a écrit ce qu’à chacun elle attribue personnellement, le reste de ses meubles, de ce qui l’entourait et à quoi elle était attachée sera partagé avec des estimations de valeur. Jusqu’à ce moment, j’étais le puîné, qui souvent dans les familles nombreuses a l’avantage et le pas car l’aîné se sait incontestable – le mien a même interrogé son notaire sur la survivance et les effets du droit d’aînesse – et que les cadets ont longtemps été les petits et l’acceptaient. J’avais aussi pour moi depuis deux décennies une publication régulière dans des journaux nationaux et une fonction qui, à son apogée, devient un titre. Ce jour-là, je ne fus que l’un de neuf, même et surtout pour la pratique des dernières volontés de ma mère. L’évidence est qu’elle n’avait pas testé, mais sous le prénom de chacun de nous écrit quelques intentions – étaient-elles datées ? le saurai-je jamais car le cahier fut aussi détruit, la lecture terminée et l’une de mes sœurs en larmes, sous son prénom : rien, tout simplement parce que l’ensemble était seulement en gestation. Tout se rattrapa par la générosité de la fratrie. Il n’y eut pas de dispute car vénalement il n’y avait pas matière à bataille. Chance, mais ce que je retins a été que l’égalité dans une société qui n’en a ni les structures ni la culture, n’est que rarement une envie même des mineurs et des écartés, et encore plus exceptionnellement une pratique, une invention, une adaptation de quelque chose à une circonstance, à une situation chacune immédiate et concrète.

Je crois que nous avons chacun une expérience vécue qui devient conductrice d’une perception de notre société et - même – de nous. Notre regard a dû changer, sur moi-même je n’ai plus le même regard. Quoique ce soit, à les vivre, des moments douloureux, même horribles, on ne se sent pas tué, mais on perçoit que le résultat va être que nous aurons été tués… j’en ai souvent la mémoire et voudrais alors l’écrire, exhaustivement, cette expérience de l’impuissance. Quand elle est infligée par autrui, serviteur ou recéleur d’un système, coupable de ce système ? non, je ne l’ai jamais jugé. Coupable de ne pas sentir monter la possibilité d’une compassion, d’une écoute, corrigeant, adaptant, humanisant le système. Et quand le constat d’impuissance vient du constat simple de ce que l’existence humaine fait d’elle-même, la limitant, l’amenuisant, la dévalorisant parfois.. Et quand, enfin, stade suprême ? ou y en a-t-il encore un, pire, pas dicible ni sensible d’aucune manière, et dont je n’ai pas la moindre prévision, sinon que sans doute il existe, quoique ce ne soit pas encore la mort. Car la mort n’est que passage obligé – foi chrétienne, intuition et surtout d’avoir accompagné, vu, intensément vécu les dernières minutes de personnes si proches, fraternelles qu’elles ne m’ont jamais quitté. Un passage pour l’accomplissement, j’en suis sûr, seule douleur que j’appréhende : la souffrance de celles, de ceux qui m’aiment, m’auront tant aimé et tant donné d’eux et de moi. Mais l’impuissance, être réduit, se voir, se reconnaître réduit à l’impuissance. Mentant avec tranquillement car elle tient le beau rôle, le rôle du plus fort, du seul fort, à l’étage des ministres, ceux de la rue de Bercy, en bordure de Seine, chargée de la ressources humaine quand celle-ci a quelque grade, elle articule qu’il va me falloir changer complètement l’orientation de ma carrière professionnelle, certainement ne plus servir à l’étranger car le ministère auprès duquel j’ai été détaché (vocabulaire pour le maniement administratif des destinées) et qui m’a rendu à la direction où j’émarge, ne veut absolument plus de moi, pas seulement en son sein, mais dans toute sa mouvance : nos ambassades quel que soit le service. Dans les quarante-huit heures, j’obtiens la lettre démentant cette défausse mais elle ne produit rien auprès de qui, sans jamais m’avoir rencontré avant que j’avance vers sa table de travail, me veut à terre. Un des éphémères directeurs de ma « maison » d’origine, se donnera le même plaisir. Le Conseil d’Etat annulera mon rappel mais ne me replacera nulle part. D’autres de mes homologues savent faire commerce de la position qu’ils ont occupée, d’autres préoccupent les dirigeants quand ceux-ci sont nouveaux. La plupart se servent ou sont resservis, reçoivent compensation. J’ai donc appris ma vulnérabilité, j’en avais toujours eu le sentiment mais n’en avais tiré aucune conséquence dans mon comportement. Entré dans les colonnes du Monde, et devant insister, rappeler, demander quand mon papier passera, passerait, insister et être informé par celle qui était mon alliée et sans doute ne cessa de l’être que sur le conseil de relations censément amicales que j’avais amenée au journal et donc à elle… je savais ne dépendre que d’une seule personne : le directeur, Jacques Fauvet. Il fut dit que sa succession n’était pas légère ni agréable à prendre car ce serait avoir à corriger mes textes… illisible et piteux, je n’étais donc qu’un favori, disparaissant si tôt parti celui qui m’avait donné sa faveur. Une ambassade, chroniquement elle m’était refusée quoique cette attribution était le vœu du plus durable en fonction de tous nos présidents : quatorze ans, jusqu’au dernier souffle, ou à peine avant. Servir a toujours été pour moi une affection et le synonyme le plus proche en est l’admiration. Je n’ai pas servi François Mitterrand mais je l’ai défendu, dans les années les plus dangereuses de sa marche au pouvoir, ce sont les dernières qui comptent dans cette sorte de parcours, défendu par écrit et grâce au journal où, certainement, j’eusse aimé être admis en professionnel. Directeur un jour, peut-être, héritier ? critique et écrivain politique. Jacques Fauvet m’avoua ensuite qu’il y aurait perdu sa propre place, s’il m’avait ainsi reçu. Les papiers, chacun c’était déjà trop. Dans mon administration, j’étais – aussi – en trop. Au point que j’ai souhaité un bilan de compétences quand ne m’arrivait plus de proposition d’emploi. La fonction publique compte moins de nantis qu’il ne fut dit par un universitaire de talent et de renom, donc un fonctionnement, passé brillamment à la politique, mais ayant échoué pour le grade suprême, Raymond Barre eût été un excellent président pour notre République.

Le rebut. Ce qui en approche le plus dans l’intimité personnelle est dans doute cette situation de n’avoir plus de désir, mais fou, passionné, que mentalement et ne pouvoir sexuellement le montrer, le démontrer, le manifester à celle qui jouit de se refuser. J’ai connu cela. Saint Louis au futur, conçu dans l’ambiance de Bouvines, c’est certain. L’exaltation ou le dédain décident d’une érection. L’ablation de la prostate – je l’ai subie, désespérant dès le diagnostic, de tout, courant après l’urgence d’une descendance, d’une paternité que j’avais persvéramment refusée jusqu’à l’avortement pendant trois décennies – cette ablation-là ne condamne à rien. Pourvu bien sûr que le chirurgien soit adroit, sinon génial. Au Val de Grâce où je fus diagnostiqué puis traité, après avoir été accueilli en urgence quelques années plus tôt – celle de ma mission au Kazakhstan – pour une cure d’éventration causée par les centaines, les milliers de kilomètres que j’accomplissais par la route pour montrer dans la steppe nos trois couleurs, le praticien fut ce qu’il doit être. Le plus important n’a pas été cependant de son ressort. Il faut pour revenir aux capacités de l’étreinte masculin-féminin l’amour, la patience, l’attente et le désir de l’autre, de la femme. Vingt-cinq ans plus tôt, j’avais en pleine force et en constante disposition de mes capacités, vêcu le contraire : le visage et forme glaciale de tentation me fascinait, le corps était moins beau mais le sexe détruisait par avance ce que par nature il aurait dû désirer. Celle qui me désirait d’âme et de corps, je l’ai épousée cependant grâce à une tout autre expérience de l’impuissance, celle-là sans remède, malgré notre amour et notre ingéniosité : la mise à mort d’une société de gestion de portefeuilles éthique et solidaire, jalousée de beaucoup car ma femme ne facturait que les gestions bénéficiaires. Nous avions commencé de démarcher des associations diocésaines, mon éducation, la permanente interrogation sur un état de vie peut-être religieux me donnaient l’accès à nos évêques et nous projetions d’établir un fonds dédié aux choix et priorités islamiques puisqu’à mes vingt ans, j’avais été accueilli par des musulmans, noirs ou blancs, en plein désert, celui d’une capitale où poussaient plus de panneaux indicateurs de projets que de maisons et bâtiments. Nous fûmes victimes de celui qu’une autorité dont aucune juridiction française ne sait la nature, nous avait imposé en condition de son agrément. Le bonhomme gérait illégalement pour compte d’autrui, un ancien de la brigade financière, un temps détaché place de la Bourse, puis mis en taule. Son jeune comparse, sans aucune talent que le port d’une particule, utilisait le logo de la société pour transférer de sites pédophiles à l’adresse de son épouse de quoi ravitailler des clients que protégeait même la police de l’ouest parisien le mieux élevé et le plus catholique. Le référé tourna court car j’avais cru plus convaincante ma femme, d’ailleurs seule gestionnaire, que moi n’avançant que des points de droit. Ma femme fut ainsi dégoûtée – par injustice, par constat de l’incompétence ou de la compétence de beaucoup de hiérarchies [1], bien plus que par exclusion -  de la plus vive pointe d’un métier où elle avait excellé selon toutes ses branches. Je l’ai regretté mais elle continue de me transmettre des manières d’analyser et de comprendre, sans lesquelles bien des éléments de ce que je suggère à nos gouvernants ne me seraient jamais venus à l’esprit. Or, ils remédient à l’un de nos mal-êtres les plus dirimants, notre endettement. Allant en cassation puis en cour européenne des droits de l’homme, nous ne pûmes faire entendre pas tant raison, que justice. J’ai depuis vingt ans, après avoir tant rédigé en droit pour d’autres, notamment nos entreprises en peine de marchés étrangers ou surprises par ceux-ci en manque de garanties, aimé écrire le bien-fondé et les arguments de mes causes, puis de nos causes. J’ai même cherché à faire prendre conscience à de bien grands de ce monde leur rayonnement, leur fécondité possibles. Aucun temps de jachère et d’incertitude sur la suite, aucune exclusion de la profession ou de l’exclusion ne m’ont ôté le réflexe le plus banal, quotidien d’exercer ce petit rôle du souffleur au théâtre qui dépanne les plus grands artistes. Mais ayant aimé de Gaulle d’affection, celle qui par empathie donne à comprendre une intelligence, j’ai pu me passer d’auteur et donc de texte, sans doute depuis les « événements de Mai », mais j’ai commencé, ne les voyant que d’en-bas, des pieds d’abord, à souffler, c’est-à-dire à rappeler ce qu’il faudrait jouer, incarner, représenter. Les dirigeants, les acteurs font face au public, le souffleur dans son trou lui tourne le dos, au-dessous de tous les protagonistes. C’est une place que j’ambitionne encore, c’est celle – sans doute – de l’âme, puisqu’il s’agit de contenu, non de pose.



En annexe, il y aura donc – prévus à ce point de ma composition
1° l’énumération de mes propositions d’ajustement de l’Etat au bien commun (suggestions politiques et économiques dont l’exécution est de la compétence du président ou de son gouvernement
2° la citation de la conclusion du livre posthume de Georges Pompidou, la justice, saint Louis sous son chêne à Vincennes
3° ma demande à FH et son mode d’emploi, le quart d’heure tête-à-tête chaque quinze jours ou trois semaines
4° ma lettre à VGE de Novembre 1974, déjà du même ordre
5° ma lettre à Gorbatchev (qu’il me faut retrouver) en 1987 : le rayonnement et l’importance névralgique de ce qu’il a commencé de faire en Union soviétique
6° mes lettres à Kohl pour le remercier de son amitié pour FM et pour la France, et à Merkel pour lui demander de faire ce que la France ne sait plus faire ou être, telle qu’elle est dirigée



Reniac, le jeudi 25 août 2016, à ma table de travail
de 18 heures 37 à 20 heures 38



[1] - évocation de l’affaire Kerviel
 

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